Page images
PDF
EPUB

M. BULOT TRAITEMENT COERCITIF GLOBAL! »

351

la Commission, celui qui a été imprimé et distribué, M. le Dr Butte avait simplement proposé une addition, relative aux maladies vénériennes, dans les mesures prophylactiques que vise la loi de 1902 sur la santé publique. Aujourd'hui M. Butte modifie évidemment ce projet dans un sens contraire à celui des votes antérieurs de la Commission.

M. Augagneur constate que les propositions actuelles de M. Butte sont tout à fait différentes en effet de son premier projet, puisqu'il réclame l'établissement d'une surveillance médicale organisée à Paris par le Préfet de police. Cela seul suffit à caractériser sa nouvelle proposition. M. le Dr Butte déclare renoncer à toute la partie de son nouveau projet qui maintient la surveillance administrative de M. le Préfet de police à Paris et des municipalités en province. Exclamations.

M. Augagneur demande ce qui reste de la proposition nouvelle de M. le Dr Butte s'il renonce à la réglementation? l'honorable collègue n'a plus qu'à retirer sa proposition toute entière! (Bruits divers.)

M. Hennequin, secrétaire général, fait observer que M. le Dr Butte avait d'abord déclaré dans son premier rapport qu'un règlement d'administration publique était nécessaire : aujourd'hui il présente lui-même « inopinément » ce projet de règlement, dont la rédaction - aux termes mêmes de ses précédentes déclarations devait incomber au Comité consultatif d'hygiène publique de France.

Si M. Butte persiste dans son intention d'élaborer ce règlement et d'en demander la discussion à la Commission, il est indispensable qu'il fasse un nouveau rapport, un nouvel exposé des motifs approprié à son nouveau projet tout à fait différent du premier. Il est impossible de discuter au pied levé une proposition qui soulève des questions si complexes et diverses.

M. Paul Meunier proteste contre les nouveaux retards absolument injustifiés que le dépôt de cette seconde proposition de M. Butte va susciter. Au train où vont les choses dans la Commission, elle n'aura pas terminé ses travaux dans cinq ans, dans dix ans!

M. Bulot demande la parole.

M. le Procureur général voit que la nouvelle proposition n'est pas sans susciter quelques objections (sourires); il désire venir en aide au collègue qui l'a faite il soumettra donc à M. le Dr Butte une autre proposition, plus complète encore, qui ne peut manquer de satisfaire et M. Butte et M. Bérenger lui-même. (Légère interruption.)

La nouvelle proposition de M. le Procureur général présente également ce grand avantage, de n'être pas plus que la nouvelle proposition de l'honorable médecin de la Préfecture de police, en contradiction avec les votes antérieurs de la Commission. (Bruits divers.)

Pour plus de précision, M. Bulot a résumé l'idée dans une brève formule :

« Tout individu arrêté sous inculpation d'un crime ou d'un délit quelconque sera immédiatement soumis à l'examen médical sexuel. » (Exclamations. Rires ironiques.)

M. Bérenger proteste avec indignation contre l'institution d'un pareil régime. « Comment ? Vous arrêtez cent personnes présumées coupables d'un délit politique et avant même de les incarcérer, séance tenante, vous allez les soumettre à la visite sexuelle? Mais c'est monstrueux ! » (Rires de divers côtés de la salle.)

M. Bulot a tenu à se placer sur le même terrain que M. Butte afin d'avoir l'approbation de M. le sénateur Bérenger... (Rires.)

Pourquoi, dans la thèse même de la proposition qui vise le traitement coercitif, ne commencerait-on pas par inspecter ces cent personnes arrètées ? Supposez, ce qui n'a rien d'invraisemblable, que vous trouviez parmi ces cent individus, des hommes, 40, 60, 80 syphilitiques... l'utilité de la loi nouvelle saute aux yeux. (Rires.)

M. Bérenger répète que la pensée de visiter d'office, malgré lui. un homme détenu pour un délit politique, est monstrueuse! (Bruits divers.)

-

M. Bulot. Rassurez-vous! Les prisonniers politiques sont rares sous la République ! Ne parlez ni de centaines d'arrestations, ni de journaliste visité, ni de complot, ni de politique!...

M. le Procureur général s'étonnera seulement de son côté de l'accès d'indignation de l'éminent sénateur. Sa pudeur se révolte à la seule pensée de faire visiter un homme arrêté! Que cette même pudeur ne se révolte-t-elle pas quand on arrête une femme en vertu du simple caprice d'un agent, quand on la visite de force au Dispensaire et qu'on lui inflige le supplice illégal du spéculum!

Pourquoi les hommes seraient-ils exempts, soustraits à la formalité ? Quand la justice met la main, à l'heure qu'il est, sur un prévenu, sur un homme, elle le fait passer immédiatement au service anthropométrique! Pourquoi ne le soumettrait-elle pas désormais à l'examen médical?

M. le Procureur général trouve bien plus étrange encore que la pudeur de M. Bérenger ne se révolte pas lorsque la Police des mœurs, commettant des erreurs vraiment monstrueuses celles-là, arrête et visite une femme honnête, arrête et veut visiter un fait récent en a montré la possibilité une jeune fille, une vierge! (Très bien, très bien!)

M. Paul Meunier. Le projet de M. Butte rétablit la servitude féminine avec les arrestations arbitraires et les détentions illégales, tout ce que M. Combes a voulu supprimer au lendemain de l'affaire Forissier! Très bien!

M. Bulot demande à M. Bérenger si de pareils faits ne sont pas révoltants? s'il est admissible que l'on humilie, que l'on violente des femmes honnêtes, des jeunes filles, à la seule condition qu'on respecte l'homme, qu'on ne touche pas au måle! Un tel système est abominable! (Très bien! Bruits divers.) Et cependant M. Bérenger n'ignore pas que la proportion des vénériennes est bien moins grande que celle des vénériens, que le nombre des hommes malades qui contaminent sans scrupule des femmes saines, des femmes de vie libre comme des femmes

M. BULOT: { TRAITEMENT COERCITIF GLOBAL! »

353

honnêtes, est infiniment plus considérable que celui des femmes prostituées malades...

[merged small][merged small][ocr errors]

C'est très exact! Il y a dix fois plus d'hommes

M. Bulot. Peu importe à M. Bérenger! L'éminent sénateur commence par poser en principe ce fait d'une inégalité choquante (Interruptions dans une partie de la salle), oui, messieurs, aussi choquante en matière d'hygiène qu'en droit. Le principe de l'égalité de l'homme et de la femme n'existe pas pour lui. (Bruit. Nouvelle interruption.)

L'orateur, qui fait également partie de la Commission extraparlementaire pour la réforme du Code civil où tous les membres sont très calmes (Sourires.)· -a vu avee joie cette Assemblée défendre les droits des épouses devant la loi, défendre au demeurant devant la loi l'égalité des droits de l'homme et de la femme; personnellement il a eu la satisfaction profonde d'engager la Sous-Commission qui s'occupe de ce chapitre dans cet ordre d'idées. (Très bien, très bien!) Et dans la Commission du Régime des mœurs l'on prétendrait maintenir le droit d'examiner la femme, la femelle! Et à qui serait réservé ce droit de visite, à l'homme, au mâle! N'était la crainte d'enfler la voix, M. le procureur général livrerait un pareil système à l'indignation de la Commission! (Très bien, très bien!

Puisque M. Butte persiste à vouloir examiner la femme, puisqu'il veut continuer à en faire une catégorie spéciale, M. le Procureur général entend lui opposer un projet complet. Au pis-aller l'orateur aurait consenti au seul examen sanitaire et au traitement d'office des condamnés de droit commun atteints de maladies vénériennes contagieuses, mais il préfère s'en tenir à sa première formule et il propose sans ironie à M. Butte « l'imposition de l'examen médical immédiat à tout homme arrêté sous l'inculpation d'un crime ou d'un délit quelconque. (Bruit prolongé.)

Si la Commission a trouvé que sa parole avait quelque véhémence, l'orateur s'en excuse; le sujet est d'un intérêt passionnant et ce retour d'une doctrine condamnée par la Commission même méritait d'être repris avec quelque vivacité.

[ocr errors]

M. le Président. La proposition de M. le docteur Butte dont plusieurs membres, notamment MM. Bérenger et Balzer, ont demandé l'’impression, sera imprimée et distribuée aussitôt que le secrétariat de la Commission aura été mis en possession du manuscrit de l'honorable

membre.

M. Bérenger se plaint d'avoir été traité avec quelque dureté par M. le Procureur général; il ne le mérite pas. L'orateur ne répondra du reste qu'un mot.

M. Bulot s'est mépris sur le caractère de l'intervention de M. Bérenger à propos de la nouvelle proposition de M. Butte: jamais M. Bérenger n'a voulu de privilège pour l'homme, mais il n'entend imposer la visite qu'aux femmes professionnelles...

MM. Augagneur, P. Meunier et Fiaux font observer à M. Bé

2e vol.

23

renger que les votes antérieurs de la Commission n'admettent plus de catégories de personnes il n'y a plus de professionnelles....

:

:

M. Bérenger persistera à viser les professionnels, et les professionnels des deux sexes, à l'exclusion de toutes autres personnes il ne s'occupera donc pas des non-professionnels. Quant aux hommes-prostitués, aux pédérastes, l'orateur n'a jamais entendu les soustraire à la visite sanitaire, telle que la demande de M. Bulot, quand ces individus seront arrêtés pour délit de racolage.

En résumé, M. Bérenger, comme correctif, avec un amendement à la proposition de M. Butte, dépose la proposition suivante dont il réclame la discussion dans une des plus prochaines séances :

<< Tout individu condamné pour délit de racolage sera immédiatement soumis à une visite sanitaire et traité d'office, s'il y a lieu. » (Bruits divers.)

M. Augagneur. Une question, M. Bérenger?- Une femme vénérienne racole, elle est arrêtée, condamnée pour racolage, examinée, reconnue malade; vous l'internez et la soignez d'office, n'est-ce pas ? Le même jour vous arrêtez un « monsieur distingué » qui commet un outrage aux mœurs sur un banc : ce « monsieur distingué » est condamné: en même temps il est examiné et reconnu vénérien ; une fois sa prison faite, l'internez-vous et le soignez-vous d'office comme la femme?

M. Bérenger.

contre les mœurs.

Parfaitement, si ce monsieur a commis un délit

M. Augagneur prend acte de la réponse de M. Bérenger.

M. Fiaux. Et s'il a simplement encouru les peines du nouvel article 330 pour racolage?

M. le Président fait observer aux divers membres de la Commission qui prennent la parole en ce moment que la question sera utilement examinée à fond quand tout le monde aura sous les yeux le rapport et la proposition imprimée de M. le Dr Butte. L'heure est trop avancée d'ailleurs pour prolonger ce premier débat.

Il vaut mieux fixer dès maintenant la date de la prochaine séance; il ne paraît pas à M. le Président que la Commission puisse se réunir avant quatre semaines, en raison des vacances de Pâques.

M. Bérenger demande à la Commission de fixer sa prochaine séance avant les vacances, le 14 avril par exemple; on pourrait aborder l'examen des propositions de l'orateur concernant la protection des mineurs. La question est urgente: il y a lieu d'instituer le plus tôt possible un système d'éducation en faveur de cette catégorie de la jeunesse. M. Bérenger, avant de saisir le Sénat d'une proposition de loi qu'il étudie depuis longtemps, aurait désiré que la Commission du Régime des mœurs se fût prononcée elle-même sur la question: si la Commission tenait sa prochaine séance le 14 avril et adoptait une solution, Forateur pourrait lui-même faire le dépôt de sa proposition au Sénat avant les vacances parlementaires.

M. Fiaux fait observer à M. Bérenger que M. le Professeur Le Poitevin a informé la Commission, lors du dépôt de la proposition de l'honorable sénateur, qu'il déposerait lui-même sur la question des mineurs un rap

LA NOUVELLE PROPOSITION DE M. BERENGER

355 port connexe: il serait difficile d'engager le débat sans avoir le rapport de M. Le Poitevin sous les yeux.

M. le Professeur Le Poittevia répond qu'il n'a aucun rapport à faire, l'exposé justificatif de son amendement à la proposition de M. Bérenger étant suffisant pour indiquer à la fois et son sentiment et les modifications qu'il réclame dans la proposition de M. Bérenger. Cet exposé a été imprimé et distribué aux membres de la Commission.

L'orateur rappelle que son amendement a pour objet d'instituer de • plus fortes garanties en faveur de la liberté individuelle et de la puissance paternelle ».

Sur le principe même de la proposition, M. Le Poitevin est d'accord avec M. Bérenger, mais il a tenu à préciser la question et « à obtenir des garanties juridiques d'accord avec les principes généraux de notre droit public ». (Très bien !)

M. Hennequin regrette de n'être pas du même avis que M. Bérenger sur la date de la convocation de la Commission. L'éminent sénateur est impatient, et son impatience se conçoit puisqu'il veut lui-même présenter un projet au Sénat. Mais il est certain que le débat sur l'importante question de la protection des mineurs prendra plusieurs séances de la Commission et que la discussion ne sera pas épuisée par la séance du 14 avril; force serait donc de couper le débat par un assez long congé, ce qui serait fâcheux; il est préférable de l'ajourner à une date où Ton pourra le poursuivre et le terminer sans interruption.

M. le Président consulte la Commission sur la date de la prochaine séance.

La Commission la fixe au vendredi 4 mai prochain.

M. Bérenger, dans ces conditions, annonce qu'il a toute liberté pour saisir, avant cette date, le Sénat de sa proposition.

M. le Président.

La proposition de M. Butte figurant en tête de Fordre du jour, M. le Dr Butte voudra bien envoyer son rapport à M. le Secrétaire général Hennequin pour impression et distribution avant la séance du 4 mai.

La séance est levée à midi.

Présents: Me AVRIL DE SAINTE-CROIX; MM. AGAGNEUR, BALZER, BERENGER, BESNIER, BORNE, BRIEUX, BRUMAN, BRUNOT, BULOT, BUTTE, DISLÈRE, FEUILLOLEY, FIAUX, FIQUET, FOURNIER, GIDE, LAURENT-ATTHALIN, LE POITTEvin, Meunier, MILLIES-LACROIX, MONOD, PAILLOT, SAINT-AUBIN, YVES GUYOT; MM. HENNEQUIN, Secrétaire général; BRANSOULIÉ, DOLLÉANS et JOLY, Secrétaires.

Excusés: MM. AUBERT, AUFFRET, BEAUCHET, BRISSAUD, BROUARDEL, CATTEAU CAVARD, COLIN, COMTE, CRUPPI, DANEY, DAUZON, DENIS, DESPLAS, DUBIEF, FABRE, FLACHON, FLOURENS, FOSSE, GAUCHER, D'IRIART D'ETCHEPARE, JEANNENEY, KERMORGANT, LANDE, LANDOUZY, LANGLET, LÉNARD, LÉPINE, LUCAS, MAILLART, MASCLE, MASTIER, MESLIER, MORLOT, MUTEAU, NOULENS, OPPORTUN, PÉDEBIDOU, DE PRESSENSE, DE SAL, SAUVAN, SERRES, STAUSS, TUROT, VINCENT: MM. DELAITRE et RENAULT, Secrétaires.

« PreviousContinue »