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CHAPITRE XI.

Les atteintes portées à la Constitution internationale de la Belgique et leurs conséquences.

Nous examinerons brièvement ici les atteintes que peut porter à son status spécial le neutre à titre permanent et celles dont il peut être l'objet de la part des autres États.

§ 1. LES INFRACTIONS DU NEUTRE A SON « STATUS >>

INTERNATIONAL.

Le neutre à titre permanent peut commettre des infractions à son status international spécial. D'aucuns ont cru pouvoir résoudre d'un mot les problèmes complexes et délicats qui concernent ce point. « Celui qui viole sa neutralité, la perd. » La question juridique est loin d'être aussi simple.

I. Il n'est pas sans importance de remarquer d'abord que les faits reprochés au neutre doivent être dûment établis. De simples allégations, sans preuves solides et non mises à l'épreuve de la contradiction, ne suffisent point. Et ici encore, comme dans toutes autres matières, on ne peut imposer au défendeur l'obligation de faire la preuve négative. Actori incumbit probatio. La Convention de La Haye pour le règlement pacifique des conflits internationaux, dans ses articles 20 et suivants, renferme des règles sages concernant l'usage, dans certains cas et dans une certaine mesure, des commissions internationales d'enquête concernant les questions de fait.

II. Il convient également de remarquer que les faits articulés contre le neutre doivent constituer en euxmêmes des infractions au droit des gens reconnu. Il faut se garder d'ériger en règles du droit des gens absolues des opinions simplement douteuses ou équivoques, ou des libres pratiques de bienveillance internationale. Dans ses observations sur les célèbres Règles de Washington, un jurisconsulte anglais, Lorimer, s'exprimait ainsi : « Nous n'approuvons ni ne condamnons en vertu de principes constants, mais par des motifs que nous sommes prêts à répudier dès que la situation de nos voisins devient la nôtre. Comme neutre, nous protestons, et avec raison peut-être, contre des règles que, comme belligérant, nous imposions à des nations neutres, et nous ne redevenons pas plus tôt belligérants que ces règles de neutralité si chaudement préconisées par nous nous semblent mettre en péril notre existence même comme nation (1). droit international, soit coutumier, soit conventionnel, doit être interprété de bonne foi, et le jurisconsulte a pour devoir inéluctable d'arracher de la face de la violence pure ou de la face de la fraude le masque du droit.

» Le

III. Il n'est pas sans intérêt de distinguer encore dans les infractions reprochables au neutre les violations doleuses ou du moins volontaires de son status et les simples fautes préjudiciables à autrui et juridiquement imputables au neutre à raison soit de son propre fait involontaire, soit du fait de tiers en tant que pareil fait peut être l'occasion d'une responsabilité. Le système des fautes quant aux rapports entre les États demeurés à tous

(1) Revue de droit international et de législation comparée, 1874, p. 542.

égards dans l'ordre normal de la vie pacifique et les États grevés d'une guerre particulière, s'est souvent inspiré de la vieille dictature des belligérants sur la société des nations. Le progrès du droit international ne peut manquer de le battre en brèche à ce point de vue. En attendant, on peut voir surgir certaines situations critiques pour les petits États, encore qu'elles soient peu justifiables à la sereine lumière du droit.

L'Institut de droit international, dans sa séance de La Haye de 1875, a formulé le principe suivant :

Le seul fait matériel d'un acte hostile commis sur le territoire neutre ne suffit pas pour rendre responsable l'État neutre. Pour qu'on puisse admettre qu'il a violé son devoir, il faut la preuve soit d'une intention hostile, soit d'une négligence manifeste.

IV. Ce dont il y a lieu en tout cas de tenir compte, c'est du degré de gravité de l'infraction en elle-même. Toute atteinte même légère au status de la neutralité ne donne pas le droit de considérer celle-ci comme non avenue. La forme et la mesure du redressement ou de la réparation doivent être en rapport avec la gravité de l'infraction. L'Institut de droit international, dans la séance de La Haye de 1875, a encore adopté la résolution suivante :

La Puissance lésée par une violation des devoirs de neutralité n'a le droit de considérer la neutralité comme éteinte et de recourir aux armes pour se défendre contre l'État qui l'a violée que dans les cas graves et urgents, et seulement pendant la durée de la guerre.

Dans les cas peu graves et non urgents, ou lorsque la guerre est terminée, des contestations de ce genre appartiennent exclusivement à la procédure arbitrale.

V. Il ne faut pas confondre les mesures de sauvegarde personnelle que peut prendre dans certains cas extrêmes un État à l'égard de l'Etat neutre comme de tout autre État poar contrecarrer un mal actuel et irréparable don la cessation efficace est exigible et relève de l'opposition topique immédiate de la force à la force, avec la revendication du droit d'agir hostilement envers le neutre, non pour exercer la sauvegarde propre, mais par prévention ou pour se faire justice à soi-même en poursuivant la satisfaction de ce qu'on estime être dû. Il ne peut être question de considérer la neutralité comme non avenue au point d'agir hostilement à l'égard du neutre, qu'en présence d'une infraction ayant en effet le caractère d'un casus belli; et la procédure guerrière non seulement ne peut être pratiquée envers l'État placé sous le régime de la neutralité permanente garantie au détriment des moyens moins extrêmes praticables, mais ne peut l'être qu'après avoir fait reconnaitre par les co-garants le caractère des griefs, et à l'effet plutôt de faire rentrer le neutre dans son status que de lui appliquer les conséquences extrêmes du droit de la guerre. Il ne paraît pas, en effet, juridiquement admissible que l'un des garants procède isolément dans des conditions radicalement destructives du status du neutre à titre permanent, comme si la position de cet Etat n'avait pas fait l'objet d'une convention où tous les garants se sont engagés par des liens réciproques.

Il faut d'ailleurs considérer, dans tout différend grave pouvant compromettre la paix, les garants comme des médiateurs indiqués pour le neutre pressé par des revendications qu'il estime injustifiées.

La situation spéciale de la Belgique en matière d'arbitrage international a été signalée comme suit dans

l'Exposé des motifs du projet de loi approuvant l'Acte général de la Conférence de La Haye :

L'Autriche, la France, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie, par le traité conclu le 19 avril 1839 entre elles et la Belgique, ont placé sous leur garantie le traité signé le même jour par la Belgique et les Pays-Bas et sont ainsi devenues parties contractantes à cette dernière convention, qui fixe les limites territoriales du pays et dispose à son article 7 que la Belgique formera un Etat indépendant et perpétuellement neutre. Par l'effet de ce traité, les cinq Puissances seront saisies de tous les différends qui pourraient surgir au sujet de l'une de ces stipulations. Les conflits de cette nature ne pourront donc être soumis à l'arbitrage sans l'intervention des mêmes Puissances, et c'est dans ce sens que le Ministre des Affaires étrangères déclarait à la Chambre, en 1875, que la Belgique a des arbitres naturels qui sont les Puissances garantes de son indépendance.

A la Conférence de La Haye, les plénipotentiaires belges, suivant les instructions qu'ils avaient reçues, ont réservé les relations particulières qui naissent de cette situation entre la Belgique et ses garants.

Mais il va de soi que, dans l'exercice normal de la souveraineté qui lui est reconnue, la Belgique conserve le droit de résoudre, par les voies qu'elle juge opportun d'adopter, les différends qui ne se rattachent pas aux stipulations du traité de 1839. Elle possède une liberté entière, qu'affirme la motion de 1875, et qui ne lui a jamais été contestée, de déférer tous ces litiges à l'arbitrage, et, dans l'exercice de ce droit, elle ne doit consulter que les intérêts du pays.

Nous préciserons au paragraphe suivant la position juridique qu'occupe le neutre qui n'a point prévariqué, lors du règlement définitif qui termine la guerre.

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