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Projet de loi tendant à réprimer le délit de contamination des mineurs des deux sexes.

FÉDÉRATION ABOLITIONISTE INTERNATIONALE

Congrès de Lyon 1901.

Rapport de M. Louis Fiaux.

Résumé présenté au Congrès par le Bureau.

Pour assurer la régénération et la repopulation (l'auteur vise la France en particulier), il faut assurer les sources de la génération.

Il y a nécessité urgente à remplacer l'ignorance dans laquelle est maintenue l'adolescence en matière de morale sexuelle, l'insuffisance des secours publics, l'erreur hygiénique et l'illégalité de la police des mœurs par un triple système opposé. Il faut donner à la jeunesse une éducation et une instruction scientifiques complètes; il faut organiser un système effectif de secours publics spéciaux; il faut réprimer la contamination spécifique par les hommes et abolir la réglementation de la prostitution.

Des chiffres anciens et récents montrent que la syphilis s'infiltre et se maintient dans le corps social en grande partie par la contamination des jeunes gens et des jeunes filles et femmes ; ces dernières inscrites ou libres. D'autre part, la gravité incontestable de la syphilis, ses rechutes, en font incontestablement une maladie d'un caractère social.

Il y a nécessité, dans ces conditions, à protéger la jeunesse des deux sexes — exclusivement la jeunesse en état de minorité civile - contre les contaminations syphilitiques.

La contamination constitue un véritable délit, soit conscient, soit par imprudence, qui tombe sous le coup des articles du Code pénal en vigueur. Il y a légitimité à assimiler la transmission volontaire ou involontaire de la syphilis aux coups et maladies volontairement ou involontairement donnés par autrui.

Les principes de la Fédération ne sont nullement contraires à une répression qui ne vise que les mineurs.

La liberté individuelle et son principe intangible ne peuvent être mis en cause par la doctrine de répression légale au bénéfice des mineurs des deux sexes.

PROTECTION DES MINEURS

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Le devoir est la conscience du droit d'autrui. Le droit d'autrui et la liberté individuelle ne sont point en contradiction.

La liberté individuelle emporte le droit d'avoir telles mœurs que chaque citoyen veut adopter dans les limites du fonctionnement de la société.

Mais à côté de cette liberté individuelle fondamentale, avec toutes ses habitudes, d'autres partisans de la liberté individuelle la voudraient même quand une personne ne respecte pas chez autrui, dans l'espèce chez des mineurs, des droits égaux et parallèles aux siens.

L'auteur du projet de loi n'admet pas une telle doctrine, parce qu'on n'y trouve aucun des éléments légaux et sociaux de la liberté individuelle elle-même.

La liberté de faire de ce que l'on veut de son corps n'est pas la liberté d'attenter au corps des autres.

Ce serait faire de la prostitution des femmes et de la poursuite libre des hommes un dogme incompréhensible que de respecter les malades des deux sexes qui, consciemment, syphilisent les jeunes filles et les jeunes gens.

En conséquence, notre collègue, M. L. Fiaux, propose au vote du Congrès le projet de loi (résumé) ci-dessous :

ARTICLE PREMIER. La transmission volontaire, consciente, de la maladie syphilitique à une personne de l'un ou l'autre sexe âgée de moins de 21 ans, est un délit correctionnel puni des peines qui frappent les auteurs des coups, blessures et maladies volontairement occasionnés, peines visées à l'alinéa IV de l'article 317 du Code pénal (emprisonnement de un mois à cinq ans, amende de 16 à 500 francs).

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ART. 2. La transmission involontaire de la maladie syphilitique à une personne de l'un ou l'autre sexe âgée de moins de 24 ans, est punie des peines énumérées à l'article 320 du Code pénal (emprisonnement de six jours à deux mois; amende de 46 à 100 francs ou 1 une de ces deux peines seulement).

-

ART. 3. - Le dénonciateur calomnieux est passible des peines portées à l'article premier de la présente loi.

ᎪᎡᎢ. 4.

Ordonner l'affichage permanent de la loi à la porte des mairies, à la porte et à l'intérieur des hôpitaux spéciaux et généraux, et transitoirement dans la salle principale des établissements tolérés par les autorités municipales.

Porter des peines contre l'arrachage ou la lacération desantes affiches. L'action civile en dommages-intérêts devant les tribunaux correctionnels est réglementée par les articles 1 à 3 du Code d'instruction criminelle.

(Voir ci-après, pages 972-973, le projet de loi in extenso.)

Projet de loi

tendant à réprimer le délit de contamination

des mineurs des deux sexes.

ARTICLE PREMIER. La transmission volontaire, consciente, de la maladie syphilitique à une personne de l'un ou l'autre sexe âgée de moins de 21 ans (1) est un délit correctionnel puni des peines qui frappent les auteurs des coups, blessures et maladies volontairement occasionnés, peines énumérées à l'alinéa IV de l'article 317 du Code pénal (Liv. III, t. II, ch. Ier, sect. II, art. 317, § 4 du Code pénal) :

<«< Celui qui aura occasionné à autrui une maladie ou une incapacité de travail personnel en lui administrant, de quelque manière que ce soit, des substances qui, sans être de nature à donner la mort, sont nuisibles à la santé, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de 16 francs à 500 francs. »

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ART. 2. La transmission involontaire de la maladie syphilitique à une personne de l'un ou l'autre sexe âgée de moins de 21 ans, est punie des peines énumérées à l'article 320 du Code pénal.

(Liv. II, t. II, chap. Ier, sect. III, § 4. Homicide, blessures et coups par imprudence, inattention, négligence). Art. 320 du Code pénal :

«S'il n'est résulté du défaut de précaution que des blessures ou coups, le coupable sera puni de six jours à deux mois d'emprisonnement et d'une amende de 16 francs à 100 francs, ou de l'une de ces deux peines seule

ment. >>

ART. 3.

Le dénonciateur calomnieux est passible des peines portées à l'article premier de la présente loi.

ART. 4. Le texte de la présente loi sera affiché d'une manière permanente, à la porte de toutes les mairies, à la porte et à l'intérieur des hôpitaux spéciaux et généraux, et transitoirement dans la salle principale de tous les établissements présentement tolérés par les autorités municipales.

Toute personne qui aura détruit ou lacéré le texte affiché sera condamnée à une amende de 1 à 5 francs et aux frais du rétablissement de l'affiche. (Cf. l'art. 12 de la loi du 23 janvier 1873 tendant à réprimer l'ivresse publique et à combattre les progrès de l'alcoolisme).

(1) Nous arrêtons à 21 ans, àge de majorité civile en France, l'àge au-dessous duquel seulement les contaminations d'ordre syphilitique tomberont sous le coup de la loi pénale.

Le législateur français a cru devoir faire, en matières d'attentats aux mœurs, des distinctions nombreuses entre les âges que doivent avoir les mineurs des deux sexes pour que la répression soit plus ou moins énergique : nous ne suivons pas le législateur sur ce terrain puisque, ainsi que nous l'avons dit dans le texte, nous rattachons la répression de la contamination syphilitique à la répression des coups, blessures, maladies.

PROTECTION DES MINEURS

973

Alinéa 2.

Dommages-intérêts.

ARTICLE PREMIER DU CODE D'INSTRUCTION CRIMINELLE.

L'action en réparation du dommage causé par un crime, par un délit, ou une contravention, peut être exercée par tous ceux qui ont souffert de ce dommage.

Alinéa 2.

ART. 2.

L'action civile pour la réparation du dommage peut être

exercée contre le prévenu et contre ses représentants.

ART. 3.

L'action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique. Elle peut aussi l'être séparément; dans ce cas l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile.

ART. 4.

La renonciation à l'action civile ne peut arrêter et suspendre l'exercice de l'action publique.

Nota. Le projet de loi mettant en cause des mineurs non pas seulement victimes mais coupables, le rapport annexé rappelait les articles 66 du Code pénal (mineurs de moins de 16 ans agissant avec ou sans discernement) (1), 463 (circonstances atténuantes), la loi du 26 mars 1891 (Loi Bérenger sur l'atténuation de la peine par le sursis à l'exécution); il rappelait également que cette même loi du 26 mars 1891, dans sa deuxième partie, organise un système de répression en cas de récidive dans des délais déterminés, qui aggrave lourdement les pénalités même au correctionnel (V. Liv. Ier, chap. IV. Des peines de la récidive pour crimes et délits. Art. 57 et 58 C. p.).

La seconde partie de l'exposé des motifs comprenait un tableau détaillé des statistiques morbides concernant les mineurs des deux sexes depuis 1816 jusqu'aux dates les plus récentes, en France et dans les principaux pays de l'Europe.

(1) Le lecteur sait que depuis la loi du 14 avril 1906, l'âge de la majorité pénale est reporté à 18 ans.

du Régime des Mœurs

et le délit pénal de contamination

Par M. Charles GIDE,

Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Paris.

(Le Relèvement social du 15 décembre 1905, Saint-Étienne.) (1).

La Commission extraparlementaire du Régime des mœurs, dans ses séances du 17 novembre et du 1er décembre, a discuté la question de savoir si la communication d'une maladie vénérienne devait constituer un délit.

La question a été très clairement posée par M. le sénateur Bérenger, rapporteur. Il ne s'agit pas de décider que la contamination, comme on dit, pourra entraîner des dommages-intérêts au profit de la victime et à la charge de l'auteur du préjudice causé. Ceci est déjà admis par la jurisprudence. Et, en effet, le droit commun qui décide que « quiconque aura par son fait porté préjudice à autrui sera tenu de le réparer » suffit. Mais cette responsabilité purement civile, comme on dit, c'est-à-dire qui n'a d'autre sanction qu'un procès devant le tribunal, procès difficile à intenter de la part de la partie lésée et bien plus difficile à gagner, n'est pas bien effrayante pour les vénériens. Et malheureusement il est démontré par d'effroyables histoires qu'elle ne les effraie pas du tout. M. le Pr Fournier a fait courir le frisson dans l'auditoire en racontant les drames de famille dont il a été le confident, impuissant à les prévenir; combien il a vu de jeunes femmes empoisonnées jusqu'aux moëlles par leurs maris, et par des maris qu'il avait avertis avant leur mariage, mais qui avaient passé outre en disant qu'il était trop tard pour rompre ou, plus cyniquement encore, qu'ils avaient absolument besoin de la dot de leur femme pour payer leur étude de notaire ou pour payer leurs dettes! Au reste, le cas encore plus fréquent d'un jeune homme qui contamine sa maîtresse en dehors du mariage n'est nullement moins odieux. Et plus horrible encore, si possible, un fait qui pour beaucoup d'entre nous était une révélation et qui pourtant est, parait-il, assez fréquent, par suite d'un préjugé très répandu dans les campagnes, le fait d'un homme ayant la syphilis, qui prend une jeune fille vierge, de gré ou de force, afin de se guérir.

Ne faut-il pas dire que des actes pareils doivent relever de la justice criminelle, mille fois plus que des vols ou des coups de couteau, et que

(1) Rédacteur en chef, M. Louis Comte, membre de la Commission.

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