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CHAPITRE XXIV.

Elections législatives-Echauffourée au Cap-Haïtien-A. Firmin aux Gonaïves-Incident du Markomania-Killick fait sauter la Crètea-Pierrot-Nord Alexis élu Président le 21 Décembre 1902-L'affaire de la Consolidation.

Le gouvernement provisoire ordonna l'élection des Députés qui, avec les Sénateurs à élire aussi, devaient nommer le successeur du Président Sam. Trois candidats aspiraient à cette succession: Mr. Sénèque M. Pierre, Sénateur, ancien Secrétaire d'Etat de la Guerre; Mr. A. Firmin, Ministre Plénipotentiaire d'Haïti à Paris, ancien Secrétaire d'Etat des Relations Extérieures et des Finances; et Mr. C. Fouchard, ancien Secrétaire d'Etat des Finances. Tandisque Messrs. Pierre et Fouchard se contentaient de diriger leurs partisans, Mr. Firmin résolut de prendre une part plus active à la campagne électorale; il se porta candidat à la députation au Cap-Haïtien où il est né. En cette ville la lutte prit immédiatement un caractère ardent et passionné. D'un côté Mr. Firmin ne négligeait rien pour se faire élire Député, de l'autre, ses adversaires, qui sentaient tout le tort qu'un échec ferait à sa candidature à la Présidence, mettaient tout en œuvre pour l'empêcher de réussir. Des rixes avaient déjà éclaté au Cap-Haïtien quand le Général Nord Alexis, qui était un des membres du gouvernement provisoire et Ministre de la Guerre, fut chargé d'aller y maintenir l'ordre. A l'ouverture de l'assemblée primaire le 28 Juin 1902, partisans et adversaires de Firmin en vinrent ouvertement aux mains. Killick qui à ce momentlà était au Cap-Haïtien avec la flottille haïtienne prit

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fait et cause pour ce dernier. Firmin fut pourtant obligé de renoncer à la lutte; le 30 Juin il s'embarqua sur la "Crète-à-Pierrot" et se rendit aux Gonaïves où il avait été élu Député. Dès son arrivée il protesta contre les actes du gouvernement provisoire, déclarant que les élections n'avaient pas été libres. Killick n'avait pas manqué de rester aux Gonaïves avec son candidat. Le 2 Septembre il crut devoir arrêter le steamer allemand "Markomania" et enleva de son bord les armes et les munitions expédiées par le gouvernement provisoire au Général Nord Alexis. A Berlin l'on considéra cet acte comme une piraterie. Le navire de guerre allemand "Panther" arriva le 6 Septembre 1902 aux Gonaïves où se trouvait la "Crète-à-Pierrot." Son commandant demanda que le bateau haïtien lui fut livré dans cinq minutes. Surpris, Killick ne put opposer aucune résistance; il réclama un délai d'un quart d'heure. Il fit débarquer son équipage, mit le feu à une mèche qui aboutissait à la poudrière, alluma un cigare et s'assit pour attendre l'explosion qui ne tarda pas à se produire. Il préféra disparaître avec son navire que de le livrer aux Allemands.

La tragique mort de Killick et la perte de la "Crèteà-Pierrot" enlevaient toute chance de succès à la protestation de Firmin. Ce dernier quitta les Gonaïves le 15 Octobre et se rendit à Inague.

Cependant à la Chambre la campagne électorale continuait des plus vives. Le choix d'un Président menaçait de se faire attendre quand la population de Portau-Prince, fatiguée d'une lutte qui paraissait sans issue, résolut de mettre de côté les trois candidats qui se disputaient le vote des Chambres. Dans la soirée du 17 Décembre 1902 elle se prononça en faveur du Général Nord Alexis que le 21 Décembre l'Assemblée Nationale élut Président d'Haïti pour sept ans. Conformément à l'article 93 de la Constitution haïtienne son mandat expirera néanmoins le 15 Mai 1909.

Dès son avénement le nouveau Chef de l'Etat fit comprendre à tous qu'il entendait que les deniers publics fussent respectés. Des bruits de fraude couraient

au sujet de la consolidation de la dette flottante exécutée sous l'administration du Président Sam; le Général Nord Alexis nomma le 22 Mars 1903 une commission chargée de faire une enquête à ce sujet. Des travaux de cette Commission il résulta qu'une somme d'environ $1,257,993 avait été détournée du Trésor public. L'affaire fut déférée à la justice. Après une instruction qui ne dura pas moins de dix mois, une Ordonnance de la Chambre du Conseil de Port-au-Prince en date du ler Juillet 1904 renvoya au Tribunal Criminel pour y être jugés 1° Joseph de la Myre Mory, ex-directeur de la Banque d'Haïti, français; 2° Georges Oelrich, allemand, ex-sous-directeur de la même Banque; 3° Rodolphe Tippenhauer, allemand; 4° Poute de Puybaudet, français, tous deux employés à ladite Banque; 5o Vilbrun Guillaume, ancien Secrétaire d'Etat de la Guerre; 6° Gédéus Gédéon, ancien Secrétaire d'Etat de la Justice; 7° Brutus Saint-Victor, ancien Secrétaire d'Etat des Relations Exterieures; 8° Hérard Roy, ancien Secrétaire d'Etat des Finances; 9° Démosthène Simon Sam; 10° Lycurgue Simon Sam; 11° Jean-Chrysostome Arteaud; 120 Auguste Léon. Furent aussi renvoyées au Tribunal Criminel les personnes suivantes qui étaient en fuite: Tirésias Simon Sam, Pourcely Faine, Cincinnatus Lecomte, Tancrède Auguste, F. Bernardin, Ed. Défly, J. St-Fort Colin, Stéphen Lafontant, Madame Sam, Anton Jægerhuber, etc.

Le scandale de la Consolidation n'avait pas manqué de créer une forte agitation. Les accusés étaient pour la plupart des personnages influents qui jusque-là avaient joui de la considération publique. Aussi l'on remua ciel et terre pour empêcher leur mise en jugement. La Banque d'Haïti alla jusqu'à déclarer publiquement qu'elle ne prêterait plus aucun concours au gouvernement si l'on ne suspendait toute instruction judiciaire contre ses anciens employés qui seraient mis en liberté et autorisés à quitter le pays. Le Président Nord Alexis, malgré la pression exercée sur lui et en dépit de ses sympathies personnelles pour plusieurs des accusés, se montra inébranlable dans sa résolution

de laisser la justice suivre son cours; et, de son côté, le peuple haïtien resta sourd à toutes les suggestions, à toutes les provocations; il attendit dans le plus grand calme le résultat du procès. Les accusés comparurent enfin le 28 Novembre 1904 devant le Tribunal Criminel de Port-au-Prince. L'instruction et les débats conduits publiquement durèrent près d'un mois. Les Ministres de France et d'Allemagne suivirent en personne les audiences; un avocat de la Cour d'Appel de Paris, Me. Allen, envoyé exprès de France, assista à toutes les péripéties de ce procès célèbre. L'impartialité, la correction de la justice haïtienne furent telles que nos pires détracteurs furent contraints au silence. Tout se passa au grand jour. Quatre-vingt-cinq questions furent posées au jury qui, le 24 Décembre, rendit son verdict, négatif pour Hérard Roy seulement qui fut acquitté. Trouvés coupables, les autres accusés furent, par jugement du 25 Décembre 1904, condamnés aux peines suivantes: J. de la Myre Mory, Georges Oelrich, R. Tippenhauer, de Puybaudet, 4 années de travaux forcés; Vilbrun Guillaume, travaux forcés à perpétuité; Brutus Saint-Victor, Fénelon Laraque, 3 années de réclusion; Gédéus Gédéon, Démosthène Simon Sam, Lycurgue Simon Sam, 3 années de travaux forcés. Les accusés en fuite furent, par un jugement rendu par contumace, condamnés à des peines diverses.

Ainsi prit fin cette scandaleuse affaire qui semblait un instant grosse de complications de toutes sortes. Elle avait pendant plus d'un an paralysé l'action du gouvernement. Le Président Nord Alexis, avec une énergie peu commune à son âge, il avait 84 ans au moment de son élection, surmonta tous les obstacles. Il contrôle personnellement l'exécution des grands travaux publics. Le Lycée de Port-au-Prince sera bientôt achevé. Le nouveau Tribunal est presque terminé; l'on a pu y tenir les Assises de 1904. Au commencement de 1905 l'on a posé la première pierre de la cathédrale qui va être érigée à Port-au-Prince; l'édifice sera, pense-t-on, livré au culte dans quatre ans. Anxieux d'assurer d'économiques moyens de transport

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