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DE

LA CONVENTION

NATIONALE.

SÉANCE DU QUATRE DÉCEMBRE.

Suite du procès de Louis XVI. Buzot demande la peine de mort contre quiconque tenterait de rétablir la royauté, Philippeaux qu'on juge Louis XVI sans désemparer. Merlin est sur le point d'être censuré. Lanjuinais le remercie d'avoir dévoilé un mystère important.

Kersaint. «Si je n'avais pas été retenu hier dans mon lit par une fièvre violente, je n'aurais pas attendu jusqu'à aujourd'hui pour répondre à l'inculpation avancée contre moi. Lorsque la sottise et la méchanceté ont mis des poignards dans les mains de la calomnie, c'est à la justice et à la vertu de les lui arracher. Je déclare que je ne connais ni de près ni de loin Talon et Saint-Foi; je défie tout citoyen de prouver que j'aie jamais eu aucune communication directe ou indirecte avec ces personnages que j'ai toujours souverainement méprisés. Ce n'est point ma justification que j'entreprends; je ne crois pas en avoir besoin devant la majorité de la convention; mais il est bon d'éclaircir certains faits : vous devez vous rappeler à quelle époque on forma le ministère de Roland, Servan, Clavière, Dumouriez ;

I

vous devez vous rappeler que c'était une nouvelle conjuration on voulait placer des hommes sans reproche dans le ministère, les contrarier, les entraver dans leurs opérations, et dire ensuite: Vous voyez, on a placé des patriotes, le gouvernement ne marche point; il ne vaut rien, donc il faut le renverser. Il était question de moi à toutes les vacances du département de la marine ; je puis dire que si j'avais voulu faire une seule visite à Lafayette, j'aurais succédé à La Luzerne; si j'en avais fait une à Degrave, j'aurais succédé à Bertrand. Mais une preuve que je ne voulais pas être ministre, c'est que j'écrivis alors au roi une lettre que j'aurais voulu qu'on eût trouvée aussi. (Une voix: Elle existe. ) Eh bien ! qu'on la lise; on verra que je n'aurais pas écrit sur ce ton au roi, si je n'avais pas été effrayé de son choix. Je déposai ma lettre sur le bureau de l'assemblée électorale; je la montrai à Clavière et à Danton. Je reproduis ces faits, non pour ma justification, je ne crois pas en avoir besoin, mais pour éclairer la convention sur ces prétendues inculpations. » (On applaudit.)

La convention décrète que la lettre de Kersaint sera lue.

Suite de la discussion sur le jugement de Louis XVI.

Ferry. « Apprenez aux peuples à punir les tyrans d'une manière digne d'eux. Hercule ne s'amusait pas à faire un procès en forme aux brigands qu'il poursuivait; il en purgeait la terre. Si vous éleviez aujourd'hui des doutes sur la condamnation du dernier de vos tyrans ; si vous le supposiez encore au-dessus des autres hommes, quel exemple donneriez-vous aux peuples à qui vous portez la liberté? Ils croiraient devoir hésiter comme vous à punir leurs tyrans; ils croiraient que ce n'est qu'après la mort de cent mille citoyens, qu'il est permis d'examiner si leur vie n'est pas encore une chose sacrée. Ne craignez-vous pas que découragés d'avance à l'aspect de tant de malheurs et de

difficultés, ils ne préfèrent leur antique esclavage à votre débile et chétive liberté, et la domination des rois à la molle incertitude d'un sénat qui tremble de les punir? Vous voulez des formes longues et solennelles, vous craignez d'être accusés, comme les Anglais, d'avoir barbarement assassiné votre roi. Si l'esprit des Anglais eût été républicain, s'ils eussent eu des écrivains républicains, on n'aurait pas calomnié l'acte éclatant de justice qu'ils ont fait envers Charles Stuart. La meilleure manière de juger un roi, c'est la plus courte ; c'est celle de Scévola et de Brutus : ou la république règnera, et l'horreur contre les rois sera impérissable comme elle; dans ce cas vous n'aurez pas de calomnies à craindre: ou le trône se relèvera, et alors le despotisme triomphant trouvera bientôt d'autres prétextes pour ternir votre gloire. Hâtez-vous donc pour fonder une république éternelle, de cimenter, son berceau du sang d'un roi parjure. Ce jugement serait il donc si litigieux, si difficile, ou plutôt ne croirait-on pas que les orateurs qui ont parlé dans cette affaire avaient quelque intérêt d'orgueil à annoncer, chacun dans le préambule de son discours, que cette cause est difficile et grande? Quoi! vous avez consacré la déclaration des droits sans exception, et vous en établirez en faveur du plus grand des coupables! Vous avez proclamé le d'écret de la nature, et vous l'outrageriez aujourd'hui ! (On observe que l'orateur n'est pas dans la question; ne s'agissant plus que de discuter la forme du procès, il conclut à ce que ce procès soit réduit à un simple interrogatoire, suivi de la condamnation.)»

Buzot. « On dit qu'il y a ici des partisans de la royauté. Avant d'entrer dans le fond de la question, je demande que quiconque proposerait ou tenterait de rétablir en France la royauté, soit puni de mort. » (Des applaudissements partent de toutes les parties de la salle.) L'assemblée tout entière ́est debout.

Bazire demande à combattre la proposition de Buzot; on ne l'écoute pas. Il insiste; les murmures couvrent sa

voix.

Buzot. « J'ajoute, sous quelque dénomination que ce soit, et je demande que ma proposition soit mise aux voix par appel nominal. » (Les applaudissements recommencent avec plus de force.)

Philippeaux. « Je prie l'assemblée de modérer cet enthousiasme ; ce qu'il importe maintenant c'est de préciser la manière dont le ci-devant roi sera jugé... (Mouvement d'impatience; on insiste pour décréter la proposition de Buzot.) La convention a décrété hier que le traître Louis Capet serait jugé... (Murmures; on demande que Philippeaux soit rappelé à l'ordre pour avoir interrompu une délibération.) Quand je ne cherche qu'à accélérer la punition du tyran, qu'on ne m'interrompe pas ! N'est-ce pas le moyen de prouver notre haine commune contre les tyrans? Je vais proposer une mesure salutaire qui nous fera sortir de l'espèce d'inquiétude, d'agitation, de souffrance où est la chose publique depuis long-temps. Toutes les fois que la patrie était exposée à quelque danger, l'assemblée constituante et l'assemblée législative tenaient des séances permanentes: je demande que la convention décrète que le ci-devant roi sera jugé sans désemparer. (Applaudissements nombreux; une partie de l'assemblée demande que cette proposition soit mise aux voix.) Bazire. « La proposition de Philippeaux est la seule qui puisse être adoptée; celle de Buzot au contraire porterait atteinte à la liberté de la sanction que le peuple est appelé à donner à la constitution. (Murmures.) Est-ce en vous levant tumultueusement et en agitant vos chapeaux que vous devez décréter la peine de mort? Ne dirait-on pas que votre république n'est établie que par la force d'une faction? Elle ne reposerait alors que sur une loi de sang, et non pas sur le libre vœu du peuple. »>

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Rewbell. « Je ne sais pas pourquoi l'on craindrait un appel nominal sur la proposition de Buzot; quant à moi, comme je suis persuadé qu'il n'y a aucun membre qui veuille rétablir la royauté, sous quelque dénomination que ce puisse être, à moins que ce ne soit un insensé, je ne crois pas que

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