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intervint entre eux et le représentant du gouvernement haïtien à Paris. Depuis, les intérêts de cet emprunt ont été scrupuleusement payés; et chaque année une partie de la dette est amortie. En 1922 cet emprunt sera entièrement remboursé.

Convaincus de la bonne foi du gouvernement haïtien, des capitalistes français acceptèrent d'établir une Banque d'Etat à Haïti. Cette Banque, connue sous le nom de Banque Nationale d'Haïti, fonctionne depuis 1881. Elle était chargée du service de la Trésorerie; c'est-à-dire, agissant en vertu d'instructions du Ministre des Finances, elle encaissait les recettes de la République et faisait ses paiements tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Elle n'a pas toujours donné l'exemple de ce contrôle rigide auquel les Haïtiens étaient en droit de s'attendre. Quatre ans à peine après son installation un premier scandale éclatait : des mandats et des ordonnances déjà payés furent retrouvés en circulation. Un retentissant procès en fut la conséquence. Un Américain, des Anglais, des Français et des Haïtiens y furent impliqués. Un Anglais, Mr. Coles, et un Français, Mr. Clouchet, furent condamnés à trois ans de réclusion; les autres furent renvoyés hors de cour ou acquittés. En 1904 la Banque allait être encore compromise dans une vaste fraude. Et son Directeur, le chef de ses succursales, tous deux Français, son sousdirecteur, son chef de portefeuille, deux Allemands, convaincus de participation à une frauduleuse émission de titres, se verront condamnés à des peines sévères. Décidément l'étranger ne donne guère l'exemple de la probité aux Haïtiens; il n'a certainement pas le monopole de la vertu.

A part la déception causée par ces actes de la Banque, l'Institution honnêtement administrée peut certes rendre des services au pays. Elle est incontestablement un instrument de progrès. Dès son avénement au pouvoir Salomon s'était préoccupé de faire admettre Haïti dans l'Union Postale et de la faire relier par le télégraphe au reste du monde civilisé. Les pourpar

lers aboutirent vite. Depuis 1880 Haïti fait partie de l'Union Postale; et depuis 1887 elle a son câble sousmarin.

Salomon s'efforça aussi de donner une vive impulsion à l'agriculture. Sous son administration il y eut à Port-au-Prince une exposition nationale de tous les produits du pays; exposition qui eut le plus grand succès.

L'on doit à Salomon la création pratique de l'Ecole Nationale de Droit d'où sortent aujourd'hui des avocats et des juges distingués; ce qui a ainsi épargné à beaucoup de familles la nécessité d'envoyer leurs enfants à l'Ecole de Droit de Paris.

Les pouvoirs de Salomon devaient expirer le 15 Mai 1887. L'Assemblée Nationale crut devoir les prolonger. A cet effet la Constitution qui ne permettait pas de réélection fut modifiée; et le 30 Juin 1886 Salomon fut réélu Président d'Haïti pour un nouveau terme de sept ans. Il prêta serment le 15 Mai 1887.

Ce nouveau septennat ne fut pas heureux. Et le peuple haïtien qui avait si longtemps lutté pour abolir la présidence à vie parut peu satisfait de cette réélection. Le Général Séide Thélémaque, qui commandait l'arrondissement du Cap-Haïtien, se fit l'écho du mécontentement éprouvé à ce sujet. Le 4 Août 1888 il se mit en rébellion. Le 10 Août la population de Port-auPrince se livra aussi à des manifestations hostiles. Il n'y eut pourtant d'effusion de sang ni au Cap-Haïtien, ni à Port-au-Prince. Salomon, qui d'ailleurs était souffrant, fit connaître le 10 Août au matin son intention de renoncer à son mandat. Dans l'après-midi, il partit pour France.

• Salomon mourut à Paris le 19 Octobre 1888,

CHAPITRE XXI.

Séide Thélémaque-F. D. Légitime (16 Décembre 1888-22 Août 1889) -Incident du Haytian Republic-Départ de Légitime.

Après le départ de Salomon deux candidats se trouvèrent en présence: le Général Séide Thélémaque, ancien commandant de l'arrondissement du Cap-Haïtien, et l'ex-Sénateur F. D. Légitime, ancien Secrétaire d'Etat de l'Agriculture. La campagne électorale fut vivement conduite. Le 17 Septembre 1888 les élections des Constituants chargés de nommer le nouveau Président d'Haïti avaient eu lieu dans toute la République. Les chances semblaient en faveur de Mr. Légitime. Dans la nuit du 28 Septembre un malheureux conflit éclata à Port-au-Prince entre les partisans des deux candidats. Le Général Séide Thélémaque essaya en personne de rétablir l'ordre. Dans l'obscurité une balle l'atteignit à l'abdomen; il ne tarda pas à mourir. Ce triste accident dû à l'effervescence des esprits eut de graves conséquences. Les départements du Nord, du Nord-Ouest et de l'Artibonite où le défunt avait beaucoup de sympathies tinrent son compétiteur pour responsable de cet événement; ils demandèrent l'effacement du Sénateur Légitime; et leurs Constituants se réunirent à Gonaïves. Mais les départements de l'Ouest et du Sud prirent fait et cause pour ce dernier qu'ils savaient incapable de participer à un crime, si crime il y avait. En laissant les élus de la nation choisir librement le nouveau Chef de l'Etat, l'on aurait évité une inutile effusion de sang. Mais d'un côté l'on insista pour que Mr. Légitime renonçât purement et simplement à sa candidature; de l'autre côté, l'on s'irrita de cette espèce d'injonction. Les protestataires, comme

s'appelaient les amis de feu le Général Thélémaque, se donnèrent pour Chef provisoire le Général Hyppolite qui s'établit au Cap-Haïtien.

Les Constituants de l'Ouest et du Sud, réunis à Portau-Prince, avaient, le 14 Octobre 1888, nommé Mr. Légitime Chef du Pouvoir Exécutif. Ils espéraient ainsi décider les Constituants du Nord, du Nord-Ouest et de l'Artibonite à se joindre à eux pour élire définitivement le Président de la République; se voyant déçus dans leur attente, ils résolurent d'organiser le gouvernement; le 16 Décembre ils élurent donc Mr. Légitime Président d'Haïti.

Ce dernier fut reconnu par les puissances européennes. Mais les Etats-Unis prirent une attitude expectante. Et les Américains, émus sans doute de l'intimité qui existait entre le Comte de Sesmaisons, Ministre de France, et le nouveau Chef de l'Etat, ne tardèrent pas à manifester la préférence qu'ils accordaient à la cause que représentait le Général Hyppolite. De graves complications faillirent résulter de cette partialité. Le 22 Octobre 1888, au moment où il quittait le port de Saint-Marc, le steamer "Haytian Republic" fut capturé par la corvette haïtienne "Le Dessalines." Ce steamer avait touché à diverses villes du Sud où une délégation envoyée par le Général Hyppolite et qui fut trouvée à bord, avait essayé de détacher ces villes de l'autorité de Légitime; il avait auparavant transporté des soldats, des armes et des munitions pour le compte des adversaires de ce dernier. Le "Haytian Republic" fut livré à un Tribunal des Prises qui en ordonna la confiscation. Le Département d'Etat intervint en faveur de la Compagnie à laquelle ce navire appartenait. Après des pourparlers assez longs le gouvernement haïtien se décida à remettre le "Haytian Republic"; et le 20 Décembre le contre-amiral Luce fut autorisé à en prendre possession.

Le sort ne fut pas favorable à Légitime. Le 22 Août 1889 il renonça au pouvoir et quitta Port-au-Prince.1

2 Depuis 1896 Légitime est retourné à Port-au-Prince où il vit encore.

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