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La différence entre États simultanément possédés était si bien reconnue, qu'au même moment l'un pouvait se trouver en paix, l'autre en guerre avec les mêmes puissances. C'est ainsi qu'en 1733 le roi de France, en guerre partout ailleurs avec l'Empereur, non seulement respecta conventionnellement avec les États Généraux des Provinces-Unies la neutralité des Pays-Bas, mais «< conserva toujours un ministre à Bruxelles auprès de l'archiduchesse gouvernante (1) ».

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La résidence effective du souverain dans le pays gouverné par lui, si désirable qu'elle soit à de multiples points de vue, n'est pas indispensable à l'existence de ce pays comme nation distincte. Il convient d'ailleurs de remarquer que la situation de fait qui fut pendant longtemps la nôtre à ce point de vue, était atténuée par la disposition tutélaire du traité d'Arras de 1579 concernant la représentation du souverain sur notre territoire par un prince du sang royal. Et s'il est vrai que les pouvoirs du gouverneur général fussent limités par les prérogatives dont le souverain se réservait publiquement l'exercice personnel, - et par les instructions secrètes qu'il donnait à son délégué, — il n'en est pas moins avéré que la cour de ce haut délégué était la cour du chef de l'État dans les PaysBas et que le gouverneur général possédait, avec toute la représentation d'un souverain, titre autorisé pour

(1) NENY, Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens, chap. Ier, art. 27.

recevoir et envoyer des ministres publics. « Le Saint Siège entretenait auprès de lui un nonce; les rois de France et d'Angleterre, la république des ProvincesUnies, l'Électeur palatin s'y faisaient représenter par des ministres plénipotentiaires; le Prince-Évêque de Liége y avait un chargé d'affaires, et quelquefois un ministre résident. Il y eut même des occasions où le Gouverneur général reçut des envoyés du roi d'Espagne (sous la domination autrichienne) et du roi de Prusse (1). »

Les gouverneurs généraux ont, de leur côté, envoyé à diverses reprises en leur nom des ministres publics, même des ambassadeurs, dans différentes cours de l'Europe (2).

En ce qui concerne l'époque des archiducs, non seulement Bruxelles fut le siège d'un gouvernement central où les puissances étrangères étaient représentées, mais la cour de Bruxelles, au jugement des contemporains, pouvait être considérée à bien des titres comme supérieure à toutes les autres cours de l'Europe (3) ».

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7. Le mode de transmission de la souveraineté dans nos provinces.

Quant au mode de transmission de la souveraineté dans nos provinces, il renfermait, comme nous l'avons vu, avec

(1) GACHARD, La cour de Bruxelles sous les princes de la maison d'Autriche (Études et notices historiques concernant l'histoire des Pays-Bas, 1890, t. III, p. 171). SCHLITTER, Die Regierung Josefs II in den österreichischen Niederlanden, I, p. 2.

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(2) PYCKE, Mémoire sur l'état de la législation et des tribunaux ou cours de justice dans les Pays-Bas autrichiens avant l'invasion des armées françaises dans ce pays, p. 40.

(3) « Superior senza dubbio a tutte l'altre d'Europa. »> BENTIVOGLIO, Relatione di Fiandra, part. I, cap. IV.

l'aléa qui pouvait s'attacher aux cessions volontaires et aux dévolutions héréditaires, une affirmation remarquable de l'individualité de nos provinces. Celles-ci, conformément à la Pragmatique Sanction de 1549, devaient être tenues en une masse indivisible et impartageable. Ainsi, soumises durant la vie de leur prince aux mêmes ressorts généraux de gouvernement, elles devaient, à l'avènement d'un nouveau souverain, rester unies comme membres d'un même corps survivant toujours, uni à l'âme indéfectible de la patrie. On sait que la Pragmatique Sanction de 1725, confirmant la première dans tous les points auxquels il n'était pas expressément dérogé, modifia à certains égards l'ordre de succession réglé par la Pragmatique de Charles-Quint, et fixa, à titre perpétuel, la transmission intégrale de tous les États héréditaires de la Maison d'Autriche à un même héritier légal.

8. L'essence de la souveraineté aux Pays-Bas. Extension et limitation de la prérogative du prince.

Le partage des attributs de la puissance publique entre le chef du gouvernement et les gouvernés portait sans doute le cachet de l'époque. Tandis que de nos jours le roi dans nombre de gouvernements constitutionnels << n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitution même », le prince possédait autrefois <<< tous les attributs de la puissance publique chrétienne que les Constitutions ne lui enlevaient pas ou qu'elles ne soumettaient pas à des restrictions (1) ».

(1) EDMOND POULLET, Histoire politique nationale, t. II. Complétée et publiée par Prosper Poullet, § 573.

L'essence de la souveraineté aux Pays-Bas et la portée du vieux contrat de co-souveraineté liant le prince aux sujets et réciproquement juré par les deux parties, d'abord par le prince qui devait aller vers son peuple, a été mise en relief d'une manière remarquable par les ambassadeurs belges envoyés pour offrir la couronne au duc d'Anjou, frère de Henri III, après l'assemblée tenue à Anvers le 12 août 1580 par les États de Brabant, Flandre, Hollande, Zélande, Malines, Frise et Ommelandes. Le traité présenté au duc d'Anjou stipulait que <«<les États des Pays-Bas le choisissaient pour leur prince et seigneur, avec nom et titre de duc, comte, marquis et autres ». Les conseillers du duc insistèrent pour obtenir la qualification de prince et seigneur souverain. Les ambassadeurs belges n'y voulurent point acquiescer, mais admirent seulement la rédaction suivante: « Que les États éliront et appelleront, élisent et appellent S. A. pour prince et seigneur des dits pays, à tels titres, savoir de duc, comte, marquis et autrement, avec telles supérioritéz et prééminences que les seigneurs précédens les ont possédez. » Et dans le rapport qu'ils firent aux États Généraux, les négociateurs belges exposèrent comme suit le point discuté : « Où il est dit pour prince et seigneur, les conseillers du duc désiroient qu'il fut adjousté souverain, alléguant sur ce plusieurs raisons bien fondées. Toutefois après nostre réplique, qui fut que ce n'estoit la coustume des PaysBas d'user de ce terme allendroit de leurs princes, mesme d'aultant que tous les contractants usoient de la langue thioise, en laquelle on ne pouvait proprement exprimer ce mot de souverain, ains l'on estoit accoustumé d'user des mots ou genedighe heere, ou geduchte heere, et que le

mot souverain estoit ambigu, parce que, estant prins pour suprême, auquel sens nous disons opperste heere, il ne signifioit aultre chose que le premier, et estant prins pour ung mot signifiant puissance absolute, les pays qui se gouvernoient par leurs loix, coustumes et privilèges ne le pourroient tenir sinon pour suspect, et que nous nous tenions asseurez qu'ils ne le voudroient passer, suppliant S. A. de nous en vouloir déporter, il fut finalement accordé, toutesfois avec telles conditions qu'au lieu qu'il est dist: comme les précédens seigneurs les ont possédez, il y fut mis avec telles supérioritez et prééminences que les seigneurs précédens (1). »

Bien que tempérée ainsi dans son essence et limitée d'une manière spéciale, dans la plupart des sphères où s'exerçait son action, par les anciens privilèges, franchises, coutumes et observances dont le souverain devait jurer le maintien lors de son inauguration, l'institution monarchique comportait la possession par le prince de très grands pouvoirs, spécialement à titre de régulateur des relations internationales, d'arbitre de la paix et de la guerre. Plus l'ensemble des États relevant d'une mème. Maison souveraine se trouvait à ce point de vue sous la main du prince, plus ces États étaient exposés aux coups de tout adversaire quelconque de ce dernier. De là l'implication de notre pays dans nombre de conflits extérieurs et l'incidence sur notre sol de luttes et de mêlées dont nous ne sortions pas toujours indemnes. C'était le sort commun des peuples à une époque où la souveraineté des potentats était absolue quant au maniement des affaires extérieures.

(1) GACHARD, Sur le titre de souverain des Pays-Bas (Études et notices historiques concernant l'histoire des Pays-Bas, t. II, p. 419).

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