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de le faire enregistrer par l'assemblée coloniale du Cap. D'accord avec le gouverneur Blanchelande il résolut de soumettre les colons de Port-au-Prince. Les hommes de couleur de Saint-Marc lui fournirent une escorte et le firent accompagner à la Croix-desBouquets (20 Juin). Bientôt Beauvais et Rigaud réoccupèrent Port-au-Prince (5 Juillet). Les esclaves de la Croix-des-Bouquets, de l'Arcahaie et de la plaine du Cul-de-Sac reprirent leurs travaux. Cependant 144 d'entre eux obtinrent leur affranchissement, à la condition de servir 5 ans dans la gendarmerie et de contribuer au maintien de la discipline dans les ateliers.

Blanchelande, de son côté, s'était rendu à Jérémie, accompagné d'André Rigaud que le commissaire civil avait reconnu comme général.23 Les blancs de la Grand'Anse refusaient de reconnaître le Décret du 4 Avril 1792. Après leur victoire sur les hommes de couleur, ils tenaient enchaînés sur des pontons en rade de Jérémie ceux qu'ils n'avaient pas tués; au nombre de ces prisonniers se trouvaient des femmes, des vieillards et des enfants." Blanchelande obtint qu'ils fussent envoyés au Cap.

Après ce succès relatif il se rendit aux Cayes où il échoua dans sa campagne contre les esclaves retranchés aux Platons. Humilié de sa défaite, Blanchelande repartit pour le Cap; et il fut donné à André Rigaud d'apaiser les esclaves révoltés des Cayes en affranchissant 700 d'entre eux.

Par le succès de leurs armes, les noirs et les mulâtres libres s'étaient définitivement fait accorder l'exercice de leurs droits politiques; dans l'Ouest et dans le Sud près de 1,000 esclaves avaient obtenu leur liberté. Le bloc colonial était entamé.

Placide Justin, page 243. 24 Placide Justin, page 244.

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CHAPITRE VI.

Arrivée de Sonthonax, de Polverel et d'Ailaud-Application du Décret du 4 Avril 1792-La Commission intermédiaire-Résistance des colons-Combats à Port-au-Prince et au Cap-Les Anglais débarquent à Saint-Domingue-Les Espagnols conduits par JeanFrançois s'emparent d'une partie du territoire-Proclamation de la liberté générale-L'homme de couleur au pouvoir.

Sonthonax, Polvérel, Ailaud, les nouveaux commissaires civils nommés par la France, débarquèrent au Cap le 18 Septembre 1792. Ils étaient accompagnés de six-mille soldats et du Général d'Esparbès, Gouverneur-Général de la colonie. Les affranchis disposaient déjà de forces suffisantes pour faire respecter les droits que le Décret du 4 Avril leur avait conférés. Leur cause était désormais inséparable de celle de la Révolution française; leur concours était donc d'avance acquis aux nouveaux agents de la Métropole.

La situation de l'île n'était guère brillante. Dans le Nord, les colons multipliaient les supplices et soumettaient aux plus affreuses tortures les noirs faits prisonniers, sans parvenir à écraser la révolte. Dans I'Ouest et dans le Sud, il n'y avait qu'une apparence de paix: les blancs et les affranchis s'observaient. En attendant, par défaut de sécurité, la culture des champs était abandonnée et beaucoup de colons avaient quitté le pays.

Les commissaires civils étaient à peine installés que la nouvelle des événements du 10 Août fut connue à Saint-Domingue. L'arrestation et la déposition de Louis XVI fournirent aux colons un prétexte pour re

commencer la lutte. L'assemblée coloniale du Cap essaya d'organiser des mouvements populaires en vue de se débarrasser de Sonthonax, de Polvérel et d'Ailaud. Ceux-ci répondirent par des mesures énergiques: par arrêté du 12 Octobre ils proclamèrent la dissolution de cette assemblée et celle des autres assemblées populaires de la colonie. Et, au lieu d'ordonner des élections, ils créèrent, pour remplacer l'assemblée coloniale, une "Commission Intermédiaire" de douze membres dont six blancs et six hommes de couleur. Pour la première fois l'on vit donc, à côté des fiers colons, siéger dans un corps politique, les représentants de la race que l'on affectait de tant mépriser. Pinchinat, Jacques Borno, Louis Boisrond, François Raymond, Castaing et Latortue furent les premiers hommes de couleur admis à l'honneur de participer à l'administration des affaires de la colonie. En même temps qu'ils entraient à la "Commission Intermédiaire," les hommes de couleur contribuaient à la formation des municipalités;-ils occupaient des emplois publics. L'égalité civile et politique était désormais un fait accompli. Elle allait certes coûter encore beaucoup de sang; mais la race noire, par une lutte héroïque, devait pour toujours maintenir un avantage si chèrement acquis.

La superbe des colons ne pouvait accepter une telle situation. Aussi bien, avec la complicité même du Gouverneur-Général, une vaste conspiration s'orgauisa dans la ville du Cap. Les commissaires civils ne l'empêchèrent d'éclater qu'en recourant à des mesures énergiques. Sûrs du dévouement des hommes de couleur, ils procédèrent à l'arrestation du Général d'Esparbès et d'une quarantaine d'officiers blancs. Ils furent tous embarqués et gardés prisonniers en rade du Cap. Rochambeau devint GouverneurGénéral provisoire. La ferme attitude des commissaires assura l'ordre pour le moment. Pensant n'avoir plus rien à craindre dans le Nord, ils se séparèrent: Polvérel et Ailaud partirent, le premier pour l'Ouest, le second pour le Sud; Sonthonax resta au

Cap avec la "Commission intermédiaire." Effrayé de la situation de la colonie, Ailaud déserta son poste et retourna en France. Polvérel fut donc obligé de se rendre dans le Sud. En Janvier 1793 il avait à peine chassé des Platons les esclaves révoltés de la plaine des Cayes, que de graves événements le forcèrent à quitter le Sud. Déjà le 2 Décembre 1792 l'on s'était battu dans les rues du Cap. Le régiment blanc de cette ville avait refusé d'accepter dans ses rangs un homme de couleur nommé officier. Il se mit ouvertement en rébellion. Des colons, dont les rangs se grossirent de matelots de navires de guerre, se joignirent aux soldats blancs. Ils attaquèrent le bataillon des hommes de couleur qui se défendirent bravement; mais, obligés de céder au nombre, ils se retirèrent au Haut du Cap où ils prirent possession du parc d'artillerie. Sonthonax n'hésita pas à faire arrêter et embarquer les principaux factieux. Les hommes de couleur consentirent alors à rentrer au Cap où ils furent reçus avec de grands honneurs. Le Commissaire civil, le Gouverneur provisoire, la Commission Intermédiare, la municipalité, allèrent au devant d'eux. Cet accueil irrita les colons du Cap et ceux de Port-au-Prince. Aussi bien, pour se venger de ce qu'ils considéraient comme une humiliation, ces derniers formèrent le projet d'expulser les commissaires civils et d'exterminer ensuite les hommes de couleur quand les agents de la Métropole ne seraient plus là pour les protéger. Pour atteindre leur but, les colons oublièrent un instant leurs divisions et s'unirent fortement. Ils soulevèrent à leur tour, contre les hommes de couleur, les esclaves du Fond-Parisien et de la plaine du Cul-de-Sac.' La révolte éclata le 23 Janvier 1793. Trente-trois habitations d'hommes de couleur furent incendiées. A Jacmel les hommes de couleur furent également pourchassés. Le sang coula

1 B. Ardouin, Etudes sur l'histoire d'Haiti, page 73.

aussi à Jérémie où les blancs avaient de nouveau emprisonné les femmes et les vieillards, et avaient confisqué les biens des noirs et des mulâtres libres.

Enhardis par leur succès, les grands planteurs de Port-au-Prince, ayant Auguste Borel à leur tête, arrêtèrent le Général Lassalle, Gouverneur provisoire depuis le départ de Rochambeau pour la Martinique. Le Gouverneur réussit pourtant à s'évader et se rendit auprès de Sonthonax à St. Marc où Polvérel ne tarda pas à les rejoindre. Les hommes de couleur, directement menacés, se pressèrent autour des commissaires civils. Des forces imposantes marchèrent contre Port-au-Prince qui fit sa soumission le 13 Avril 1793, après un combat acharné. Beauvais fut nommé commandant général de la garde nationale de l'Ouest. Et l'on organisa un corps de troupes régulières, la "Légion de l'Egalité," dont le mulâtre Antoine Chanlatte fut fait colonel.

Leur autorité rétablie à Port-au-Prince, Polvérel et Sonthonax tentèrent la soumission de la Grand'Anse; ils y envoyèrent une délégation accompagnée d'une armée de 1200 hommes sous les ordres d'André Rigaud. Les colons de cette partie de Saint-Domingue s'étaient en quelque en quelque sorte rendus indépendants des agents de la Métropole; ils avaient organisé un "Conseil d'administration" qui, siégeant à Jérémie, établissait même des impôts. Ils avaient armé leurs esclaves à la tête desquels ils placèrent le noir Jean Kina. A l'aide de ces auxiliaires ils avaient en fait expulsé de leur domaine les noirs et les mulâtres libres. L'armée des colons s'était fortifiée à Desrivaux. André Rigaud l'y attaqua le 19 Juin 1793. Il fut complètement battu. Après ce succès, les blancs de la Grand'Anse transformèrent leur "Conseil d'administration" en "Conseil de sûreté et d'exécution" qu'ils revêtirent de pouvoirs extraordinaires.

Tandis que Rigaud essuyait cet échec, la ville du Cap était de nouveau en proie à la plus vive agitation. Le Général Galbaud, qui y résidait en qualité de gou

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