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Accompagné de son fils Clodomir, de Messrs. Ernest Roumain et Jean-Bart, il s'embarqua dans un canot. Le 22 Décembre il était aux Gonaïves où l'insurrection éclata. Un comité départemental composé de Léon Legros, Joseph Lamothe, Aimé Legros, St. Aude, Normil Sambour, Fénelon Geffrard, Etienne Magny, J. J. Mendoza et Zamor père s'organisa. La République fut proclamée et la Constitution, promulguée en 1846, remise en vigueur. Le 23 Décembre 1858 ce Comité déclara Faustin Soulouque déchu du pouvoir; le Général Fabre Geffrard fut nommé Président d'Haïti. Le Cap-Haïtien et tout le département de l'Artibonite adhérèrent au rétablissement de la République.

Dès le 28 Décembre Faustin 1er était à la tête de l'armée en marche contre St. Marc. Ses soldats disciplinés eurent d'abord des succès. L'Empire était cependant trop impopulaire pour trouver des défenseurs convaincus. Les masses pour lesquelles il n'avait, en somme, rien fait, restèrent indifférentes à son sort. La défection commença son œuvre et l'Empereur se vit obligé de retourner s'enfermer à Port-auPrince. Le 10 Janvier 1859 l'armée républicaine était à l'Arcahaie; le 11 à la Croix-des-Bouquets. Le 12 Janvier le Général Geffrard établit son quartier-général sur l'habitation Drouillard, à quelques lieues de la capitale. La force sur laquelle Soulouque avait constamment compté lui fit défaut dans ce moment suprême. Le 15 Janvier à 4 heures du matin, sans coup férir, l'armée républicaine fit son entrée à Portau-Prince. Soulouque se réfugia au Consulat de France et, vers les 6 heures du soir, il s'embarqua sur la frégate anglaise "Melbourne" qui le conduisit à la Jamaïque. L'Empire avait pour toujours cessé d'exister à Haïti.

Revenu à Haïti Soulouque mourut à Petit-Goave le 6 Août 1867. (Maximilien Laforest.)

CHAPITRE XV.

Fabre Geffrard (23 Décembre 1858-13 Mars 1867)-Concordat avec le Vatican-Réformes faites par Geffrard: instruction publique; loi autorisant le mariage entre Haïtiens et étrangers-Tentative d'immigration d'hommes de couleur des Etats-Unis-Geffrard essaie de faire neutraliser l'île d'Haïti—Annexion de la République Dominicaine à l'Espagne-Incident Rubalcava-Salnave prend les armes au Cap-Incident du Bulldog-Bombardement du Cap par des navires de guerre anglais-Visite de Mr. Seward au Président d'Haïti-Démission de Geffrard.

Geffrard avait prêté serment le 20 Janvier 1859. Le 17 il avait cependant nommé son Conseil de Secrétaires d'Etat. Dès son arrivée au pouvoir il s'était empressé de renouer avec le Vatican les pourparlers relatifs à la situation du clergé catholique à Haïti. Les négociations fort laborieuses dataient des premiers jours de l'indépendance. Le Saint-Siège s'obstinait à vouloir nous envoyer un préfet apostolique et, partant, à garder seul le haut contrôle de l'Eglise d'Haïti; tandis que les Chefs d'Etat Haïtiens insistaient pour avoir des Archevêques et des Evêques nommés avec leur coopération et soumis tant à leur contrôle qu'aux lois de la République. En attendant que l'accord s'établit, le recrutement du clergé ne se faisait pas sans inconvénients et l'on eut à enregistrer plus d'un fait regrettable. Les Haïtiens se montrant inébranlables dans leur décision de ne pas accepter de préfet apostolique, le Vatican finit par céder; et le 28 Mars 1860 fut signé à Rome le Concordat qui règle encore les rapports religieux d'Haïti avec le Saint-Siège.1

Jusqu'à l'avénement de Geffrard, les étrangers,

J. N. Léger.-Recueil des Traités et Conventions de la République d'Haïti, page 59.

quoique jouissant de la plus large et de la plus complète protection, étaient pourtant gênés dans l'exercice de certains droits; ils ne pouvaient notamment épouser des Haïtiens. Le Président fit rendre, le 18 Octobre, 1860, une loi autorisant le mariage entre Haïtiens et étrangers.

Bien qu'Haîti fût en rapports avec toutes les Puissances civilisées, les esclavagistes aux Etats-Unis continuaient de lui garder rancune. Mais la guerre de Sécession donna un caractère plus cordial aux relations des deux pays qui, le 3 Novembre 1864, signèrent à Port-au-Prince un traité d'Amitié, de Commerce et de Navigation, etc.

Geffrard essaya de soulager l'infortune des descendants de la race noire qui aux Etats-Unis étaient exposés à toutes les humiliations du préjugé de couleur; il leur ouvrit les portes d'Haïti. Sa tentative d'immigration ne réussit pas plus que celle faite par Boyer. L'idée n'était populaire ni à Haïti ni parmi ceux qui devaient le plus en bénéficier. Elle ne fut plus reprise depuis.

Le gouvernement de Geffrard entreprit aussi de faire neutraliser l'île d'Haïti. Ses démarches, accueillies avec bienveillance par les principales Puissances de l'Europe, n'aboutirent pourtant pas: les Etats-Unis refusèrent de participer à un traité de garantie.' Et l'Europe ne crut pas pouvoir se passer de leur concours. L'idée de la neutralisation d'Haïti dut être ainsi abandonnée.

Cet échec qui était inévitable à cause de la politique suivie alors par les Etats-Unis fut compensé par les succès obtenus à l'intérieur. Une fonderie nationale fut instituée. L'armée avait été réorganisée sur des bases sérieuses; sa tenue faisait l'admiration même des experts étrangers. La discipline y était strictement

Le traité de 1864 fut dénoncé en Mai 1904 et a été en partie remplacé par un traité d'Extradition signé à Washington le 9 Août 1904. En 1902 Haïti avait conclu avec les Etats-Unis un traité sur la naturalisation.

'J. N. Léger. La Politique Extérieure d'Haïti, page 145-147.

observée. Geffrard ne s'occupa seulement pas des soldats. Il ne négligea rien pour propager l'instruction publique. Des écoles d'enseignement primaire et secondaire furent installées un peu partout. L'Ecole de Médecine fut réorganisée; des Ecoles de Droit, de Dessin, de Musique, furent créées. Afin d'avoir des professeurs compétents, la République envoya à ses frais de jeunes Haïtiens faire ou compléter leurs études en Europe. La littérature profita de cette impulsion donnée à l'enseignement public; elle ne contribua pas peu à jeter un vif éclat sur l'administration de Geffrard.

Ce mouvement intellectuel enflammait les esprits et faisait soupirer après des libertés mieux assurées. Dès le début, les difficultés avaient surgi. Les anciens partisans de l'Empire, surpris par l'écroulement soudain du trône, n'avaient pas tardé à tout mettre en œuvre pour essayer de reprendre le pouvoir. En Septembre 1859 une conjuration à la tête de laquelle se trouvait le Général Prophète, ancien Ministre de Faustin ler, fut découverte avant qu'elle n'eut eu le temps d'éclater. Un crime horrible en résulta: la fille du Président, Madame Cora Blanfort, fut lâchement assassinée. Dans la soirée du 3 Septembre 1859 elle lisait à la lumière d'une lampe quand une balle lui fracassa la tête. L'on pensait qu'affolé par la douleur, le père aurait couru sur les lieux; ce qui aurait permis de l'abattre facilement. Les amis du Président l'empêchèrent de sortir. Les tribunaux furent saisis de l'affaire. Les coupables furent condamnés à mort et exécutés.

En 1861 le gouvernement haïtien eut une nouvelle cause de préoccupation. En Mars de cette année le Président de la République Dominicaine, trahissant son mandat, avait livré son pays à l'Espagne; la partie orientale de l'île était redevenue colonie espagnole. Le peuple qui désirait conserver son indépendance protesta contre l'action de son chef en recourant aux armes. L'Espagne rendit Haïti responsable de cette résistance à son autorité. Une flotte sous les ordres de l'amiral Rubalcava vint en Juillet prendre mouillage en rade de Port-au-Prince et menaça de bombarder la

ville. L'incident n'eut heureusement pas de suites fâcheuses. Mais il démontrait le danger pour Haïti d'avoir une des grandes Puissances de l'Europe comme voisine immédiate. Et quand en 1863 les Dominicains se soulevèrent de nouveau contre l'autorité de l'Espagne, toutes les sympathies nationales leur étaient acquises. En 1865 les Espagnols se virent obligés de renoncer une fois de plus à une colonie qui leur coûtait tant de sacrifices en hommes et en argent. La République d'Haïti pouvait profiter de la situation où étaient les Dominicains pour exiger au moins des garanties sérieuses pour l'avenir. Le Président Geffrard compta sur leur reconnaissance. La République Dominicaine, rétablie comme Etat indépendant, oublia vite le concours que sa sœur aînée lui avait prêté.

Il est vrai qu'à l'intérieur les fauteurs de troubles n'avaient cessé de préoccuper le gouvernement haïtien. Une politique libérale, mais ferme, eut pu apaiser les esprits. La compression les irrita. Une nouvelle tentative de régime parlementaire venait d'avorter. Et, pour briser l'opposition, le Président, par Arrêté du 8 Juin 1863, avait dissous la Chambre des Représentants. Quelques jours après, le 19 Juin, Aimé Legros qui avait essayé de provoquer une insurrection, tomba à Saint-Marc, avec quelques-uns de ses complices, sous les balles du peloton d'exécution à la suite du jugement d'une cour-martiale.

L'année précédente, en Mai 1862, Salomon aîné, dans la plaine des Cayes, à Chollais, avait aussi appelé les citoyens aux armes. Le mouvement avait échoué et ses principaux instigateurs avaient été mis à mort.

Loin d'intimider, la rigueur déployée par le gouvernement semblait pousser les citoyens à la violence. Dans les premiers jours de 1864 un complot fut découvert à Port-au-Prince. Lamy Duval, Prosper Elie, Vigne Vigné et Petit-Joseph, livrés à un tribunal militaire, furent condamnés à mort. Ce qui n'empêcha pas Ogé Longuefosse de prendre les armes en Juin de la même année. Peu après le colonel A. Chance, le commandant Sylvain Salnave et le capitaine Paul Isidore tentèrent

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