Page images
PDF
EPUB
[graphic]

Facing 198

MILOT, LIEU OÙ CHRISTOPHE A BATI LE CHÂTEAU DE SANS-SOUCI

faire rentrer sous l'autorité du gouvernement haïtien. Le 5 Mars 1849 il entra en campagne. Prenant en personne le commandement de l'armée il eut des débuts heureux qui assuraient le succès final. Les troupes haïtiennes emportèrent d'assaut la ville d'Azua. Des rumeurs de conspiration vinrent arrêter leur marche. Ayant appris que, profitant de son absence, les agitateurs tramaient son renversement, Soulouque abandonna la campagne et revint avec son armée à Port-auPrince. Il pensa que l'autorité dont il disposait était insuffisante à assurer le maintien de la paix à l'intérieur et la soumission de l'ancienne partie espagnole. Les officiers supérieurs estimèrent que le pouvoir absolu concentré aux mains de leur chef pourrait seul faire cesser les discordes. L'armée organisa une vaste pétition et le 29 Août 1849 Soulouque fut proclamé Empereur d'Haïti. Le 18 Avril 1853 il fut sacré avec son épouse à la Cathédrale de Port-au-Prince. Sous le titre de Faustin 1er il put, sans être gêné par aucune opposition, administrer le pays selon ses convenances. A l'aide de la tranquillité qu'il fit régner, l'agriculture redevint florissante; des jours prospères reparurent.

Les Dominicains, enhardis par le résultat négatif de la campagne entreprise contre eux, avaient continué leurs déprédations. Une flottille pousa l'audace jusqu'à se rendre au bourg de Dame-Marie qui fut pillé et incendié. Faustin 1er voulut recommencer la lutte. En 1855 il envahit de nouveau l'ancienne partie espagnole. La campagne commença sans préparation suffisante. L'armée dut opérer loin de toute base d'opérations. Les difficultés d'approvisionnements en munitions et en vivres ajoutèrent aux embarras. Malgré le courage déployé par les troupes il fallut une fois de plus renoncer à rétablir dans l'île l'unité de gouvernement.

Après cette campagne la France et l'Angleterre arrachèrent un armistice au gouvernement haïtien et l'empêchèrent par la suite de profiter des avantages qui s'offrirent pour la soumission de l'ancienne partie espagnole. Ces deux Puissances eurent d'ailleurs

l'entier concours des Etats-Unis. A cette époque les Américains n'avaient aucune répugnance à s'allier à l'Europe pour l'aider à terroriser Haïti. Les menaces d'intervention armée ne sont même pas déguisées dans les instructions données dans le temps par Mr. Webster, Secrétaire d'Etat des Etat-Unis, à son agent à Haïti. Voici ces instructions qui se passent de commentaire : ' "Les intérêts matériels des trois pays (France, Grande "Bretagne et Etats-Unis) sont largement impliqués "dans le rétablissement et le maintien de la paix entre "les parties contendantes à Saint-Domingue. La "France est créancière du gouvernement de l'Empereur "Soulouque de fortes valeurs. Elle ne peut espérer "être payée si les ressources du pays, au lieu d'être "développées par la paix et appliquées au moins en "partie à l'extinction de la dette, subissent un temps "d'arrêt et sont gaspillées dans une guerre avec un "Etat limitrophe. La Grande Bretagne et la France "ont toutes deux intérêt à obtenir une plus grande "demande de leurs produits, qui résultera de l'impul"sion que la cessation de la guerre donnera à l'indus"trie à Haïti et dans la République Dominicaine; et "les Etats-Unis ont un intérêt pareil.

Si "l'Empereur Soulouque persiste à maintenir une atti"tude belliqueuse jusqu'à ce qu'il ait obtenu pleine "satisfaction de la partie adverse, vous vous joindrez "à vos collègues pour les remontrances à lui faire à "ce sujet. Et si ces remontrances ne produisent

1 Santo Domingo and the United States by John Bassett Moore. Review of Reviews, March 1905.

Mr. Moore dit ce qui suit au sujet de ces instructions: "Quand Mr. "Webster écrivit ces instructions, la Grande Bretagne et la France "étaient déjà convenues d'établir le blocus immédiat des ports d'Haïti "dans le cas où leurs conseils n'auraient pas été écoutés. Le Président "des Etats-Unis ne pouvait pas participer à cet acte de guerre sans "l'autorisation du Congrès, et c'est à cela que Mr. Webster faisait allu"sion quand il dit que, si le gouvernement d'Haïti refusait de céder aux "remontrances, le Président soumettrait la question au Congrès afin de "permettre aux Etats-Unis de participer, avec les gouvernements d'An"gleterre et de France, aux mesures destinées à faire respecter l'interven"tion des trois Puissances. Aujourd'hui l'opinion publique aux Etats"Unis s'opposerait à une pareille entente avec des Puissances euro"péennes au sujet d'une question américaine."

"aucun effet, vous signifierez à l'Empereur que vous en "informerez immédiatement votre gouvernement afin "que le Président, avec le concours du Congrès, puis"se prendre, d'accord avec les gouvernements de l'An"gleterre et de la France, les mesures destinées à faire "respecter l'intervention des trois Puissances."

Cet accord explique l'attitude de la France et de l'Angleterre qui mirent tout en œuvre pour empêcher les revendications d'Haïti au sujet de la Navase dont quelques Américains s'étaient emparés sans droit. Les représentants de ces deux grandes nations avaient cependant eux-mêmes dénoncé à Faustin ler l'occupation de cette partie du territoire haïtien par les citoyens des Etats-Unis.3

Les souffrances endurées par les soldats dans le cours de la campagne de 1855, les pertes éprouvées et les sacrifices faits sans résultat appréciable causèrent un fort mécontentement. La responsabilité de l'échec retomba sur le Chef de l'Etat qui exerçait un pouvoir sans contrôle. La confiance fut ébranlée. L'Empire ne pouvait plus être conservé que par des mesures sages et toutes dans l'intérêt du peuple. Pour se maintenir le gouvernement eut recours à l'intimidation qui avait déjà réussi. L'on n'eut plus aucun ménagement pour les libertés publiques. Des mesures financières mal combinées, jointes au laisser-aller qui s'était petità-petit introduit dans la perception de nos recettes, ne tardèrent pas à aggraver le malaise qui commençait à se faire sentir. L'Empereur inspirait encore de la crainte. Mais son prestige était atteint. Ceux qui pouvaient redouter sa colère cherchèrent le salut dans une conspiration. Ses partisans mêmes en vinrent à s'entendre avec les citoyens qui désiraient un peu plus de liberté pour leurs compatriotes.

Le général Fabre Geffrard crut le moment propice de renverser l'homme devant qui tout tremblait. Dans la nuit du 20 Décembre 1858 il quitta Port-au-Prince.

La Politique Extérieure d'Haïti par J. N. Léger, page 99.

Voir aux Annexes les documents concernant l'occupation de la Navase par les Américains.

« PreviousContinue »