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Hérard aîné; mais il oublia de réclamer le redressement des griefs de ses compagnons. Il finit par se rendre à Port-au-Prince où il fut livré à un tribunal militaire.

L'ordre rétabli, le gouvernement du Président Guerrier s'occupa de l'instruction publique; il créa un Lycée au Cap-Haïtien et un autre aux Cayes. Il entreprit de réorganiser les Pouvoirs publics et institua un Conseil d'Etat dont les membres prêtèrent serment le 6 Mars 1845 à Saint-Mare où était le Président. Le 17 Mars ce Corps tint ses premières séances à Port-au-Prince. Les 87 ans de Guerrier ne purent résister aux fatigues de la haute position qu'il occupait; il mourut à SaintMarc le 15 Avril 1845.

Son successeur put être désigné sans commotion. Le 16 Avril 1845 le Conseil d'Etat élut le Général Pierrot Président de la République.

Le nouveau Président n'était guère plus jeune que son prédécesseur: il avait 84 ans. Et il se trouva tout de suite aux prises avec de graves difficultés. Les partisans de Charles Hérard ainé crurent l'occasion propice pour essayer de ressaisir le pouvoir. L'ancien Président, parti de la Jamaïque, rôdait sur les côtes d'Haïti à bord d'une goélette, "La Grenadina." Ses amis ayant à leur tête le colonel Pierre Paul, Bedouet, Bellux, Ledoux, s'emparèrent de Léogane le 20 Septembre; ils furent dispersés par le Général Therlonge. Ce mouvement n'avait soulevé aucun enthousiasme. Mais il fut suivi de nombreuses exécutions. Les tribunaux militaires fonctionnèrent tant à Jérémie qu'aux Caves et à Port-au-Prince.

A part cette tentative d'insurrection le nouvel élu eut à faire face aux incursions des Dominicains qui harcelaient sans cesse les troupes haïtiennes tout le long des frontières. Nos anciens compatriotes de la partie espagnole avaient, depuis le 1er Novembre 1844, élu le Général Santana leur Président, et ne négligeaient aucune occasion d'attaquer nos soldats. Des goélettes armées en guerre commettaient des déprédations sur nos côtes.

Le Président Pierrot résolut d'entreprendre une

campagne contre ceux qu'il ne considérait que comme des insurgés. Le peuple vit avec défiance les préparatifs qui se faisaient à ce sujet. Le Président avait aussi mécontenté l'armée par une généreuse distribution de grades militaires. Tous les chefs de bandes du Sud avaient profité de sa débonnaireté pour obtenir des brevets d'officiers pour leurs partisans. Les bourgeois qui avaient tant souffert de ces bandes s'effarouchèrent des tendances du nouveau Président qui avait appelé Acaau, le récent terroriste des Cayes, au commandement de l'arrondissement de l'Anse-à-Veau. Craignant l'explosion d'une nouvelle jacquerie l'on s'entendit pour déposer Pierrot qui, par Arrêté, venait de transférer la capitale de la République au Cap-Haïtien.

Le ler Mars 1846 le Général Jean-Baptiste Riché fut acclamé à Port-au-Prince Président de la République. Pierrot se démit du pouvoir le 24 Mars et se retira sur sa propriété "Camp-Louise" où il passa tranquillement le reste de ses jours. Dans sa courte administration il avait eu l'heureuse idée de réhabiliter la mémoire du fondateur de l'indépendance d'Haïti. Par ses ordres un service funèbre avait été célébré dans toutes les paroisses de la République en l'honneur de J. J. Dessalines.

La débonnaireté et les premiers actes de Pierrot lui avaient gagné les sympathies des paysans du Sud. Aussi, à la nouvelle de son remplacement, ils sentirent renaître toutes leurs inquiétudes. D'ailleurs le nouveau Président ne pouvait leur inspirer une confiance illimitée. En 1844 il les avait combattus. L'avénement de Riché au pouvoir provoqua un soulèvement général des campagnards du Sud. Acaau qui commandait l'arrondissement de Nippes donna l'exemple de la résistance. Il refusa de reconnaître l'autorité de Riché et se mit en état de défense à l'Anse-à-Veau où il occupa le fort "Saint-Laurent." Attaqué le 8 Mars 1846 par le Général Samedi Télémaque, Acaau aban

Pierrot mourut le 18 Février 1857; ses funérailles eurent lieu au Cap-Haïtien le 24 de ce mois. (Note fournie par Mr. Maximilien Laforest.)

donna sa position dans la nuit et se réfugia sur l'habitation Joly chez un nommé Clérin. Cerné de près dans la nuit du 11 Mars et se voyant sur le point d'être arrêté, l'ancien "Chef des réclamations de ses concitoyens" se fit sauter la cervelle d'un coup de pistolet. Sa mort ne mit point fin à la lutte. Riché dut réduire par le force les paysans qui ne voulaient voir en lui qu'un usurpateur. Le sang coula à Port-à-Piment, au Camp-Perrin, à Corail, au Port-Salut, aux Platons, aux Côteaux, à Duranton. L'ordre ne fut rétabli qu'au prix d'énormes sacrifices.

La pacification du Sud obtenue, Riché fit cesser la dictature confiée aux Chefs de l'Etat depuis 1844. I transforma en Sénat le Conseil d'Etat institué par Guerrier. Et le 14 Novembre 1846 la Constitution de 1816 fut adoptée par ce Corps avec la plupart des modifications qu'elle avait subies en 1843. L'on ne conserva malheureusement point la présidence temporaire; et l'on revint à la présidence à vie dont le pays avait pourtant demandé l'abolition.

Riché n'exerça pas longtemps le pouvoir. Sa santé était minée par les fatigues. Revenu à Port-au-Prince le 23 Février 1847 d'un voyage dans le Nord de la République, il mourut le 27 de ce mois. Le Conseil des Secrétaires d'Etat assuma l'exercice du Pouvoir Exécutif. Et le Sénat, réuni le 1er Mars, procéda à l'élection d'un nouveau Président de la République. Deux candidats, les Généraux Souffrant et Paul, se disputaient les votes. Après huit tours de scrutin aucun d'eux n'obtenant la majorité requise, le Sénat porta son choix sur un homme qui ne briguait pas ses suffrages. Il élut Chef de l'Etat le Général Faustin Soulouque qui était loin de s'attendre à un tel honneur.

!

CHAPITRE XIV.

Faustin Soulouque (ler Mars 1847-15 Janvier 1859)-Le 16 Avril 1848-Campagnes contre les Dominicains-L'empire-Intervention de la France, de l'Angleterre et des Etats-Unis en faveur des Dominicains-La Navase-Gonaïves s'insurge-Départ de Faustin Soulouque.

De 1844 à 1848 Haïti avait transversé une des périodes les plus critiques de son existence. Après s'être, en Février 1844, constitués en Etat indépendant, les habitants de l'ancienne partie espagnole, naguère citoyens haïtiens, se livraient sur les frontières à d'incessants actes d'hostilité. Il fallait des troupes pour les contenir. Les dépenses causées par l'entretien des soldats étaient relativement élevées; d'autre part l'insécurité paralysait le travail. Une solution devenait urgente: il importait de soumettre nos ci-devant compatriotes ou de s'entendre avec eux pour faire cesser l'état de guerre nuisible aux uns et aux autres.

Le problème dominicain se compliquait de la situation intérieure. Les espérances qu'avait fait naître le départ de Boyer ne s'étaient point réalisées. Et la déception éprouvée par les paysans du Sud leur avait mis les armes à la main. Ils désiraient se débarrasser des entraves du Code rural; ils réclamaient des écoles et soupiraient après la possession du sol. Bernés par les uns et par les autres, ils n'avaient pu obtenir satisfaction. Leur soumission n'était donc qu'apparente.

D'autre part les idées libérales de 1843 n'avaient pas réussi à s'implanter. Et le système militaire semblait seul pouvoir assurer l'ordre: ce qui ne pouvait convenir aux partisans du régime civil.

Quand, le 1er Mars 1847, le Général Faustin Soulouque fut élu Président de la République, il avait donc à faire face aux guérillas entretenues sur les frontières dominicano-haïtiennes, à apaiser les paysans du Sud dont les revendications étaient toujours prêtes à éclater, et à contenir le mécontentement des bourgeois réclamant plus de liberté. L'on ne pouvait certes demander à Soulouque la souplesse et l'entregent d'un homme d'Etat. Mais, comme soldat, il avait des idées d'ordre et de discipline. Flatté du choix dont il avait été l'objet, il ne demandait qu'à prouver sa reconnaissance et à faire de son mieux pour bien administrer les affaires publiques. Il fit de sincères efforts pour se plier aux exigences de la Constitution. On le vit, au début, prendre des Secrétaires d'Etat dans les rangs de l'Opposition. Celle-ci ne tint malheureusement nul compte des susceptibilités et de la dignité du Président. Sa bonne volonté fut méconnue. L'on commença à lui reprocher son ignorance, à le ridiculiser. Soulouque dont les connaissances rudimentaires n'étaient un secret pour aucun de ceux qui l'avaient élu, s'irrita d'une attitude qu'il ne pouvait s'expliquer. Et il songea à prendre des précautions. Il était prêt pour la lutte quand, le 16 Avril 1848, le conflit dont il flairait l'approche éclata à Port-au-Prince. Les citoyens de cette ville essayèrent de provoquer une émeute. La répression fut prompte et implacable. Des tentatives d'insurrection eurent également lieu sur d'autres points de la République; elles furent étouffées avec la même sévérité. Soulouque en profita pour dompter l'esprit de désordre. Sa main rigoureuse s'abattit sur tous les fauteurs de troubles. Paysans et citadins comprirent que des manifestations à main armée ne seraient plus tolérées; tous se tinrent tranquilles et le pays eut quelques années de repos. Décidé à assurer l'ordre, Soulouque ne s'inquiéta plus de la Constitution. Il s'entoura d'hommes qui avaient sa confiance et imposa sa volonté.

Ayant rétabli le calme à l'intérieur, Soulouque put s'occuper de l'ancienne partie espagnole. Pour mettre fin aux incursions des Dominicains il résolut de les

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