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MEA AOBK

AVANT-PROPOS.

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Le volume que nous publions doit intéresser principalement la génération nouvelle. La Bastille n'existe plus depuis trente ans l'herbe croît sur les lieux où s'élevaient ses donjons; mais son mêlé à presque tous les événemens de notre histoire, et lié pour jamais aux souvenirs du 14 juillet, réveille des sentimens de crainte ou d'enthousiasme, des idées d'oppression ou de liberté que les Mémoires qu'on va lire rappelleront en foule. Le désir si naturel de connaître et de plaindre des malheurs long-temps ignorés contribuerà beaucoup à la lecture de ce volume; je m'attends bien aussi qu'on y cherchera, contre une forme de gouvernement qui n'est plus, de graves motifs d'accusation, dans le tableau des abus que ce gouvernement laissait commettre, et dans le récit des vengeances qu'il exerçait quelquefois en secret. Il est certain qu'une partie des détails qu'on va lire devaient rester cachés dans un oubli profond; mais il est également sûr que les notes jointes au texte des autex Mémoires en contrediront souvent les assertions. Il ne faut pas croire qu'on trouvera dans ces notes

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de quoi flatter la curiosité ou même les passions aux dépens de la vérité : le premier devoir de l'historien est de la chercher et de la dire; le nôtre, en publiant ces Mémoires, est d'aider le lecteur à la trouver.

Nous lui devons quelques éclaircissemens préliminaires sur l'existence de ce château fameux, dont la prise et le renversement vont occuper son attention.

La Bastille, comme l'indique l'ancienne signification de ce mot, fut, dans l'origine, un fort, avant d'être une prison: la prudence de Charles V l'avait fait construire pour protéger Paris contre les attaques de l'étranger ou les entreprises des grands vassaux. Dans nos temps de troubles civils, elle servit de refuge à la jeunesse de nos rois et de rempart à leur autorité. Le cruel Louis XI peupla la Bastille des victimes de sa tyrannie. L'économie de Henri IV y déposa plus tard les trésors qui devaient s'écouler ensuite de ses mains bienfaisantes, soit pour aider à la prospérité de la France en fécondant l'agriculture et l'industrie, soit pour préparer sa grandeur par l'élévation de l'autorité souveraine dans l'intérieur, et par l'abaissement de la maison d'Autriche au dehors. On sait par quel attenfal furent: tout-à-coup trompées ces douces espérances d'un bon prince et ces vastes projets d'un grand homme.

Richelieu, puissant ministre qui régua despoti

quement sous un roi faible, suivit avec hauteur une partie des mêmes desseins, et les portes de la Bastille s'ouvrirent et se fermèrent plus d'une fois sur quiconque osa braver son pouvoir, contrarier ses vues, retarder un moment sa marche calme, intrépide et fière au milieu des périls. Sous Louis XIV, époque où le caractère personnel du monarque devait éloigner tout soupçon de cruauté, mais où l'autorité commandait une obéissance aveugle, et où la crainte entrait pour quelque chose dans les attributs de la grandeur et de la majesté, le nom de la Bastille s'associa pour jamais, dans les esprits, à l'idée d'une autorité invisible, mais présente en tous lieux, absolue, ombrageuse et sévère. L'image de la Bastille, lorsqu'elle s'offrait à la pensée, suffisait pour arrêter des intentions coupables, pour retenir la langue captive. On passait rapidement au pied de ses murailles, on n'osait arrêter les yeux sur le sommet de ses tours; et l'effroi qu'inspiraient sa vue ou son nom, faisait dire à l'auteur des Essais sur Paris, dans la description qu'il a donnée de ce château royal, que si ce n'était la place la plus forte, c'était du moins la plus redoutable de l'Europe.

K L'élévation du rang, l'éclat de la naissance ou des services, la faiblesse de Lage ou du sexe, ne mettaient point à l'abri des rigueurs de la Bastille. On sait qu'elle renferma de pieux ecclésiastiques, d'illustres guerriers, des gens de lettres célèbres.

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Voltaire y traça les premiers chants de sa Henriade; Le Maistre de Sacy, dont on pouvait soupçonner les opinions, mais non les vertus, y composa une partie de sa traduction de la Bible, et le grand Condé fut forcé de courber sous ses guichets une tête chargée des lauriers de Lens et de Rocroy. Rien n'empêchait une autorité sans bornes d'y retenir ceux qu'atteignaient ses coups dans les liens d'une captivité sans terme; et cet usage d'une puissance illimitée a donné plus d'une fois lieu de croire qu'à la Bastille le nombre des opprimés égalait celui des coupables.

Ce qu'on sait du sort, du caractère, des malheurs de tant de prisonniers divers, excite tour à tour la surprise, la crainte ou l'attendrissement. Tantôt c'est un homme ingénieux, patient, infatigable, qui trompe la vigilance des sentinelles, perce l'épaisseur des murs, et, du sommet des donjons les plus élevés, confie sa vie et sa liberté à la fragilité d'une échelle qu'il a tissue du fil de ses chemises et de la soie de ses bas (1): tantôt c'est ce

(1) Mazers de Latude, enregistré à la Bastille sous le nom de Danry, entra dans cette forteresse en 1749. Il avait écrit à madame de Pompadour pour la prévenir de l'envoi d'une boîte remplie de poison: la boîte arrivas mais elle ne contenait point de substance dangereuse et Lafude lui-même fut convaincu de l'avoir envoyée. Il voulait exciter, par ce prétendu service, la reconnaissance de madame de Pompadotar A force de patience, de hardiesse et d'industrie, il parvint à s'échapper de la Bastille avec un de ses compagnons d'infortune, et publia depuis, sur sa détention et sa fuite,

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