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CHAPITRE VIII.

Mesures administratives de Toussaint-Prise de possession de la partie espagnole-Convocation d'une Assemblée Centrale-Constitution de Saint-Domingue-Toussaint Louverture Gouverneur-Général à vie -L'expédition française-La Crète-à-Pierrot-Déportation de Rigaud-Soumission de Toussaint Louverture-Son arrestation et sa déportation-Sa mort au fort de Joux.

Sans inquiétude sur le sort de sa campagne contre Rigaud, Toussaint Louverture n'avait plus besoin de ménager Roume. Le Général-en-chef réclama la révocation du Général Kerverseau alors stationné à SantoDomingo; l'Agent ne se pressa pas de l'accorder. Toussaint se rappela alors que par le traité de Bâle la partie espagnole avait été cédée à la France; il demanda Î'autorisation d'en prendre possession. Le refus opposé par Roume augmenta son mécontentement. De Port-au-Prince où il se tenait, il écrivit à l'Agent du Directoire de venir le trouver. Ce dernier déclina l'invitation et ordonna l'expulsion des émissaires anglais qui se trouvaient dans la colonie. Le 4 Mars 1800, il écrivit à Toussaint d'avoir à faire exécuter cet ordre. Un de ces émissaires, Mr. Wrigloworth, était juste en ce moment-là auprès du Général-en-chef. Celui-ci, froissé du ton de la lettre, se rendit aux Gonaïves. Son neveu Moïse et d'autres Commandants militaires ne tardèrent pas à soulever les campagnards. Les révoltés marchèrent sur le Cap où ils demandèrent la comparution de Roume et de l'administration communale, menaçant, en cas de refus, d'envahir la ville. Roume alla audevant d'eux. Les paysans réclamèrent la moitié des

1 B. Ardouin, Histoire d'Haiti, 4e. vol. p. 159.

terres des colons, la faculté de travailler pour leur propre compte et un arrêté autorisant la prise de possession de la partie espagnole. Le représentant de la France n'ayant pas obtempéré à ces demandes,_fut, sans autre formalité, enfermé dans un poulailler. L'on en référa à Toussaint qui ne se pressa pas de se rendre sur les lieux; il arriva enfin le 27 Avril 1800. Profitant de la situation où se trouvait Roume, il lui arracha l'Arrêté dont il avait besoin pour la prise de possession de la partie espagnole. Le Général Agé, chargé de cette mission, ne put l'accomplir. La forte opposition des autorités et de la population espagnoles l'obligea à quitter Santo Domingo.

En attendant le moment opportun pour réaliser son idée, Toussaint Louverture légiférait sans plus se soucier du représentant de la France. Il fit successivement des Réglements pour faire aboutir à la caisse publique les revenus des biens dont les propriétaires étaient absents,-pour régulariser les service des postes, pour organiser l'administration de la marine. Il se préoccupa surtout d'empêcher toute atteinte à l'ordre public. Et il connaissait, pour les avoir employés, les moyens de soulever les paysans. C'était dans les danses, dans les réunions nocturnes que les colons effrayés qualifiaient toutes de "Vaudou," c'était dans ces conciliabules secrets que se nouaient les conspirations. Pour entraîner les masses, alors ignorantes, les chefs recouraient au surnaturel, se faisaient passer pour invulnérables. Ce qu'on a appelé "Vaudou" était une sorte d'association politicomystique dont les plus intelligents se servaient avec beaucoup d'habileté. Nul ne le savait mieux que Toussaint, qui ayant été l'un des instigateurs du soulèvement des esclaves, avait participé à la fameuse réunion où Boukmann avait administré le serment du sang sur les entrailles d'un sanglier. Aussi le 4 Janvier 1800 prit-il une ordonnance pour interdire, sous des peines. sévères, toutes danses et toutes assemblées nocturnes, principalement la danse connue sous le nom de "Vaudou."

Les considérants de l'ordonnance prouvent bien que Toussaint Louverture considérait le "Vaudou" plutôt comme une secte politique. "Pleinement convaincu, dit-il, que les chefs de ces danses n'ont d'autre but que "celui de troubler l'ordre, . . . . et de donner aux per"sonnes qui les écoutent des principes absolument con"traires à ceux que doit professer l'homme ami de son "pays et jaloux du bonheur de ses concitoyens; voulant "couper racine aux maux incalculables qu'entraînerait "après elle la propagation d'une doctrine aussi vici"euse, puisqu'elle n'enfante que le désordre et l'oisi"veté; j'ordonne ce qui suit: Toutes danses et toutes "assemblées nocturnes seront interdites, etc."?

L'arrivée dans la colonie du Général de division Michel, de Raymond et de Vincent envoyés par Bonaparte, alors premier Consul, n'arrêta point les empiètements de Toussaint Louverture. Il créa dans le Département du Sud quatre arrondissements militaires: les Cayes, Tiburon, Jérémie et l'Anse-à-Veau. Il nomma Dessalines Général de division et lui confia les Départements de l'Ouest et du Sud; Moïse commandait le Nord.

Il prit des Arrêtés pour conférer des attributions correctionnelles aux tribunaux civils, pour la création de conseils de guerre spécialement chargés de juger les cas de vol, d'assassinat, etc.,-pour autoriser les tribunaux civils à percevoir des frais judiciaires. Le 12 Octobre 1800 il fit un réglement relatif à l'agriculture; assimilant les cultivateurs aux militaires, il les astreignit à une sévère discipline; il ne leur était pas permis de quitter les habitations auxquelles ils appartenaient même pour

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* B. Ardouin, Histoire d'Haiti, 4e. vol. p. 159.

Les colons auxquels les intéressés cachaient leur but avec le plus grand soin n'ont jamais pu se rendre un compte exact de ce que le Vaudou était en réalité. Cette association secrète permettait aux esclaves non seulement de préparer les révoltes mais aussi de se prévenir mutuellement des dangers qui les pouvaient menacer. Des légendes ont donc été créées autour de cette secte; et jusqu'à présent des étrangers de plus ou moins de bonne foi affirment que le Vaudou est la religion de la majorité des Haïtiens.

Ceux qui veulent avoir de complets renseignments sur cette question liront avec fruit l'intéressant volume de Mr. H. Price "De la Réhabili tation de la Race Noire par la République d'Haiti.”

louer leurs services. Il se donna ensuite une garde d'honneur où figuraient d'anciens colons nobles. Les grands planteurs de Saint-Domingue reparaissaient dans les emplois publics; ils siégeaient dans les tribunaux; ils avaient de bonnes places dans l'administration. Aussi étaient-ils tous ravis de Toussaint Louverture. Et, quand le 25 Novembre 1800, il fit son entrée triomphale au Cap, ces orgueilleux qui autrefois n'avaient pas assez de mépris pour les noirs et les mulâtres se prosternèrent de nouveau à ses pieds. Une femme blanche, après l'avoir comparé à Bonaparte, lui posa une couronne de lauriers sur la tête. Pour la remercier du compliment, Toussaint Louverture l'embrassa. A la mairie on l'appela Hercule, Alexandre le Grand, etc. Toutes ces flatteries ne lui firent pas oublier Roume qui l'avait en quelque sorte défié en annulant l'Arrêté autorisant la prise de possession de la partie espagnole. Dès le lendemain de son arrivée au Cap, le 26 Novembre, il ordonna que le représentant de la France fût interné au Dondon jusqu'à ce qu'il soit rappelé pour rendre ses comptes. Le Général Moïse fut chargé de l'exécution de cet ordre. L'attitude de Bonaparte commençait à inquiéter Toussaint. Il préféra garder Roume à Saint-Domingue au lieu de l'envoyer en France; et pour empêcher que le premier Consul ne fût informé de ce qui se passait dans la colonie, il décida qu'à l'avenir lui seul délivrerait des passeports pour l'étranger. Ceux qui partiraient sans sa permission risquaient d'avoir leurs propriétés confisquées.

Toussaint Louverture pensa ensuite à se créer des ressources. En conséquence, par un Réglement en date du 12 Décembre 1800, il abolit les droits en nature établis sur les revenus des habitations, et décréta un droit de 20% tant sur les denrées exportés de la colonie, que sur les marchandises qui y seraient importées. Un droit de 20% fut aussi prélevé sur la valeur locative des maisons et sur la valeur des objets fabriqués ou manufacturés, destinés à la consommation intérieure. douanes furent instituées.

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