Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XXII.

Hyppolite (9 Octobre 1889-24 Mars 1896)—Les Etats-Unis et le Môle Saint-Nicolas-Les Etats-Unis et Samana-Haïtiens inscrits à la Légation de France-Exposition de Chicago-Télégraphes terrestres-Téléphones-Constructions diverses-Mort d'Hyppolite.

Réunis aux Gonaïves le 24 Septembre 1889, les Constituants revisèrent la Constitution; et le 9 Octobre ils élurent le Général Hyppolite Président d'Haiti pour sept ans. Celui-ci prêta serment le 17 Octobre. A peine arrivé au pouvoir il eut à s'occuper d'un incident assez délicat. Pensant avoir droit à quelque compensation pour les sympathies accordées à sa cause, les Etats-Unis résolurent d'obtenir le Môle Saint-Nicolas pour une station navale. Ils commirent l'erreur de croire que le peuple haïtien autoriserait l'aliénation d'une partie du pays. C'est un point sur lequel il est extrêmement chatouilleux; et le Président d'Haïti qui essaierait soit de trafiquer de l'indépendance de la nation, soit de porter atteinte à l'intégrité de son territoire, verrait tous les partis s'unir immédiatement pour la défense des intérêts communs; il lui serait difficile de maintenir son autorité. Peu au courant de l'état des esprits à Haïti, le Président Harrison, inspiré par Mr. Blaine, alors Secrétaire d'Etat, chargea le contreamiral Bancroft Gherardi d'aller négocier l'acquisition du Môle Saint-Nicolas. Afin d'intimider sans doute les Haïtiens, toute une escadre américaine fut dépêchée à Port-au-Prince. Plus de cent canons et de deux-mille hommes devaient appuyer les pourparlers. L'effet produit fut le contraire de celui qu'on attendait. Devant ce déploiement de forces la nation entière n'eut qu'un cri de protestation; et le Président Hyppolite se

66

66

vit obligé de prendre une attitude d'autant plus ferme qu'on le soupçonnait de partialité envers les Américains. Préparée à bord du "Philadelphia," steamer sur lequel flottait le pavillon du contre-amiral Gherardi, la demande de cession du Môle Saint-Nicolas contenait à peu près la condition suivante: "Aussi longtemps que les Etats-Unis occuperont le Môle Saint-Nicolas, le gouvernement d'Haïti ne louera ou ne cédera aucun 'port ou aucune partie de son territoire, et n'accordera "aucun privilège spécial ou aucun droit de s'en servir à "aucune autre puissance, à aucun autre Etat ou à aucun "autre gouvernement."1 Dans son empressement d'obtenir ce qu'il croyait un facile succès, le contre-amiral Gherardi avait agi seul; il n'avait pas cru devoir faire signer la demande de cession par Mr. Frederick Douglass, alors Ministre des Etats-Unis à Port-au-Prince. Le Secrétaire d'Etat des Relations Extérieures d'Haïti, Mr. A. Firmin, profita de cette faute pour réclamer les lettres de créance du contre-amiral; ce dernier n'en avait point. Il lui fallut bien les demander à Washington. Et quand il reçut les lettres du Président Harrison l'accréditant comme Commissaire Spécial, l'opinion publique était tellement surexcitée à Haïti par le séjour prolongé de la puissante escadre blanche, qu'il aurait été impossible au gouvernement haïtien d'essayer de faire même des concessions de forme aux Etats-Unis. Le Secrétaire d'Etat des Relations Extérieures se retrancha derrière la Constitution qui défend toute cession de territoire et les pourparlers furent rompus.*

Cet échec ne découragea point le Président Harrison et Mr. Blaine. Décidés à donner dans les Antilles une station navale aux Etats-Unis, ils s'adressèrent en 1892 à la République Dominicaine. Mr. Durham, qui avait

The North American Review. Octobre 1891. Haiti and the United States by the Hon. Frederick Douglass.

2 Aux Etats-Unis l'on a dans le temps rendu à tort Mr. Douglass responsable de l'échec du contre-amiral Gherardi. Il fut remplacé par Mr. Durham. Les Haïtiens iront aux pires extrémités pour empêcher la moindre atteinte à l'intégrité de leur territoire ou à leur souveraineté. La Puissance qui tenterait de méconnaitre ce sentiment doit être prête à une lutte sans merci.

remplacé Mr. Douglass comme Ministre à Haïti et Chargé d'Affaires à Santo Domingo, fut chargé d'affermer la baie de Samana pour 99 ans et moyennant la somme de $250,000. Effrayé de la responsabilité qu'il assumerait envers son pays en signant un pareil acte, le Général Ignacio Gonzalez, alors Ministre des Relations Extérieures du Président Heureau, révéla au public l'objet de la mission de Mr. Durham et partit pour l'exil. Son attitude obligea le Président Heureau à abandonner les négociations.

L'affaire du Môle Saint-Nicolas ne fut pas la seule grosse difficulté internationale que l'administration du Général Hyppolite ait eu à régler. La Légation de France à Port-au-Prince avait petit-à-petit pris l'habitude d'accorder une sorte de naturalisation sur place. Des Haïtiens prétendant descendre de parents français se faisaient simplement inscrire à cette Légation; selon l'expression consacrée à l'époque, ils revendiquaient leur ancienne nationalité. Il y avait là un abus intolérable. Le Secrétaire d'Etat des Relations Extérieures entreprit de le faire cesser. Après de longues discussions la France finit par céder. Elle admit les raisons invoquées par Haïti et ordonna à son Ministre à Portau-Prince de faire radier les inscriptions qui avaient eu lieu contre tout droit.

Le Président Hyppolite eut de très bonnes relations avec toutes les Puissances étrangères. En 1892 le Saint-Siège donna à la République une marque de son sincère désir d'entretenir avec elle des rapports plus cordiaux. Monseigneur Jules Tonti fut accrédité auprès du Président Hyppolite en qualité de Délégat Apostolique et Envoyé Extraordinaire.

Haïti ne négligea non plus rien pour faire apprécier ses produits au dehors; elle prit une brillante part à l'Exposition de Chicago.3

Le peuple haïtien ayant appris que Mr. Fred. Douglass avait cessé d'être Ministre des Etats-Unis à Port-au-Prince pour avoir été injustement accusé de lui avoir montré trop de sympathies, saisit l'occasion de l'Exposition de Chicago pour lui offrir un témoignage de son estime. Mr. Douglass fut avec Mr. Charles Preston nommé Commissaire d'Haïti à cette Exposition.

A l'intérieur le Président Hyppolite donna une forte impulsion aux travaux publics. Des débarcadères furent construits dans divers ports; des marchés monumentaux s'élevèrent à Port-au-Prince et au Cap. Diverses villes de la République eurent le bénéfice de distributions d'eau à domicile. Une ligne de télégraphes terrestres relia entre eux presque tous les points du pays. Le service téléphonique, inauguré par Mr. Geffrard Cesvet, fut introduit tant à Port-auPrince que dans les principaux centres. Un édifice fut bâti pour servir de local à la Chambre des Députés. Et de ses propres deniers le Président Hyppolite fit ériger un monument en marbre blanc à Dessalines, le fondateur de l'indépendance haïtienne. Des soins spéciaux furent donnés à l'entretien des routes publiques. La prospérité revint et permit au gouvernement haïtien de convertir une partie de sa dette intérieure rapportant 18 pour cent d'intérêt. Cette dette fut rachetée au moyen d'un emprunt de cinquante-millions de francs contracté à Paris en 1896 à 6 pour cent d'intérêt l'an. Ce fut la dernière mesure d'importance prise par l'administration du Général Hyppolite.

Depuis quelque temps le Président, qui avait déjà près de 69 ans, ne jouissait pas d'une très bonne santé; et, malgré les pressants conseils de ses amis, il refusa constamment de se reposer un peu. Il décida, contre l'avis formel de son médecin, d'aller par terre à Jacmel. Le 24 Mars 1896 à trois heures du matin il se mit en route. Il n'eut pas le temps de sortir de Port-auPrince. A peu de distance du Palais National, à l'intersection de la Rue Républicaine et de la Rue de Bretagne, il tomba de cheval, foudroyé par une attaque d'apoplexie. Ses funérailles eurent lieu le 26 Mars.

Le Conseil des Secrétaires d'Etat exerça le Pouvoir Exécutif jusqu'à l'élection du nouveau Président, laquelle eut lieu le 31 Mars.

[graphic][merged small][merged small]
« PreviousContinue »