Page images
PDF
EPUB

La séance est ouverte à 9 h. 35 m. sous la présidence de M. Dislère. M. le Président présente les excuses d'un certain nombre de membres empêchés d'assister à la séance.

M. le Président demande si quelqu'un a des observations à présenter sur le procès-verbal de la dernière séance.

M. Denis, conseiller à la Cour de cassation, dont le nom figure parmi les absents dans la séance du 10 février, déclare que s'il avait été présent il aurait voté contre l'adoption du texte de la proposition de MM. Bulot et Feuilloley, tel qu'il a été voté : il se réserve au cours de la présente séance de présenter un amendement aux modifications introduites dans Tarticle 334 du Code pénal.

M. le Président. En attendant les observations complémentaires de M. le Conseiller Denis, sa présente déclaration sera insérée au procèsverbal.

M. Fiaux demande également la parole au sujet des observations qu'il a présentées un peu avant la clôture de la séance du 10 février. Les excellents secrétaires de la Commission ont parfaitement traduit sa pensée et reproduit le renseignement dont il était nécessaire d'informer la Commission. Mais l'heure était avancée; le vote sur le proxénétisme et les maisons de tolérance avait virtuellement clos la séance et déjà bon nombre de membres avaient quitté la salle: la communication de M. Fiaux qui relate un fait connexe en relation absolument étroite avec la mesure emportant la suppression des maisons autorisées s'est donc trouvée perdre de l'importance que l'orateur lui attribue légitimement-il espère. du moins pouvoir ajouter le mot avec l'assentiment de la Commission. Le fait communiqué - à savoir l'allocation officielle d'une indemnité aux tenanciers pour retrait de la tolerance ne constitue pas seulement un incident curieux, comme M. Fiaux la entendu dire autour de lui: l'orateur ne s'attardera pas non plus à y voir la pratique folle d'un réglementarisme intransigeant qui solidarise jusqu'au bout les Pouvoirs publics et les maisons de prostitution.

M. Fiaux dira seulement il s'agit là d'un document administratif relativement récent, émanant d'un fonctionnaire élevé qui est à la fois maire de Paris et le premier préfet de France; il s'agit d'une décision officielle grave susceptible à l'heure actuelle d'être invoquée par tels et tels intéressés comme un précédent en vertu duquel la fermeture administrative d'une maison de prostitution impliquera de droit passage du tenancier aux caisses du département ou de la commune.

M. Fiaux ajoute qu'il dénonce cette décision officielle, tout aussi illégale qu'imprudente, à la Commission extra-parlementaire il la prie instamment de décider elle-même que l'acte du préfet de la Seine ne constituera pas un précédent dont pourront s'autoriser les autorités municipales des départements ou l'autorité préfectorale parisienne ellemême pour engager aussi indument les finances publiques.

Plus on envisage le fait qui s'est produit simultanément à la Préfecture de la Seine et à la mairie de Courbevoie en 1893, plus on le trouve inad

M. FIAUX QUESTION DE L'INDEMNITÉ POUR RETRAIT DE TOLÉRANCE 227 missible. Il est avant tout incompréhensible qu'une somme aussi importante 14.000 francs- ait pu être ainsi ordonnancée au profit des tenanciers des maisons de prostitution de cette ville à raison d'un prétendu dommage, quand on songe que les tenanciers, où qu'ils s'installent en France, bénéficient uniquement d'une autorisation précaire et révocable ad nutum. Dans toute cette affaire il n'est pas question un seul instant d'expropriation d'immeuble, de cession de terrain ou autre genre d'opération qui expliquerait un débours de fonds publics. Existe-t-il des dessous, des compromis, des arrangements secrets entre les Administrations publiques et les tenanciers? (Bruits divers.) M. Fiaux cherche une explication et n'en trouve pas.

-

M. le Président. Je suis entièrement de votre avis. Le fait est inexplicable. (Bruits divers.)

M. Fiaux regrette vivement que M. le Préfet de police ne soit pas encore arrivé; il aurait pris la liberté de lui demander comment une opération de cette nature avait pu se produire puisque, dès qu'une raison majeure surgissait, dès que, dans la thèse réglementariste même, les maisons devenaient inutiles ou nuisibles, il était facile aux pouvoirs administratifs de supprimer les trois tolérances de la commune de Courbevoie sans bourse délier... Il y a eu là un gaspillage commis en l'espèce, un fâcheux exemple donné. Pour obvier à la production de tels abus et montrer que son observation n'a rien de platonique, Forateur déposera un vœu......

M. le Président fail observer à M. Fiaux que le but qu'il poursuit sera suffisamment atteint par l'insertion intégrale de ses observations au procès-verbal. Quant aux critiques adressées ou à adresser à M. le Préfet de police, M. Fiaux voudra bien reconnaître qu'elles se trompent d'adresse, puisque l'arrêté qu'il incrimine émane du Préfet de la Seine. M. Fiaux croit que M. le Préfet de police peut être au moins questionné sans que le Préfet de la Seine soit mis hors de cause.

La situation n'en est même que plus confuse, plus anarchique même. C'est le Préfet de police qui octroie les autorisations de tolérance aux tenanciers de maison de prostitution: comment comprendre l'intervention du Préfet de la Seine effectuant un rachat d'autorisations qu'il n'a pas octroyées? (1)

M. le Président. Le Préfet a rendu exécutoire la délibération prise par le Conseil municipal.

Une voix. Il pouvait l'annuler.

M. Fiaux n'insistera pas au début d'une séance dont l'ordre du jour est chargé, mais il est bon d'affirmer que la Commission extra-parlementaire du régime des murs ne laissera pas ouverte une voie où serait lésée matériellement et moralement la gestion des deniers publics, où des désordres scandaleux, des tripotages inavouables se produiraient certai

1. Renseignements pris près de qui de droit, M. le Préfet de police Lépine a été, dans cette affaire, entièrement tenu à l'écart.

nement, et si l'on ne peut rien pour le passé, il est bon de prévoir l'avenir.

M. Fiaux déposera en conséquence sur le Bureau un vœu de précaution utile et il prie M. le Président de l'autoriser à en donner auparavant lecture. M. le Président ne fait aucune objection à la lecture.

M. Fiaux, lisant :

<< La Commission extra-parlementaire du Régime des mœurs, réunie dans sa séance du 24 février 1905;

» Vu le vote qu'elle a émis dans sa séance du 10 précédent, relativement à la suppression des maisons de débauche autorisées et de l'octroi de la formalité administrative dite tolérance:

» Émet le vœu que la fermeture ou la transformation de ces établissements en hotels garnis, maisons meublées, brasseries desservies par des femmes, catés, cafés-concerts, salles de bals publics, ne soit de la part des pouvoirs communaux ou départementaux, le motif d'aucune indemnité telle que celle votée en faveur des tenancières de la commune de Courbevoie (Seine) par le Conseil municipal de cette commune dans sa séance du 28 juillet 1893 et ordonnancée par arrêté de M. le Préfet de la Seine en date du 28 décembre 1893. »

M. le Président donne lecture de la lettre suivante que vient de lui adresser M. le Ministre de l'Intérieur :

[merged small][ocr errors][merged small]

» J'ai pris connaissance avec un vif intérêt des procès-verbaux de la Commission instituée par le décret du 18 juillet 1903 pour l'étude des questions relatives au régime des murs, et des différentes résolutions qu'elle a votées.

» Les considérations très élevées qui ont déterminé ces votes sont de celles dont on ne saurait méconnaitre l'importanee, et les transformations qui, peu à pou, se produisent dans nos mœurs permettent d'espérer un jour la réalisation des voeux émis par la Commission. Mais, ainsi que le faisait remarquer mon prédécesseur dans le rapport précédant le décret du 18 juillet 1903, il semble prématuré de suivre immédiatement jusqu'à leur dernière limite les desiderata de la doctrine abolitioniste: la pleine liberté, répéterai-je, constituerait une expérience dangereuse, de nature à effrayer nos populations urbaines.

» Je n'hésiterai pas cependant à examiner avec mes collègues de la Justice et de l'Instruction publique les moyens de présenter au Parlement des dispositions législative; donnant une satisfaction, aussi large que possible, aux votes de la Commission que vous présidez. Mais je ne saurais me dissimuler que ces études exigeront un temps un peu long, qu'il en sera a fortiori de même au Parlement; la durée de vos travaux et les faibles majorités qui se sont prononcées dans les différents votes sont une indication très nette des difficultés que rencontrera le vote d'une loi proclamant la liberté de la femme se livrant à la prostitution.

LETTRE DE M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR ÉTIENNE

229

» Cependant, tout le monde est d'accord, et les procès-verbaux de la Commission en font foi, pour reconnaître la nécessité de modifier la situation actuelle. N'y aurait-il pas lieu, en attendant qu'une réforme radicale, si elle est possible, soit réalisée, de rechercher, par des mesures réglementaires applicables à l'ensemble de la France, les moyens de faire disparaître les critiques très fondées adressées à l'état de choses actuel? » J'attacherai un grand prix à ce que la Commission, après avoir terminé l'étude du régime qu'elle propose d'établir, étudiàt les mesures que l'on pourrait prendre immédiatement. Je crois devoir, à ce point de vue, vous signaler la délibération qui a été prise par le Conseil municipal de Paris, sur la Police des mœurs, et dont les éléments essentiels pourraient servir de base à une réglementation applicable aux différentes municipalités.

» Le Ministre de l'Intérieur,

» Signé: Eug. ÉTIENNE.

M. le Président conclut : Il résulte de la lettre de M. le Ministre que les vœux de la Commission extra-parlementaire seront préalablement examinés ainsi que les mesures qu'elle propose, et que leur réalisation est soumise par les Pouvoirs publics à l'existence des conditions qui feront reconnaître cette réalisation possible.

En attendant, le Gouvernement demande à la Commission d'élaborer sous forme de Règlement général un programme de réformes immédiatement applicables, destinés à supprimer les graves défauts, unanimemen reconnus, du système actuel de réglementation. (Bruits divers.)

M. Fiaux.

[ocr errors]

Il ne faudrait cependant pas demander à la Commission de se déjuger.

M. Augagneur demande la parole sur la lettre du Ministre.
M. le Président donne la parole à M. Augagneur.

M. Augagneur constate que, derrière les compliments de la lettre de M. Étienne, se dissimule à peine; ou plutôt se découvre très nettement l'intention du ministre de s'en tenir à une idée préconçue et tout à fait opposée aux résolutions votées par la Commission du Régime des mœurs. La lettre ministérielle a d'ailleurs soin de mettre en avant un argument que la Commission a déjà entendu, celui des faibles majorités obtenues par ses résolutions; elle y ajoute que l'opinion publique n'est peut-être pas suffisamment préparée aux réformes élaborées par la Commission. On veut bien nous promettre que nos voux seront examinés, mais que leur étude exigera un temps suffisamment long...

M. Augagneur propose pour sa part de ne pas donner suite immédiate à la lettre ministérielle. La Commission a commencé et continue depuis dix-huit mois l'examen de tout un ensemble de propositions: elle n'a pas à l'interrompre. Le programme de réformes capitales, dont non seulement le principe mais le détail pratique ont été arrêtés, est déjà en grande partie élaboré qu'on termine son étude, qu'on l'arrête définitivement... on verra après. (Très bien!)

Quand ce programme sera rempli, la Commission pourra alors mettre la lettre de M. Étienne à son ordre dů jour et se demander si elle se rendra utilement et dignement aux suggestions ministérielles, c'est-à-dire s'il lui convient de détruire l'ensemble de ses travaux et d'adopter un provisoire qui durerait indéfiniment. (Bruits divers.)

M. Denis, conseiller à la Cour de cassation, demande la parole. L'orateur expose qu'il a étudié avec soin le procès-verbal de la séance du 10 février et qu'il a été très frappé de la portée excessive du texte pénal de MM. Bulot et Feuilloley, comme amendement à l'article 334. Cet article ayant été voté dans cette dernière séance, M. Denis voudrait obvier aux inconvénients que, d'après lui, présente ce texte, en lui adjoignant le paragraphe suivant :

« Cette disposition ne sera pas applicable à ceux qui auront seulement facilité la débauche des majeures dans l'exercice d'une industrie licite. »> M. Augagneur. - Ce sont les hôteliers que vous visez.

M. Denis. - Parfaitement. Ce paragraphe additionnel est absolument indispensable: sa nécessité résulte de la nature même des choses. Le fexte, tel qu'il a été voté le 10 février, constitue une menace évidente pour 10.000, pour 20.000 hôteliers. Voici par exemple un propriétaire qui loue sa maison en garni : des prostituées majeures y louent une chambre, un appartement: il sera facile de soutenir que ce propriétaire leur a facilité l'exercice de leur métier et il tombera sous le coup du nouvel article 334 qui ne fait aucune réserve : cette personne sera poursuivie et condamnée. C'est pour que de telles poursuites ne puissent même pas se produire que M. Denis veut un texte de loi clair et complet qui édifie les ribunaux.

M. le Président croit devoir rappeler à M. le Conseiller Denis que le dispositif légal auquel s'adresse son paragraphe additionnel a été voté après une longue discussion. Le devoir du président est de maintenir ne varietur le texte voté.

M. Auffret continuera à prendre la parole et à présenter ses observations non comme médecin militaire, mais comme médecin civil... (Légère interruption. L'orateur appuie la proposition de M. le Conseiller Denis dont l'esprit de modération rentre dans l'ordre de propositions qu'il aurait voulu voir adopter dès le début. Une révolution radicale ne passera pas de toutes pièces. M. Auffret l'a déjà dit, et il ne saurait trop le répéter. A la poursuite d'un soi-disant plan d'ensemble - plan dont l'orateur ne constate d'ailleurs pas l'existence — il vaudrait bien mieux substituer l'adoption d'une série pratique de conclusions fermes. Là on trouverait un véritable terrain d'entente. Très bien! dans une partie de la salle. Si la Commission n'entre pas dans cette voie, elle demeurera divisée et ses membres resteront séparés sans utilité par une véritable barrière; alors même que des décisions auront été prises, elle n'emporterait pas au dehors cette conviction unanime que l'orateur aurait désirée.

La Société de Prophylaxie, que préside si bien M. le Professeur Fournier, a donné dernièrement un excellent exemple de méthode de travail : on y

« PreviousContinue »