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commis ou poursuivis dans l'intervalle pour les résoudre, il faut faire abstraction des dispositions futures qui ne pourront rétroagir.

L'abrogation des lois, lorsqu'elle n'est point expresse, ne s'opère tacitement que pour incompatibilité absolue avec les lois nouvelles (1). Certaines dispositions constitutionelles peuvent elles-mêmes subsister, sous l'empire d'une autre constitution; car, ainsi que le disait un éminent magistrat à la Cour suprême, en 1848, « commé il est de principe qu'une société ne peut rester debout parmi les ruines, il faut dès lors qu'elle continue à s'appuyer jusqu'à l'avénement de sa constitution nouvelle sur celles des dispositions de l'ancienne qui n'ont rien d'incompatible avec la forme actuelle de ses pouvoirs » (2). Il y a un exemple frappant de cette vérité légale dans l'art. 75 de la Constitution de l'an VIII, qui a continué d'être appliqué sous la Charte de 1814, sous celle de 1830 et même depuis 1848; quoique la révolution de février exaltât les idées démocratiques et dût rendre plus efficace la responsabilité des fonctionnaires, nous avons fait juger en cassation que la garantie constitutionnelle était encore dans nos lois : << attendu qu'aux termes du décret, d'ailleurs conforme au droit public de tous les temps, en date du 21 septembre 1792, les lois non abrogées doivent être exécutées provisoirement, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné; qu'aucun acte du gouvernement provisoire n'a dérogé aux lois antérieures sur la garantie constitutionnelle qui couvre les agents du gouvernement (3). » On doit donc considérer comme étant encore en vigueur, à défaut de lois expressément contraires, ceux des principes proclamés par la Constitution de 1848 qui ne sont point incompatibles avec l'ordre politique actuel. Cela comprend notamment la gratuité de la justice, avec les lois pénales ou disciplinaires qui la garantissent; la publicité des débats judiciaires, sauf exception dans les cas prévus par la loi; la prohibition de distraire un citoyen de ses juges naturels, désignés par les lois de compétence; le jugement par jurés en matière criminelle, avec les distinctions et exceptions consacrées par nos lois ; et même la compétence du jury pour les délits politiques et de presse, sauf les tempéraments admis par la jurisprudence et l'exception ajoutée par le décret du 31 décembre (infrà). Cela comprend aussi : la liberté des cultes et celle de l'enseignement, avec leurs lois organiques et d'exécution; l'inviolabilité des propriétés et l'abolition de la confiscation générale, qui sont plus que jamais dans les principes de la société nouvelle; la liberté du travail et de l'industrie, dans les limites déterminées par les lois de police générale ou administrative et sous les conditions imposées spécialement à certains établissements par décret du 29 décembre (inf.). Quant

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(1) Voy. notre Répertoire général du Droit criminel, récemment publiė, vo Lois criminelles, nos 10-12.

(2) Rapport de M. le conseiller Rocher, à l'audience du 12 oct. 1848 (Journ. du Dr. crim., art. 4372).

(3) Cass. 29 avr. 1848 (J. cr., art. 4294).

aux autres libertés publiques fondées en 1789, aux autres « droits garantis par la Constitution, » la commotion récente les subordonne momentanément aux nécessités impérieuses du salut public, suprema lex; mais les principes n'en subsistent pas moins en dehors des questions politiques, pour tout ce qui tient à la liberté individuelle et à l'inviolabilité du domicile, avec leurs lois, aux droits d'association et de réunion, dans les limites légales, aux délits de presse et à leur répression, à la prohibition de prononcer en jugement une peine qui n'existait pas légalement lors du fait poursuivi. Ceci ne s'applique pas à la transportation récemment décrétée par mesure de sûreté générale : c'est de la police et non de la justice. La question s'élève à l'égard de la peine de mort en matière politique: l'abolition définitivement consacrée par la Constitution, et suivie d'une loi qui a fixé la peine des crimes politiques capitaux, ne nous paraît pas permettre une condamnation à mort pour un crime politique qui ne serait pas accompagné d'un crime capital ordinaire (4).

Les lois organiques, sauf celle du conseil d'État, de même que les autres lois de l'Assemblée constituante ou de l'Assemblée législative, subsistent également dans toutes leurs dispositions non atteintes par une abrogation, soit expresse, soit virtuelle pour incompatibilité. Spécialement, on doit réputer maintenues toutes les dispositions pénales de la loi électorale du 15 mars 1849 (qui d'ailleurs ont été rappelées pour le vote du 20 décembre), ainsi que ses dispositions sur les incapacités dérivant de certains jugements (lesquelles ont dû être observées lors de ce vote). Il en est autrement des dispositions de la loi du 31 mai qui établissaient l'incapacité pour d'autres condamnations, parce que toute la loi a été expressément abrogée par le décret du 2 décembre; mais il conviendra de rétablir ces dispositions spéciales, dont le but moral et les effets ne sauraient répugner au nouvel ordre politique (5).— On doit aussi continuer à appliquer toutes les dispositions de la loi sur l'enseignement, du 15 mars 1850, qui est en pleine vigueur depuis plus d'un an, et que ne contredit aucun décret nouveau (6). Il en est de même pour les dispositions de la loi sur la garde nationale, du 13 juin 1851, qui sont devenues exécutoires ou qui le deviendraient suivant les prévisions de cette loi organique : cela s'applique notamment aux dispositions réglant la discipline avec sanction pénale, lesquelles ont été reconnues exécutoires à dater de la promulgation, encore bien que la loi ait donné au gouvernement un délai de deux ans pour la réorganisation, qui peut-être n'aura pas lieu de la manière prévue (7). — La loi orga

(4) Voy; notre dissertation sur la distinction des crimes politiques et des crimes communs (J. cr., art. 4419, et Rép. cr., vo Déportation, nos 13-20). Voy. aussi les arrêts recueillis, J. cr., art. 4428 et 4446.

(5) Voy. notre Rép. cr., vo Élections, et nos art. 4447, 4783 et 5124.

(6) Voy. Rép. cr., vo Enseignement, § 2, et J. cr., art. 4829, 4911 et 5140. (7) Voy. arr., 3 oct. 1851 (J. cr., art. 5094). - A l'instant paraît un décret

nique de l'état de siége, du 9 août 1849, n'a été abrogée par aucun décret; elle a même été visée dans tous les actes du gouvernement ou de ses délégués déclarant l'état de siége, sauf pour la capitale et pour les places de guerre ; et c'est en vertu de cette loi que l'on procède dans les nombreux départements soumis à l'état de siége actuellement. En dehors des places de guerre, pour lesquelles il y a extension des pouvoirs exceptionnels, l'autorité militaire ne doit pas en avoir d'autres que ceux qui ont été définis par la loi organique, les conseils de guerre doivent agir conformément aux règles qu'ont tracées cette loi et la jurisprudence; les citoyens non militaires ne peuvent être privés des moyens de défense et voies de recours admis jusqu'ici, le recours en cassation leur est ouvert pour incompétence ou excès de pouvoirs par la loi fondamentale du 27 ventôse an VIII; ils devront être admis à discuter les questions de compétence et de pénalité qui dériveraient, soit de l'absence d'acte législatif pour la déclaration d'état de siége, soit du défaut de pouvoirs suffisants dans les mains du fonctionnaire qui aurait seul déclaré l'état de siége dans la localité, soit enfin de ce que le conseil de guerre aurait prononcé une peine non édictée pour le fait ou abolie pour les crimes politiques (8). Mais les règles judiciaires fléchiront inévitablement, quant aux mesures de salut public qui ont été décrétées le 8 décembre s'agissant de police générale et non de justice ordinaire, les tribunaux réguliers n'auront point à intervenir; les commissions militaires, instituées par décret du 9 décembre, ne rendront point de jugements qui soient susceptibles de recours en cassation (9).

Aucune abrogation n'a eu lieu, quant aux dispositions de la loi du 8 juin 1850, complétant celles du Code pénal sur la déportation: elles subsistent donc entièrement, avec toutes les lois pénales qui s'y rapportent et telles que les a entendues un arrêt récent (10). Il en est de même des lois provisoires de 1848, 1849 et 1850, sur les réunions pouvant paraître dangereuses, lois qui s'exécutent concurremment avec toutes autres fondant les pouvoirs de la police administrative, et dont la sanction a été fixée par la jurisprudence (infrà). Il en est encore ainsi des lois provisoires de 1849 et 1850 sur la presse, y compris la loi des signatures, dont les dispositions ont été rappelées notamment à Paris par un avis de M. le procureur de la République, du 12 décembre; et l'on doit même réputer existantes toutes les autres lois de la presse, sauf les mesures préventives qu'a pu motiver le salut public et avec le changement de compétence décreté le 31 décembre (inf.).

pour l'organisation nouvelle des gardes nationales. Son art. 23 porte : « Le titre 4 de la loi du 13 juin 1851, intitulé Discipline, est maintenu jusques et y compris l'art. 118 de la même loi» (Décr. 11 janv. 1852, Monit, du 12). (8) Voy. Rép. cr., vis État de siége et Tribunaux militaires ; J. cr., art. 4372, 4715, 4777,4838, 4886, 4936 et 5135.

(9) Voy. Rép. cr., vo Transportation; J. cr., art. 3417 et 5166. (10) Rép. cr., vo Déportation; J. er., art, 5135.

Trois lois spéciales, touchant au droit criminel, avaient été adoptées par l'Assemblée législative avant les événements de décembre : l'une sur les fraudes dans la vente des marchandises; une autre, sur le délit d'usure habituelle; la troisième, sur les contrats d'apprentissage (11). Elles subsistent dans toutes leurs dispositions, en l'absence de tout décret dérogatoire. — Parmi les lois à l'étude se trouvaient notamment les projets sur la falsification des vins, sur les appareils et bâtiments à vapeur, sur la télégraphie électrique, sur la pêche maritime côtière: ces deux derniers ont été convertis en loi, les 27 décembre et 9 janvier (infrà); il est à désirer que les deux autres aient bientôt la forme législative. Quant au projet sur la responsabilité des dépositaires du pouvoir, il se trouve mis à néant par l'avénement d'un nouvel ordre politique, qui sans doute conservera la garantie constitutionnelle de l'an vIII (12).

La Cour suprême, jusqu'au moment où nous écrivons, n'a prononcé sur aucune des questions pouvant naître des lois ou décrets du mois de décembre (1). Les lois antérieures qui ont soulevé le plus de difficultés, dans le cours de l'année, sont celles dont se compose l'ensemble de la législation sur la presse, l'imprimerie, les journaux, le colportage, etc., sur les outrages, diffamations ou autres injures, puis les lois diverses sur l'enseignement, sur les associations ou réunions, sur l'état de siége, sur la garde nationale, etc.

Au point de vue de la qualification des faits, les délits de presse proprement dits n'ont guère présenté de questions nouvelles, la législation de 1819 n'ayant subi de modifications que dans les termes ou sur quelques points: les principales solutions intervenues sont celles qui exigent pour tout délit l'intention de nuire avec un fait certain de publication, et celle qui admet que l'excitation à la haine ou au mépris du gouvernement peut se trouver dans la critique d'un simple projet de loi (2). Mais sous le rapport de la compétence et de la procédure, il y a encore eu d'assez nombreuses difficultés, les unes nées de la disposition constitutionelle qui étendait les attributions du jury en cette matière, les autres surgissant de la loi du 27 juillet 1849, et ayant notamment pour objet la citation en cour d'assises, les délais, la comparution, la preuve justificative, puis le débat sur les dommages-intérêts (3).—Pour les délits de diffamation et d'outrage public, spécialement, l'application des

(11) Voy. Rép. cr., vis Fraudes diverses, Substances, Tromperie; vo Usure; vo Manufactures.

(12) Ibid., vis Substances, Vapeur, Télégraphie; vis Agents du gouvernement, Responsabilité des dépositaires du pouvoir.

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(1) Nous n'avons pas à recueillir les derniers actes de la Haute-Cour, qui ont été ce qu'ils devaient être dans la circonstance. La Cour de cassation va être saisie des questions de compétence et de pénalité que font naître plusieurs condamnations récentes.

(2) Voy. Journ. du Dr. cr., 1851, p. 147 et 161.

(3) J. cr., p. 28, 166, 183, 184, 185 et 189.

lois de 1819 et 1822 a fait naître encore des questions diverses, notamment en ce qui touche la compétence du jury et le droit de preuve justificative quant aux imputations diffamatoires, ainsi que la poursuite du délit d'outrage public envers un fonctionnaire, un ministre du culte, un juré ou un témoin (4).

C'est surtout aux infractions à la police de la presse, qui sont des contraventions matérielles, que se rapporte le plus grand nombre de difficultés et de solutions nouvelles. En premier lieu se présentent les infractions de la presse périodique, prévues par les lois des 18 juillet 1828, 27 juillet 1849 et 16 juillet 1850. La Cour de cassation a dû juger plusieurs questions neuves, relatives à la constitution des journaux et aux conditions d'une mutation quelconque : elle a maintenu dans toute leur étendue les prescriptions législatives sur le cautionnement à fournir ou compléter, sur les déclarations à faire ou renouveler, sur la signature du gérant et le dépôt au parquet (5). De nombreuses questions ont également surgi de la loi qui exige la signature de l'auteur au bas de tout article de discussion politique, philosophique ou religieuse, inséré dans un journal: la jurisprudence a déterminé les cas où la signature était absolument nécessaire, et ceux dans lesquels elle serait réputée manquer; puis elle a consacré la compétence des tribunaux correctionnels pour l'infraction résultant, soit du défaut de signature, soit d'une signature faussement donnée; enfin, elle a repoussé l'application en cette matière de la règle du non cumul des peines (6).

D'autres questions sont nées des dispositions du Code pénal et de la loi de 1814, concernant les indications de noms qui doivent se trouver sur tous imprimés publiés ou distribués. La jurisprudence a donné toute la portée convenable à ces dispositions, relativement aux auteurs et à ceux qui font la publication, aux imprimeurs et aux libraires euxmêmes, sans exception pour les pétitions imprimées avec un journal de manière à pouvoir en être détachées, mais sous la condition d'une publication ou distribution effective, qui ne résulte pas du seul fait de recueillir des signatures sur une pétition (7). En ce qui touche l'autorisation exigée par la loi de 1849 pour le colportage d'écrits, les derniers arrêts ont posé une limite à l'extension que les précédents donnaient à la loi, et l'on a jugé notamment que la contravention n'existait pas de la part du libraire établi, par cela qu'il n'avait ni brevet ni autorisation (8).

L'exercice des droits d'association et de réunion, exaltés par le régime de 1848 et nécessairement limités pour cause d'abus, a fait naître

(4) Voy. J. cr., 1851, p. 31, 140, 145, 167, et surtout notre art. 4938. (5) J. cr., p. 48, 139, 144, 152, 171, 186, 204, 214, 291, 297, 309, 334, 836 et 366; et infrà, art. 5137, 5139 et 5147.

(6) Voy. p. 75, 82, 161, 171, 214 et 354; et infrà, art. 5141.

(7) Voy. nos art. 4899, 4910, 4945 et 5139.

(8) J. cr., 1851, p. 113, 116, 191, 313, 354.

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