Page images
PDF
EPUB

noncer à la dictature. Déjà le Cap-Haïtien, tout le département du Nord-Ouest s'étaient rangés du côté de l'insurrection. Un coup de main hardi vint enfin mettre un terme à la lutte qui ensanglantait la République. Le 18 Décembre 1869 à 3 heures du matin les Généraux Brice et Boisrond-Canal surprirent Portau-Prince où ils débarquèrent à la tête de 1,200 hommes; ils s'étaient au préalable emparés de la corvette de guerre "La Terreur." Les rues de la Capitale furent transformées en champ de bataille. Salnave ne se résigna à quitter le Palais National que le 19 au matin quand les premiers boulets lancés par "La Terreur" commencèrent à y tomber. Un obus atteignit les poudres accumulées dans cette demeure de nos Chefs d'Etat qui fit explosion. Un incendie en résulta, qui détruisit tout le quartier du Morne-à-Tuf. Salnave gagna Pétionville et, quoique poursuivi par les troupes de l'insurrection victorieuse, il réussit à franchir les. frontières dominicaines. Le Général Cabral qui était alors en armes contre le Président Baez, eut le triste courage de livrer l'infortuné qui se fiait à sa générosité. Salnave et ses compagnons de malheur, Alfred Delva, St-Lucien Emmanuel, Errié, Ulysse Obas, Pierre-Paul St-Jean furent remis aux troupes haïtiennes. L'ancien Président ramené à Port-au-Prince le 15 Janvier 1870 fut déféré le même jour à un tribunal militaire qui le condamna à mort. Et, à six heures du soir, garrotté à un poteau planté sur les ruines encore fumantes du Palais National, il expira sous les balles du peloton d'exécution. L'on n'avait même pas employé un simulacre de jugement pour ses malheureux compagnons. Le matin du 15 Janvier ils furent sans autre forme de procès massacrés à la Croix-des-Bouquets.

Le 27 Décembre 1869 un gouvernement provisoire avait été constitué comme suit: Nissage Saget, président; Michel Domingue, vice-président; Nord Alexis, Dupont jeune et Volmar Laporte, membres.

CHAPITRE XVII.

Nissage Saget (19 Mars 1870-13 Mai 1874)-Retrait du papiermonnaie-Affaire Batsch-Incident du Hornet-Incident Dominicain-Le peuple haïtien envoie une médaille d'or au Sénateur Charles Sumner-Dissidence à la Chambre des Députés-Nissage Saget à l'expiration de son mandat, se retire à Saint-Marc.

Le 19 Mars 1870 l'Assemblée Nationale réunie à Port-au-Prince élut le Général Nissage Saget, président d'Haïti pour quatre ans ; son mandat devait prendre fin le 15 Mai 1874.

L'administration du nouveau Chef de l'Etat fut consacrée à effacer les traces du terrible bouleversement qui venait de remuer le pays. Il fit de son mieux pour respecter la Constitution qui avait coûté tant de sang. Les libéraux, en pleine possession du pouvoir, ne se montrèrent pourtant pas très-circonspects. Instruits par l'expérience d'un passé tout récent, ils devaient profiter de la bonne volonté du Premier Magistrat de la République pour consolider petit-à-petit les libertés publiques. Mais ils voulurent tout obtenir à la fois; ils s'efforcèrent surtout de subordonner le Pouvoir Exécutif au Corps Législatif; les Ministres qui n'avaient pas les sympathies des Députés se voyaient forcés de donner leur démission. Les Chambres ne tardèrent donc pas à être en mésintelligence avec le Président d'Haïti. Diverses réformes utiles eurent pourtant lieu. La plus importante fut le retrait intégral du papier-monnaie. Une loi du 24 Août 1872 avait autorisé cette mesure. A l'aide d'un emprunt contracté dans le pays même le papier-monnaie fut racheté et la monnaie d'argent et d'or des Etats-Unis lui fut substituée.

Deux insignifiantes tentatives d'insurrection troublèrent seules les quatre années de la présidence de Nissage Saget. Le 15 Mars 1872 Cinna Lecomte essaya de provoquer des troubles au Cap-Haïtien. Il échoua, fut pris et exécuté. Le 3 Mars de l'année suivante Galumette provoqua aux Gonaives, aux cris de "Vive Salomon," une émeute qui fut vite étouffée. La paix fut donc parfaite et permit au pays de se relever.

Néanmoins des incidents imprévus faillirent provoquer de graves complications internationales. Au cours de la guerre franco-allemande, Haïti n'avait pu s'empêcher de témoigner ses sympathies à la France. A peine victorieuse l'Allemagne pensa à faire expier à ce petit peuple la vivacité de ses sentiments. Sous prétexte d'exiger le paiement de la somme de 3,000 livres sterling réclamée pour deux sujets de l'Empire,' le capitaine Batsch, commandant la frégate "Vineta, arriva en rade de Port-au-Prince le 11 Juin 1872. I s'empressa de saisir deux des navires de guerre haïtiens qui, ne s'attendant à aucune attaque, étaient paisiblement au mouillage et hors d'état d'offrir la moindre résistance. Indigné de cette brutale agression, mais sentant en même temps son impuissance, le peuple, selon l'expression de son poète national, Mr. Oswald Durand, "jeta l'argent aux Allemands comme on jette un os aux chiens." Batsch empocha l'or, rendit les deux navires de guerre et partit. Mais le ressentiment causé par son injustifiable action persiste encore. Une autre grave difficulté avait été provoquée par l'Espagne. Elle, non plus, n'avait négligé aucune occasion d'humilier Haïti. Aussi, elle ne dut point s'éton

Les deux sujets allemands étaient Mr. Dieckmann, négociant à Miragoane, et Mr. Stapenhort, négociant au Cap-Haïtien. Des bois de campêche appartenant à Dieckmann auraient été enlevés et vendus par des fonctionnaires de l'administration de Salnave. Quant à Stapenhort, ses griefs dataient de plus de sept ans; ils n'ont été, à ma connaissance, du moins, ni exposés ni examinés. En ce qui concerne la réclamation Dieckmann, une commission en avait reconnu le bien fondé et venait d'accorder au plaignant une indemnité de $5,000. Deux heures après l'arrivée des frégates "Vineta" et "Gazelle" en rade de Port-auPrince, le capitaine Batsch demanda au gouvernement haïtien de lui compter L 3,000 avant le coucher du soleil.

ner de l'indifférence qui accueillit sa détresse et ses revers. Ses malheurs ne purent faire oublier l'arrogance d'antan.

Dès les premiers coups de fusil tirés à Cuba, la cause de l'indépendance avait eu toutes les sympathies du peuple haïtien. Son territoire était devenu un asile sûr pour tous les malheureux qui étaient obligés de fuir les supplices ou les prisons espagnoles. L'on était au plus fort de la lutte quand, en Janvier 1871, un petit steamer, "Le Hornet," portant pavillon des Etats-Unis se réfugia en la rade de Port-au-Prince, poursuivi par deux navires de guerre espagnols. A cette époque la marine américaine n'était pas aussi redoutable qu'en 1898. Le "Hornet" fut accusé d'avoir de la contrebande de guerre pour Cuba. Les officiers espagnols le réclamèrent hautainement. Sur l'attestation du Ministre des Etats-Unis que les papiers du "Hornet" étaient réguliers, Haïti refusa de livrer le navire. La présence des navires de guerre en rade de Port-au-Prince et les menaces de l'Espagne ne purent ébranler sa résolution. Le Consul de ce pays alla jusqu'à notifier, le 5 Octobre 1871, un ultimatum fixant le délai de 24 heures pour la remise du "Hornet" qu'il considérait comme pirate. Le différend menaçait de dégénérer en un conflit violent quand les Etats-Unis décidèrent de faire conduire le "Hornet" à New York ou à Baltimore. Le navire de guerre "Congress" se rendit, en conséquence, à Port-au-Prince en Janvier 1872. Le départ du "Hornet" mit fin à la responsabilité qui pesait sur Haïti.

Aux ennuis que cet incident avait donnés au gouvernement haïtien s'ajoutaient les préoccupations causées par les remontrances des Etats-Unis au sujet de la République Dominicaine. Le Président Grant avait cru devoir conclure avec le Général Baez un traité relatif à l'annexion de cette République. Les Dominicains, naturellement mécontents de ce trafic de leur indépendance, se révoltèrent contre le gouvernement qui avait trahi leur confiance. Cabral et Luperon, les deux chefs de l'insurrection, protestèrent contre le projet d'annexion. Les Etats-Unis voulurent pourtant

rendre Haïti responsable de la guerre civile qui ensanglantait la République Dominicaine. Dès le mois de Janvier 1870 Mr. Bassett, Ministre des Etats-Unis à Port-au-Prince, avait fait connaître au gouvernement haïtien que son pays était en pourparler avec Baez et lui avait demandé de s'abstenir de toute intervention dans les affaires dominicaines. Et le 9 Février 1871 Mr. Hamilton Fish, Secrétaire d'Etat, écrivit à son Ministre à Port-au-Prince qu'il lui était difficile d'ajouter foi aux assurances données à ce sujet par Haïti.2 L'énergique opposition que le traité rencontra au Sénat de la part de Mr. Charles Sumner décida le Président Grant à envoyer une commission à Santo Domingo. Deux membres de cette commission, le Sénateur Wade et le Docteur Howe, accompagnés de Mr. Frédéric Douglass, secrétaire, arrivèrent à Port-au-Prince le 3 Mars 1871 sur le "Tennessee." Ils furent reçus par le Président le lendemain et les vues qu'ils échangèrent contribuèrent à dissiper le malentendu qui avait failli altérer les relations des deux pays. Dans le cours de l'entrevue le Docteur Howe fit savoir qu'il était l'ami du Sénateur Charles Sumner. Le Président Saget lui prit la main et le pria de transmettre au Sénateur du Massachusetts cette étreinte comme venant de la Répu

2 Mr. Fish à Mr. Bassett.

No. 58. Monsieur,

Département d'Etat, Washington, 9 Février 1871.

Les assurances qui vous ont été données par le gouvernement haïtien au sujet de sa disposition à rester entièrement neutre dans la lutte des partis dominicains ayant respectivement à leur tête Baez et Cabral, ne semblent pas avoir été exprimées d'une façon à inspirer pleine confiance dans leur sincérité. Si l'on se rappelle que pendant un temps assez long la partie française et la partie espagnole de l'île de Saint-Domingue ont été toutes deux sous la seule autorité d'Haïti, et que la politique de ce gouvernement a tendu non seulement à s'opposer à l'indépendance de la partie espagnole de l'île, mais encore à empêcher son occupation par une Puissance étrangère, la difficulté d'ajouter une foi complète aux assurances que ce gouvernement peut donner au sujet de sa disposition à ne pas se mêler des affaires dominicaines paraîtra évidente. La protestation des Haïtiens contre la récente tentative de l'Espagne de regagner un pied-à-terre dans cette île n'est pas encore oubliée du public.

[ocr errors]

Documents concernant les affaires étrangères des Etats-Unis. Washington, 1871, page 566.

« PreviousContinue »