Page images
PDF
EPUB

Tentatives de codification ou de modification de la Réglementation de la prostitution au cours du XIXe siècle.

Note communiquée par M. Honnorat,
chef de la première division à la Préfecture de police,
à la Société des Prisons,

dans sa séance du 23 décembre 1903.

Dès l'an IV de la République, le 17 nivôse, le Directoire exécutif adressait au Conseil des Cinq-Cents un message pour appeler son attention sur la nécessité de rajeunir les ordonnances relatives à la prostitution et de définir par une loi ce qui constitue la fille publique.

Les termes de ce message décèlent une double préoccupation :

1o Assimiler la prostitution au délit et la punir de peines correctionnelles;

2o Assigner à la procédure et au jugement une forme particulière. Une Commission fut nommée pour étudier la proposition du Directoire; mais ses travaux n'aboutirent pas.

Les législateurs ne purent ou ne voulurent définir ce qui constitue la fille publique; en second lieu, ils estimèrent sans doute que la création 'd'un tribunal spécial, jugeant à huis-clos, sans instruction préalable, sans l'audition des témoins ni l'assistance d'avocats, eût été incompatible avec les formes de la justice.

Cependant, le 7 germinal an V (1798), le Conseil des Cinq-Cents fut saisi d'une proposition analogue à la précédente, présentée par Bancal, l'un de ses membres. Cette proposition fut combattue et repoussée par un ordre du jour motivé sur ce qu'il existait des règlements très précis, qu'il suffisait de mettre à exécution. Or les règlements auxquels se référait le Conseil des Cinq-Cents étaient précisément ceux que je vous ai rappelés tout à l'heure (les règlements royaux).

La juridiction administrative se trouva donc maintenue par la force des choses.

En 1810, lors de la refonte de notre droit pénal, les législateurs ne crurent pas devoir insérer dans le Code une disposition relative à la question qui nous occupe. Mais l'article 484 du Code pénal a sanctionné les anciens règlements. Cet article est ainsi conçu: « Dans toutes les matières qui n'ont pas été réglées par le présent code et qui sont régies par des lois et règlements particuliers, les Cours et les tribunaux (1) continueront de les observer. »

(1) La Préfecture de police figure-t-elle une Cour ou un tribunal dans notre organisation judiciaire?

Lorsque cet article fut édicté, l'orateur du Gouvernement, en énumérant les matières visées implicitement dans cet article, y comprit la prostitution.

Plus tard, notamment en 1811, 1816, 1819, 1848, des administrateurs, s'entourant des conseils de jurisconsultes, essayèrent de formuler des projets de réglementation appropriés, autant que possible, aux exigences de la morale et plus conformes aux principes du droit actuel. Leur tentative échoua.

Plus près de nous, le 8 mai 1877, le Sénat vota un ordre du jour contenant ce passage: « Il existe toute une législation sur la matière, depuis 1789 jusqu'à nos jours, à laquelle il est prudent de ne toucher qu'avec une extrême réserve, car le temps et l'expérience en ont démontré l'efficacité. »>

Enfin, plus récemment encore, en mai 1895, notre éminent collègue M. Bérenger, déposa, sur le bureau du Sénat, un projet de loi sur la prostitution et les outrages aux mœurs. Le souvenir des discussions très vives et très intéressantes auxquelles donna lieu cette tentative est encore dans toutes les mémoires. Mais, vous le savez aussi, le projet, bien qu'adopté en première délibération, n'aboutit pas.

Dans ces conditions, le Préfet de police n'a pu que maintenir les modes de surveillance et de répression qui sont consacrés par une expérience plus que séculaire et qui ont été, sinon légalisés, du moins tolérés et approuvés par tous les pouvoirs publics, qui en ont reconnu l'efficacité.

Instructions du Gouvernement

concernant le pouvoir réglementaire des maires en matière de prostitution.

I

Instruction de M. le Directeur général de la Police du Royaume à M. le Maire de Lyon

relative à la réglementation des maisons de tolérance.

Paris le 17 octobre 1814.

Vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 7 de ce mois, Monsieur le Maire, pour me consulter relativement au droit que vous pouvez avoir de faire fermer une maison de débauche que l'on a établie à Lyon sur la place des Célestins.

Les lois civiles n'autorisent ni ne protègent les établissements de prostitution. On les tolère dans les villes populeuses pour éviter un plus grand mal; et c'est à cette considération seule que les maisons de tolérance doivent leur existence.

Il suit de ce principe, que l'autorité administrative a le droit de désigner les rues et les quartiers où il peut exister des établissements de cette nature ainsi que ceux où il est interdit d'en former en raison du respect dû aux mœurs publiques et du maintien de l'ordre.

L'autorité municipale a pareillement le droit de faire, relativement à ces maisons, tous les règlements qu'elle juge nécessaires ou simplement utiles. Elle peut ordonner la fermeture, lorsqu'elles compromettent la tranquillité publique, punir administrativement les femmes de mauvaise vie qui y donnent lieu par leur conduite et les soumettre au régime que des considérations de santé publique peuvent exiger.

Signé: C. BEUGNOT.

II

Instruction du Ministre de l'Intérieur et des Cultes

à M. le Préfet du Rhône

relative à la réglementation de la prostitution à Lyon.

Paris le 28 août 1833.

Monsieur le Préfet, en me transmettant le 21 courant une lettre de M. le Maire de Lyon du 20, accompagnée de la copie d'une instruction de M. le Directeur général de la Police du 17 octobre 1814, relative à la répression des désordres commis par les filles publiques, vous rappelez

deux lettres que vous avez adressées à mon prédécesseur, sur ce même sujet, les 26 juin et 18 septembre 1832.

J'ai pris connaissance, M. le Préfet, de toutes ces pièces et je réponds aux diverses questions que renferme la lettre de M. le Maire de Lyon. Ce fonctionnaire demande :

1° Quelles sont les mesures de police que l'autorité doit prendre à l'égard des filles publiques et dans quelles limites elles doivent se renfermer?

Aux termes des anciennes ordonnances, les filles publiques se trouvaient, par le seul fait de leur prostitution, hors du droit commun, mais il ne peut plus en être ainsi sous notre régime constitutionnel.

Cependant, si l'on ne peut leur appliquer les dispositions des anciens édits, l'autorité civile n'en a pas moins conservé le droit de les soumettre à des règlements de police, tels que le comportent les localités, le maintien de l'ordre et le soin de la santé publique.

Il importe donc, en cas de maladie, de leur ouvrir un asile où elles puissent être traitées et mises, jusqu'à parfaite guérison, hors d'état de propager le mal dont elles sont atteintes.

Mais l'autorité civile ne peut ni les faire punir administrativement, ni les détenir en prison, ni les faire conduire par la gendarmerie au lieu de leur naissance, à moins qu'elles n'aient été condamnées correctionnellement, conformément à l'article 330 du Code pénal, pour outrage aux mœurs.

Dans tous les cas, ce sont les tribunaux qui doivent prononcer et non l'autorité civile dont l'action se borne à faire observer leur conduite, afin de les livrer à la justice, si elles se rendent coupables de quelque délit ou contravention caractérisés.

20 Que doit faire la Police dans le cas prévu par l'article 52, titre III, de la loi du 10 juillet 1791?

Cet article est relatif aux filles publiques qui seraient surprises avec les soldats dans leurs quartiers, lorsqu'ils sont de service ou après la retraite. Il convient, dans ce cas, de les arrêter et de les déférer au Procureur du roi conformément à la loi.

30 En quoi consiste l'exercice de la surveillance prescrite par l'article 10, titre Ier, de la loi du 29 juillet 1791, et de l'article 8 de l'arrêté du 5 brumaire an IX, concernant les lieux de debauche, les personnes qui y résident et celles qui s'y trouvent?

A faire visiter périodiquement les filles publiques par des médecins ad hoc, pour s'assurer de leur santé, donner en tout temps aux officiers de police accès dans leurs maisons pour y arrêter les individus qui troubleraient la tranquillité publique ou commettraient d'autres délits.

40 Enfin, l'instruction du 17 octobre 1814 du Directeur général de la police du Royaume est-elle annulée par la Charte de 1830?

Les dispositions de cette lettre n'ont rien de contraire à la Charte, à l'exception de celle qui admet que l'autorité civile peut punir administrativement les filles publiques dans certains cas. Cette faculté ne peut exister aujourd'hui, ainsi qu'il a été dit plus haut, et les tribunaux seuls peuvent infliger les peines encourues.

« PreviousContinue »