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centuple tout ce qu'on lui confie. Peu d'efforts suffisent à lui arracher ses richesses. Négligemment jeté sur le sol, le grain germera, fructifiera. Ici l'homme n'a pas à épuiser ses forces en quête d'une maigre pitance. Une végétation luxuriante jaillit de son moindre labeur. Son caractère, ses mœurs se sont forcément ressentis de cette facilité de production.

CHAPITRE III.

Moeurs des Haïtiens: leur hospitalité-La femme haïtienne; son dévouement-Le peuple n'est pas paresseux-Pas de haine de raceAvantages que les étrangers trouvent à Haïti; leur sécurité La naturalisation—La question de droit de propriété foncière.

Le campagnard haïtien est foncièrement bon; l'envie ne le torture pas. Ses besoins facilement satisfaits le rendent content de son sort. La haine ne peut agiter son âme quand autour de lui la nature généreusement lui offre tout. Il a des goûts fort simples. Les jours ordinaires il porte une vareuse tombant droit sur un ample pantalon de toile bleue; aux pieds il a des sandales, et, sur la tête, un chapeau de paille aux larges rebords. Mais il a toujours en réserve un bon costume pour les dimanches et jours de fête. Bien qu'il sorte rarement sans sa "manchette," le paysan haïtien a le caractère doux, confiant et jovial; il n'est point querelleur. Il a en horreur l'abus de la force contre les faibles; et les crimes contre les femmes et les enfants le révoltent toujours. Cet être inoffensif se transformera pourtant en bête furieuse s'il croit l'indépendance de son pays menacée. Deux nobles et grandes ambitions le préoccupent: devenir propriétaire du coin de terre qu'il arrose de sa sueur et instruire ses enfants. Pour atteindre ce double but, il enfouira au fur et à mesure les sous économisés avec une patience admirable. Malgré son apparente insouciance du lendemain, en dépit de son amour de la danse, le paysan haïtien thésaurise plus que le citadin.

En effet, l'homme des villes dépense en général sans compter; il pense rarement à vivre avec économie.

L'Haïtien est généralement connu pour son hospitalité, son empressement à bien accueillir les étrangers. Il est toujours heureux de pouvoir leur rendre service. Dans les villes ou les campagnes le nouveau venu est certain de trouver un abri. L'on peut sans crainte parcourir l'île dans toutes les directions. Le voyageur n'est nullement inquiété; et il aurait une fortune sur lui que personne n'y toucherait. Les étrangers, hommes ou femmes, qui ont traversé le pays à cheval, savent bien que la sécurité y est parfaite; que non seulement le paysan haïtien ne pense pas à les voler, mais encore qu'il refuse souvent le prix de l'hospitalité qu'il est toujours prêt à offrir. La meilleure chambre, le meilleur lit, les meilleurs plats sont pour l'hôte d'un jour ou d'une nuit, que l'on ne reverra peut-être jamais plus. Et ce peuple à l'âme si sensible, au cœur si dévoué, comment le récompense-t-on de son hospitalité? Le plus souvent l'étranger qui en a le plus bénéficié, en guise de remercîments, le représentera comme rétrogradant vers la barbarie, comme un adepte du "Vaudou," un adorateur de la couleuvre, voire même comme un cannibale! Le besoin de notoriété est tel chez certains hommes que, pour l'acquérir, ils ne reculeront devant aucun mensonge. Qu'importe la vérité à certains voyageurs qui reviennent d'Haïti? Pourvu que leurs livres sensationnels se vendent, ils ne se soucient guère de fouler aux pieds l'honneur, la dignité de tout un peuple!

Nous parlerons plus loin du cannibalisme et du "Vaudou"; pour le moment nous ne nous occupons que de l'Haïtien et de ses coutumes. Comme partout ailleurs, les mœurs ne sont pas les mêmes dans les villes

Nous avons reçu de Nassau, Bahamas, "The Tribune," du 3 Février 1904 d'où nous extrayons l'opinion suivante d'un Anglais, Mr. A. S. Haigh qui a voyagé à Haïti: "L'on ne trouvera nulle part de peuple plus poli, plus tranquille et se conduisant aussi bien que le peuple d'Haïti. L'on peut voyager seul à toute heure du jour ou de la nuit dans les montagnes comme dans les plaines avec de l'argent ou des bijoux en sa possession, sans crainte d'être molesté; et les campagnards donneront volontiers tout ce qu'ils ont pour donner du confort aux étrangers. Ils sont excessivement hospitaliers."

que dans les campagnes. Dans les villes la vie est plus compliquée, les besoins plus développés. La lutte pour l'existence tend à transformer le caractère, à le rendre plus égoïste qu'autrefois, surtout en présence des critiques malveillantes et injustes de l'étranger. Pourtant les mœurs sont demeurées relativement simples dans les classes moyennes. L'aisance dont on jouit permet de donner une instruction solide aux enfants. Généralement on les envoie achever leur éducation ou apprendre une profession en France; quelques-uns commencent à aller en Allemagne; peu s'aventurent aux Etats-Unis. L'Haïtien adore les voyages et en profite pour observer les autres peuples et augmenter ses connaissances. Il y a très peu de nos hommes d'Etat qui n'aient fait leurs études en Europe ou qui n'y aient séjourné assez longtemps pour être familiarisés avec ses us et coutumes. L'Haïtien aime la vie de famille. Aussi, se marie-t-il plutôt jeune, l'homme à environ 25 ans et la jeune fille vers 19 ans. Les divorces sont comparativement rares; ils ne peuvent avoir lieu que pour des causes déterminées par le Code Civil; et la femme divorcée ne peut se remarier qu'après un an. Les formalités du mariage sont assez strictes et protègent la femme contre les bigames. Avant d'être unis, les futurs époux sont tenus de faire publier leurs bans à leur domicile respectif; de plus, il faut être muni de l'autorisation de son père ou de sa mère. La mariage civil qu'Haïti a adopté dès son indépendance, est généralement suivi du mariage religieux. L'Eglise catholique prend aussi des précautions pour empêcher la clandestinité. L'annonce du mariage projeté est publiquement faite en chaire à la résidence de chacun des futures conjoints. Et dans un pays où tout le monde se connaît presque, il devient impossible de tromper son voisin. Aussi les cas de bigamie sont à peu près inconnus à Haïti. Chaque famille essaie d'établir au foyer tout le confort possible. Les maisons sont meublées avec goût, parfois trop luxueusement. Hommes et femmes s'habillent avec soin et, quand leurs ressources le leur permettent, font venir leurs toilettes

de Paris. Tout est occasion à fêtes: baptêmes, fiançailles, anniversaires de naissance; car l'on aime se réunir, se voir. Sans être naïf, le caractère de l'Haïtien, à quelques exceptions près, est ouvert, franc et loyal; on peut généralement compter sur sa parole. En amitié il est dévoué jusqu'au sacrifice. Et son patriotisme est ardent, bien qu'il ait l'air d'en douter par moments; car, narquois et railleur, il est toujours prêt à dire de lui-même tout le mal possible et à rire à ses propres dépens. Aussi tout finit-il par des chansons; et à l'époque du carnaval la verve satirique du peuple se donne libre cours. Malheur à ceux dont la conduite n'aura pas été irréprochable. Président d'Haïti, Secrétaires d'Etat, riches et pauvres, nul n'est à l'abri de cette espèce de juge suprême: la chanson populaire. Sous une forme drolatique il y a là un puissant frein; et plus d'un se conduit bien pour ne pas devenir l'objet d'un refrain que demain des milliers de lèvres hurleront dans les rues.

La femme haïtienne est réputée pour son attachement au devoir. Epouse dévouée, mère incomparable, elle est prête à tous les sacrifices pour assurer le bonheur de ceux qu'elle aime. Mariée, l'Haïtienne renoncera d'elle-même et sans regret aux plaisirs mondains, aux fêtes, pour se consacrer à son foyer; elle est vraiment la compagne de l'homme dans la richesse comme dans la pauvreté, dans la santé comme dans la maladie. Que le mal soit contagieux ou non, la femme haïtienne ne confiera pas à des mains mercenaires le mari ou l'enfant qui en est atteint. Brave de cette insouciante vaillance spéciale à son sexe, elle se transformera en sœur de charité et sera, au chevet de l'être chéri, le principal auxiliaire du médecin; rien ne la rebutera. Surviennent des revers de fortune, elle sera la première à soutenir le courage de son mari, à prévenir ses défaillances. Et les raffinements de son éducation ne l'empêcheront pas au besoin de travailler de ses mains afin d'aider à trouver le pain quotidien, afin surtout d'assurer l'instruction des enfants.

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