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un coup-de-main au Cap-Haïtien. Les tribunaux militaires avaient beau multiplier les condamnations à mort, les mécontents ne désarmaient point. L'on venait à peine en Avril 1865 de disperser au carrefour Collet, dans la plaine des Cays, un attroupement de paysans qui renouvelaient leurs revendications, que Sylvain Salnave reparut dans le Nord. Suivi d'une bande de Dominicains il avait surpris, le 7 Mai 1865, le poste de Ouanaminthe et, poursuivant un facile triomphe, il s'emparait le 9 Mai de la ville du Cap-Haïtien où il ne tarda pas à être assiégé. Pendant six mois il tint en échec toutes les forces du gouvernement. Et en Août le Président d'Haïti se vit obligé d'aller en personne prendre le commandement de l'armée d'investissement; il avait établi son quartier-général à l'Acul dont le port fut momentanément ouvert au commerce étranger. Le 19 Octobre 1865 le "Jamaica Packet," un navire de commerce anglais, se présenta en ce port, chargé d'armes, de munitions et d'approvisionnement pour les troupes du gouvernement. Un steamer appartenant à la flottille des insurgés "La Providence," commandé par le capitaine Villanueva, ouvrit le feu sur le "Jamaica Packet." Un navire de guerre anglais, "Le Bulldog," vint au secours du "Jamaica Packet." Le commandant de "La Providence" eut une vive altercation avec celui du "Bulldog" qu'il accusa de protéger un steamer qui était au service du Président Geffrard.

Quand cet incident fut connu au Cap-Haïtien, Salnave, dont la fougue ne reculait devant aucun obstacle, fit enlever du Consulat anglais quelques-uns de ses adversaires qui s'y étaient réfugiés et défendit toutes relations avec l'équipage du "Bulldog."

Malgré les louables efforts tentés par le commandant Walker du navire de guerre américain "De Soto" pour empêcher le recours à la violence, le commandant Wake, du "Bulldog," ouvrit subitement le feu, le 23 Octobre, sur les fortifications du Cap-Haïtien, Les Haïtiens acceptèrent la lutte. L'artillerie du Bulldog" coula le bateau de Salnave, "La Providence”; mais un boulet des batteries du Cap-Haïtien endom

.magea l'une des chaudières du navire de guerre anglais qui s'était échoué durant le combat. Le capitaine Wake, vers les 9 heures du soir, fit sauter le "Bulldog"; il fut recueilli avec son équipage par le "De Soto."

A la suite de cet incident le Chargé d'Affaires d'Angleterre se rendit en rade du Cap-Haïtien. N'ayant pas obtenu les satisfactions qu'il avait réclamées, il laissa le commandant Macguire, de la frégate "Galatea," libre d'agir à sa guise. Le 9 Novembre au matin la "Galatea" et d'autres bateaux anglais se mirent à bombarder le Cap-Haitien. Profitant de l'émoi causé aux insurgés par cette agression d'une grande Puissance, les troupes du gouvernement attaquèrent cette ville dont ils réussirent à s'emparer. L'insurrection fut ainsi écrasée. Mais Salnave et ses principaux lieutenants avaient eu le temps de se réfugier sur le "De Soto."

L'action de l'Angleterre avait produit un pénible effet. L'Haïtien accueille toujours avec déplaisir l'immixtion de l'étranger en ses affaires de famille. La malheureuse intervention de la Grande Bretagne fit oublier tout le bien réalisé par Geffrard dont la popularité fut définitivement compromise en dépit de la visite que lui rendit en Janvier 1866 Mr. Seward, Secrétaire d'Etat des Etats-Unis. De nouvelles émeutes eurent vite effacé la bonne impression causée par cet acte de courtoisie internationale. Le 23 Février 1866 Prosper Elie et son fils Justin, Victor Boyer, après avoir en vain tenté de soulever la population de Portau-Prince, s'étaient réfugiés au fort Lamarre où ils trouvèrent la mort. Les habitants de la Capitale étaient à peine remis de cette échauffourée qu'ils furent cruellement éprouvés. Le 19 Mars un incendie, éclaté dans les environs du bazar John Hepburn, consuma le quartier de la Place Geffrard et la partie centrale de la ville. Puis, coup sur coup, ont lieu en Juillet et en Août des mouvements insurrectionnels aux Gonaïves, à Hinche, à Saint-Marc. Dans cette dernière ville le

Au sujet de l'affaire du "Bulldog," voir aux Annexes le rapport de Mr. Peck à Mr. Seward, Secrétaire d'Etat des Etats-Unis.

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conseil de guerre condamna à mort, le 24 Septembre, Ovide Cameau, Claudius Pierre-Claude, Thoby père et fils, Vigne, Prudo, etc. Comme couronnement d'une année si agitée, le 12 Septembre à 4 heures du matin les poudres accumulées à l'arsenal de Port-au-Prince prirent feu on ne sut jamais comment; une formidable explosion en résulta qui détruisit beaucoup de maisons et fit de nombreuses victimes.

Ces insurrections répétées que la sévérité déployée ne parvenaient point à décourager, ces grandes calamités qui ajoutaient au mécontentement populaire, assombrirent le Président. Le découragement l'envahit toutà-fait quand il vit son corps de prédilection, le régiment des tirailleurs, se mutiner et ouvrir, dans la nuit du 23 Février 1867, le feu sur le Palais National qu'il habitait. Ayant sincèrement désiré le bonheur de son pays et s'illusionnant sur l'efficacité des moyens qu'il avait employés pour le réaliser, Geffrard crut voir une immense ingratitude dans la résistance opiniâtre qui lui avait été opposée. Le 13 Mars 1867 il donna sa démission et partit pour la Jamaïque où il vécut jusqu'à sa mort survenue le 31 Décembre 1878.

En rétablissant la République, Geffrard avait commis l'erreur d'accepter la présidence à vie. S'il avait fait limiter la durée de son mandat, ses adversaires auraient pris patience et son administration aurait pu ouvrir une ère nouvelle pour le pays. Quoi qu'il en puisse être, le passage de Geffrard au pouvoir ne constitue pas moins l'une des époques les plus brillantes de l'histoire d'Haïti. Des idées de progrès et de réforme s'étaient emparées des esprits. L'on désirait sincèrement évoluer. Une forte réaction avait suivi la chute de l'Empire; après le long silence qu'il avait imposé, chacun retrouvait sa voix et l'on crut facile la conquête immédiate de toutes les libertés dont on voulut tout de suite assurer le règne. Cet idéal élevé devait aboutir à des conflits avec le Pouvoir Exécutif moins pressé et toujours lent à céder à la pression de l'opinion. C'est pourquoi le gouvernement de Geffrard eut à réprimer tant de mouvements populaires.

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