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en foule la canaille sénatoriale et la canaille académique; alors seront placés au rang des bienfaiteurs de la patrie des fripons engraissés du sang des peuples pour la trahir; alors les Emmery, les Chapelier, les Target, les Thouret, les Tronchet, les Condorcet, les Pastoret, les Malouet, les Dandré, les Regnier, les Desmeuniers, les Prugnon, les Voidel, seront mis au rang des grands hommes.

Cet honneur, après lequel ils soupirent, ferait le désespoir d'une grande âme, et quel homme intègre pourrait consentir à ce que sa cendre reposât avec celle de pareils confrères? Rousseau et Montesquieu rougiraient de se voir en si mauvaise compagnie, et l'Ami du peuple en serait inconsolable.

« Si jamais la liberté s'établissait en France, et si jamais quelque législature, se souvenant de ce que j'ai fait pour la patrie, était tenté de me décerner une place dans Sainte-Geneviève, je proteste ici hautement contre ce sanglant affront. Oui, j'aimerais mieux cent fois ne jamais mourir, que d'avoir à redouter un aussi cruel outrage. » (L'Ami du Peuple, no CDXXI.)

Il nous reste maintenant, pour terminer l'histoire révolutionnaire de Mirabeau, à exposer, sans revenir sur ce qui a été déjà dit précédemment, quelles furent ses relations avec la cour.

Ce fut, d'après M. de Montlosier (Mémoires), le duc de Liancourt qui fit les premières ouvertures à Mirabeau, le 7 octobre 1789. Elles furent repoussées; mais elles furent reprises par d'autres intermédiaires, et établies un mois après. Quelles étaient ces relations? il paraît qu'elles consistaient uniquement en des conseils, des notes sur la conduite à tenir, des rapports sur la situation.

Mirabeau dans le même temps avait des relations avec le duc d'Orléans et même avec Monsieur (plus tard Louis XVIII). Les premières sont prouvées, non par le mot qui fut rapporté par Malouet, dans l'affaire du 5 et 6 octobre, mais par les conseils que, d'après le rapport de M. Lafayette, il donna au duc de ne point obéir à l'ordre d'exil que lui intimait ce dernier. Il lui promettait d'attaquer Lafayette à l'assemblée, de dénoncer celui-ci comme l'auteur de l'émigration des princes, du comte d'Artois, des ducs de Condé et de Conti, etc. L'obéissance de M. d'Orléans rompit ces relations. (Mém. du général Lafayette.) Quant à celles qu'il eut avec Monsieur, elles commencèrent, à ce qu'il paraît, par un billet qu'il lui écrivit, le 5 octobre, pour l'inviter à ne pas s'éloigner, la régence lui revenant de droit en cas de malheur. C'est Camille Desmoulins qui nous donne ce renseignement. D'après M. Lafayette, les relations de Mirabeau avec le Luxembourg subsistaient encore à l'époque de l'affaire de Favras; mais elles n'étaient pas très-suivies.

Quant aux communications avec la cour, il est difficile de savoir si elles étaient fréquentes, et de quelle nature.

On trouve, dans les Mémoires de Lafayette, deux pièces qui sont du commencement de l'année 1790. L'une est une note de Mirabeau, remise, dit-on, à Montmorin, où l'on propose d'appeler Monsieur à la présidence du conseil; l'autre est la copie d'un traité dont nous avons donné le texte t. III, p. 375. L'original de cette pièce est écrit de la main de Monsieur. (Mém. du général Lafayette, t. II, p. 496.)

En 1790, lorsque le roi était à Saint-Cloud, Mirabeau eut une entrevue secrète avec la reine, dans la partie la plus élevée du jardin particulier de cette princesse. Il s'était enveloppé des précautions les plus minutieuses pour cacher à tous les yeux cette démarche significative. En quittant la reine, il s'écria : « Madame, la monarchie est sauvée! » (Mémoires de madame Campan, p. 125.)

Au mois de juin de cette même année, les relations de Mirabeau avec la cour étaient tellement suivies qu'on a trouvé dans l'armoire de fer (no 347) « une lettre du 29 juin destinée à M. Lafayette, où le roi engageait le général à se concerter avec Mirabeau sur les objets qui intéressent le bien de l'État, celui de son service et de sa personne. Cette lettre ne fut pas envoyée. » (Mémoires de Lafayette, t. II, p. 567.)

Le procès du Châtelet, à l'occasion des journées des 5 et 6 octobre, donna de la mauvaise humeur à Mirabeau ; il rompit brusquement ses relations secrètes. Mais comme on croyait avoir besoin de lui et que lui-même avait besoin de ces relations, elles furent bientôt reprises de part et d'autre.

Les pièces trouvées dans l'armoire de fer, relatives à ces intrigues, sont en petit nombre. Il est probable qu'elles n'y furent pas toutes déposées. D'ailleurs on n'y enferma point celles qui se rapportent à des communications avec la reine, qui durent être fort nombreuses si on en juge par l'excessive faveur que suppose l'entrevue de SaintCloud, et par la confiance extrême de Marie-Antoinette, dont madame de Campan rend un témoignage positif. Les pièces de l'armoire de fer relatives à Mirabeau datent presque toutes de l'époque où Laporte fut nommé intendant de la liste civile. Elles sont donc postérieures au 31 décembre 1790. Néanmoins on y trouve des renseignements très-importants sur le personnage qui nous occupe.

Il faut placer en premier cette remarque de Laporte : « Ses demandes sont claires, dit-il; il veut avoir un revenu assuré, soit en rentes viagères sur le trésor public, soit en immeuble. » (Bertrand de Molleville.)

Mémoire écrit par Laporte, intendant de la liste civile. Sans signature, daté du 13 mars, faisant mention d'une conversation avec Mirabeau. (Armoire de fer, no 347.)

« M. de Mirabeau a péroré fort longuement, et voici l'extrait de ce qu'il m'a dit :

« L'assemblée nationale est composée de trois classes d'hommes. La première, qui n'est guère que de trente, est de gens forcenés qui, sans avoir de but fixé, opinent et opineront toujours contre l'autorité royale et le retour de l'ordre.

«La seconde est d'environ quatre-vingts personnes; celles-ci ont des principes plus monarchiques, mais sont peut-être trop imbues du premier système de la révolution.

«La troisième classe est composée de gens qui n'ont pas d'opinion à eux, et qui suivent l'opinion que leur donnent ceux qu'ils ont pris pour leurs guides, leurs oracles. >>

« On voit par cette division que M. Mirabeau compte pour rien le côté droit, et qu'il n'entend parler que du parti de la majorité. «C'est, dit-il, l'assemblée qu'il faut travailler; la circonstance est favorable par les excès auxquels se porte la première classe. <«< Trois partis divisent aujourd'hui Paris :

« Celui des aristocrates;

« Celui des cinq ou six chefs jacobins (il n'a point nommé les jacobins, il les a seulement désignés) qui paraissent aujourd'hui réunis à la faction d'Orléans;

«Celui de M. de Lafayette.

«Rien sur le premier.

« Le second n'est qu'atroce, et par son atrocité même, moins dañgereux, il se perdra lui-même.

<< Il n'en est pas de même du troisième. Il est marqué par une suite de manœuvres qui prouvent un plan dont on ne 'écarte pas celle du 28 février est d'une grande profondeur; il affecte l'attachement au roi et à la royauté; ces sentiments masquent le républicanisme. Enfin ce parti réunit la fausseté et l'intrigue aux grands moyens que les circonstances lui donnent. La position du roi est d'autant plus critique, que Sa Majesté est trahie par les trois cinquièmes des personnes qui l'approchent. Elle exige de la dissimulation, non celle à laquelle on accoutume ordinairement les princes, mais de la dissimulation en grand, qui, ôtant toute prise aux malveillants, acquière au roi et à la reine une grande popularité...

<«< La conférence a fini par des protestations de dévouement: « Je suis porté, a-t-on dit, à servir le roi par attachement à sa personne,

par attachement à la royauté, mais également pour mon propre intérêt. Si je ne sers pas utilement la monarchie, je serai à la fin de tout ceci dans le nombre des huit ou dix intrigants qui, ayant bouleversé le royaume, en deviendront l'exécration et auront une fin honteuse, quand ils auraient pendant un moment fait ou paru faire une grande fortune. J'ai à réparer des erreurs de jeunesse, une réputation peut-être injuste; je ne puis y parvenir, je ne puis me faire un nom que par de grands services. Il fallait peut-être une révolu→ tion; elle est faite, il faut détruire le mal qui en a été la suite; il faut rétablir l'ordre. La gloire sera grande pour ceux qui y coopéreront.

« M. de Mirabeau a ajouté qu'il serait fâcheux que l'assemblée fût bientôt dissoute. Le moment n'est pas encore arrivé, mais il sera important de le saisir. >>

- Il a été question précédemment du plan que Mirabeau avait proposé pour transporter la cour à Compiègne et agir contre-révolutionnairement en se servant de la majorité de l'assemblée nationale. La conversation que nous venons de citer se rapporte sans doute à ce plan. D'ailleurs, le roi laissait agir Mirabeau, sans lui confier les arrangements pris avec Bouillé et avec les puissances étrangères. En effet, quel que fût le succès des démarches du député, elles servaient le projet depuis longtemps conçu. Lorsque M. de Lamarck instruisit Bouillé du plan de Mirabeau, le général fut aussi discret que son maître. Il avait été averti, à l'avance, de cette démarche dans une lettre de la main de Louis XVI. On y lisait ces mots : « Quoique ces gens-là (en parlant de Mirabeau et de quelques autres personnes) ne soient pas estimables et que j'aie payé le premier trèschèrement, cependant je crois qu'ils peuvent me rendre service. Dans le projet de Mirabeau, vous trouverez peut-être des choses utiles; écoutez-le, sans trop vous livrer, et faites-moi part de vos observations. » (Mém. de Bouillé, page 197.) Ce fut le lendemain, 6 février, que M. de Lamarck se présenta comme nous l'avons vu.

Il fallut beaucoup d'habileté à Mirabeau pour conserver les apparences, vis-à-vis de l'opinion publique, tout en servant les projets de la cour. Cependant les dépenses extraordinaires auxquelles l'entrainaient ses passions et sa facilité firent penser d'abord qu'il puisait dans les caisses du duc d'Orléans. Ensuite, on soupçonna la source réelle, mais sans avoir une certitude şuffisante pour convertir ces soupçons en une affirmation positive et publique L'art qu'il mettait dans sa conduite à la tribune n'y donnait aucune prise. Ses opinions paraissaient toujours solidement motivées. Le style était le même. Le côté droit, dont la majorité n'était nullement au

courant de ce qui se passait, le servait par ses interruptions et ses injures. Ainsi lorsqu'il prit la parole à l'occasion de l'émeute qui dévasta l'hôtel de Castries, il montait à la tribune avec l'intention de parler dans le sens de l'ordre et contre Lameth. Mais la colère du côté droit changea ses intentions et son discours. Jamais il n'avait été plus violent. Tout le monde fut dupe; Lafayette lui-même, comme il l'avoue dans ses mémoires. Comment croire que cet homme si détesté du côté droit, que cet orateur fougueux, fût vendu à la cour? En outre, il y avait dans l'assemblée et au dehors bien d'autres personnages que l'or de la liste civile ou celui du duc d'Orléans avait séduits et qui n'y regardaient pas de trop près. Quelques personnes cependant étaient au courant de l'intrigue dans le côté droit, entre autres Malouet et Montlosier. Ce dernier assure même que la fondation du club des impartiaux, qui devint ensuite le club monarchique, fut une conséquence des conseils de Mirabeau.

En définitive, quel jugement porter de Mirabeau ! Certes ce n'était point un honnête homme; il fut une triste preuve de la faiblesse des doctrines et de la nullité de la conscience, lorsqu'elles ne sont pas soutenues par une ferme croyance religieuse et une conviction en des principes moraux positifs. Cet homme audacieux avait sans doute honte de lui-même; il cherchait à cacher à ses propres yeux l'odieuse lâcheté et le fatal entraînement de ses passions, en raisonnant avec sa conscience, en se démontrant que l'habileté était une force et qu'en trompant tous les partis, il les gouvernait tous, pour les conduire au système politique qui était le sien et qui devait faire le bien des générations futures. Le comte de Lamarck, ami intime de Mirabeau, disait de lui: « Il ne se fait payer que pour être de son avis ! » Cela était vrai jusqu'à un certain point, ajoute Lafayette. Alors, qu'était donc Mirabeau malgré tout son talent? Je n'ose dire le mot.

CHAP. II.

18 avril.

Danton.

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Journée du Documents sur

Violences commises dans les couvents et les églises.
Le peuple empêche le roi d'aller à Saint-Cloud.

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Le roi à l'assemblée nationale. Sa lettre aux ambassadeurs fran-
Démission de Lafayette retirée. No-
Clubs. - Presse.

çais près des puissances étrangères.
minations de fonctionnaires.

La précipitation qu'avait mise l'assemblée à faire exécuter la constitution civile du clergé avait introduit les questions de parti dans la religion; les partis s'occupèrent de la religion, au grand détriment de celle-ci et à leur propre honte. Nous avons dû condamner la conduite des hommes du côté droit et d'une partie de l'épiscopat,

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