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inquiété par le gouvernement anglais, conspirer à la Jamaïque contre la paix publique. Le 27 Mars 1883 un steamer Américain le "Tropic" le débarqua à Miragoane. L'insurrection qu'il provoqua fut écrasée, mais elle coûta cher au pays qui, outre les dépenses pour la réduire, eut à payer d'énormes indemnités pour des dommages plus ou moins réels éprouvés par des étrangers tant à Port-au-Prince qu'ailleurs. L'on doit rendre cette justice au gouvernement des Etats-Unis qu'il fit poursuivre l'équipage du "Tropic." Le Capitaine de ce steamer fut condamné à Philadelphie pour avoir violé la loi de la neutralité.

Au début de son administration, Salomon eut à aplanir le conflit qui avait surgi entre l'autorité civile et le clergé catholique. Dès la proclamation de l'indépendance les Haïtiens avaient établi la liberté des cultes et le mariage civil. Et, en vertu des lois en vigueur il était défendu au Ministre d'un culte quelconque de procéder à aucun mariage sans se faire présenter l'acte du mariage civil. Le clergé catholique avait petit-à-petit pris l'habitude de ne pas se conformer à ces prescriptions. Il en vint à réclamer le droit de célébrer les mariages religieux sans se préoccuper de la cérémonie civile. L'opinion se pasionna pour ou contre ces prétentions. Sur une menace de Salomon de réaliser le vœu émis par la Chambre des Députés de voir dénoncer le Concordat signé en 1860 avec le Saint-Siège, les prêtres se montrèrent plus circonspects; depuis ils se sont efforcés de concilier leurs scrupules religieux avec l'intérêt bien entendu du peuple haïtien.

A part les difficultés à vaincre à l'intérieur, le gouvernement de Salomon eut, comme celui de BoisrondCanal, à lutter contre les réclamations de certaines Puissances étrangères. Les Etats-Unis avaient persisté dans leur demande d'indemnités en faveur de Pelletier et de Lazare. La discussion, en se prolongeant

2 Voir pour les détails des affaires Lazare et Pelletier, pages 229, 230, 231.

trop, menaçait de devenir irritante. Pour en finir, le gouvernement haïtien dut consentir à soumettre ces deux affaires à l'arbitrage. En vertu d'un protocole' signé le 28 Mai 1884 par Mr. Preston, Ministre d'Haïti, et Mr. Frelinghuysen, Secrétaire d'Etat des EtatsUnis, le différend fut déféré à l'examen de Mr. William Strong, ancien juge à la Cour Suprême des EtatsUnis. La sentence de l'arbitre, rendue le 13 Juin 1885, fut une vraie surprise. La République d'Haïti fut condamnée à payer à A. H. Lazare la somme de $117,500 avec des intérêts de 6 pour cent l'an à partir du ler Novembre 1875, et au forban Pelletier la somme de $57,250.

A l'occasion de ces deux sentences où la bonne foi de l'arbitre avait été évidemment surprise, le Département d'Etat à Washington donna une preuve éclatante du sentiment d'équité et de justice qui place les Etats-Unis si haut dans l'estime des peuples faibles. Emue d'une condamnation considérée à bon droit comme injuste, la République d'Haïti qui, quoi qu'en disent ses détracteurs, a toujours respecté ses obligations internationales ou autres, ne put s'empêcher de protester contre les décisions de l'arbitre et d'en appeler cette fois au Secrétaire d'Etat des Etats-Unis. Elle établit que Lazare n'avait jamais eu ni capitaux ni crédit pour organiser la Banque dont la concession lui avait été accordée. Quant à Pelletier, son crime était tellement évident que Mr. Seward, alors Secrétaire d'Etat, avait refusé de lui prêter son concours; et, dans une note adressée le 30 Novembre 1863 au Commissaire des Etats-Unis à Port-au-Prince, il s'exprimait comme suit: "La conduite de Pelletier à Haïti et sur ses côtes était "de nature à donner aux autorités de cette République "de raisonnables causes de suspicion contre lui, ce qui "a provoqué son arrestation, son jugement et sa con"damnation conformément aux lois, et il ne serait pas

The American and Haitian Claims Commission.-Claim of A. H. Lazare, p. 1.

• Voir sa lettre du 13 Avril 1861 à Mr. Seward. Claim of Antonio Pelletier, p. 1,099.

"convenable de s'en mêler." Et Mr. Gorham Eustis Hubbard, le même qui en 1861 était Agent Commercial des Etats-Unis au Cap-Haïtien, appelé à déposer le 22 Février 1885, avait fait la déclaration suivante: "De "cette époque jusqu'à ce jour ma conviction est que le "gouvernement haïtien aurait dû faire exécuter cet "homme comme pirate et confisquer son navire et tout "ce qui lui appartenait.""

Le Sénat des Etats-Unis, en Juin 1874, avait refusé de prendre en considération la plainte d'Antonio Pelletier. Saisie en 1868 et en 1878 de la même plainte, la Chambre des Représentants s'était abstenue de la recommander au Département d'Etat.

Aussi, sur la demande de la Légation d'Haïti à Washington, le Département d'Etat consentit à examiner de nouveau les deux affaires; et finalement il dispensa la République d'Haïti de payer le montant des condamnations prononcées contre elle. Les considérations contenues à ce sujet dans un mémoire de Mr. T. F. Bayard en date du 20 Janvier 1887, font honneur à la Grande République de l'Amérique du Nord. Le Secrétaire d'Etat au sujet de Pelletier n'hésita pas à dire ce qui suit: "Cette réclamation, je l'affirme maintenant, est "une de celles que par sa nature aucun gouvernement "civilisé ne doit soutenir Je n'hésite pas à dire "que le gouvernement (des Etats-Unis) ne doit pas "soutenir, soit par la persuasion, soit par la force, la "réclamation de Pelletier contre Haïti, et je suis arrivé "à cette conclusion d'abord parce qu'Haïti avait qualité "pour lui infliger la punition même dont il se plaint, "punition qui n'est aucunement excessive vu l'énormité "du crime, ensuite parce que sa cause est en elle-même "tellement saturée de turpitude et d'infamie qu'elle ne "peut servir de base à aucune action soit judiciaire soit "diplomatique."

*

En ce qui concerne Lazare, Mr. Bayard conclut par la phrase suivante qui sera lue avec plaisir par tous ceux qui croient en la justice et en l'honneur des Etats

• Déposition de Mr. Hubbard. Claim of Antonio Pelletier, p. 1,120. • Foreign Relations of the United States, 1888, p. 593.

Unis: "Il est essentiel que les rapports entre nations "soient marqués par le plus grand sentiment de l'hon"neur aussi bien que par l'honnêteté, et du moment que "le gouvernement des Etats-Unis s'aperçoit qu'une ré"clamation qu'il a faite contre un gouvernement étran"ger ne peut être honorablement et honnêtement sou"tenue, dès ce moment, quel que soit l'état de la procé"dure, cette réclamation doit être rejetée."

Tandisque les Etats-Unis donnaient ainsi une preuve éclatante de leur respect du droit des faibles, l'Angleterre recourait à la menace pour obliger Haiti à payer une indemnité aux Maunder. L'affaire était pourtant de celles qui ressortaient soit à des juges, soit à des arbitres. En effet, d'un côté, la République d'Haïti réclamait les redevances dues sur le bail à ferme de la Tortue; de l'autre, les Maunder prétendaient avoir droit à une compensation pour les dommages que l'action des autorités haïtiennes leur avait causés. Il y avait donc des comptes à examiner et des torts à apprécier. L'Angleterre préféra confier le réglement de l'affaire à un Commissaire spécial et réclama le paiement d'une valeur que son arbitraire seul avait fixée. En Mars 1887 le steamer de guerre "Canada" arriva en rade de Port-au-Prince; et Mr. Clément Hill, Commissaire de Sa Majesté Britannique, juge et partie dans la cause, demanda un réglement immédiat de la question Maunder. Haïti une fois de plus dut céder à la force; pour en finir, elle consentit à payer L 32,000!

A l'étranger l'on ne cesse pourtant de reprocher à la République le mauvais état de ses finances. A-t-on jamais eu l'idée de faire le compte des valeurs arrachées à sa faiblesse? Les assauts répétés livrés au Trésor public par les grandes Puissances ont certes leur large part dans le déficit des budgets haïtiens et les embarras de toutes sortes que le pays a éprouvés.

Quoi qu'il en soit, le Président Salomon ne se laissa point décourager. Il entreprit d'utiles réformes. Il s'était empressé d'entrer en pourparlers avec les porteurs de titres de l'Emprunt de 1875. Une entente

Voir pour les détails de l'affaire Maunder, p. 229.

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