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CHAPITRE XV.

De l'interprétation des lois et dispenses qu'on accorde.

246. Dès que les lois ecclésiastiques ont été légitimement publiées, elles doivent servir de règle dans les jugemens. Tous ceux qui y sont soumis doivent les observer sans aucune distinction de personne, et sans qu'on puisse alléguer l'ignorance de la loi, dont chacun est censé avoir la connoissance, dès qu'elle a été promulguée suivant les formes ordinaires.

247. Les lois nouvelles n'ont d'effet qu'après leur publication, parce que personne ne doit être puni pour avoir manqué à l'observation d'une loi dont on ignore les dispositions. Ainsi la loi ne sert qu'à décider les contestations qui sont nées depuis qu'elle est promulguée; il faut excepter de cette règle les cas dans lesquels la loi porte expressément qu'elle aura lieu pour les affaires qui ont précédé sa promulgation, et les lois qui ne font que confirmer ou expliquer les lois précédentes, dont quelque abus avoit altéré l'usage, ou qui n'étoient point conçues d'une manière assez claire.

248. Dans l'interprétation des lois, il faut plus s'at, tacher à découvrir le véritable sens et l'esprit de la loi, qu'à en suivre les paroles. C'est pourquoi, quand on rencontre dans une loi quelque endroit obscur, il faut la lire tout entière avec attention, même le préambule, s'il y en a un, afin de juger de ses dispositions par ses motifs, et préférer à toute autre explication celle

qui paroît le plus conforme à l'esprit de la loi et à l'intention du législateur.

249. S'il se trouve quelque réglement qui soit la suite naturelle de la disposition de la loi, et qui tende à lui donner son entier. effet, on doit suppléer ce qui manque à l'expression, et étendre la loi à tout ce qui est compris dans l'intention du législateur.

250. Dans le doute sur l'interprétation d'une loi, il faut s'en tenir au sens qui est fixé par l'usage, pourvu qu'il soit constant, ancien et confirmé par une suite de jugemens uniformes.

251. Lorsque le droit des parties paroît obscur et embarrassé, il faut incliner plutôt en faveur du défendeur qui combat pour ne point perdre, qu'en faveur du demandeur qui cherche à gagner.

252. Il y a des lois qu'on étend le plus qu'on peut, d'autres qu'on renferme dans les bornes les plus étroites. Ainsi celles qui favorisent ce que l'utilité publique, l'humanité, la religion et d'autres motifs rendent favorables, doivent s'interpréter avec l'étendue que peut y donner la faveur de ces motifs joints à l'équité. Pour celles qui restreignent la liberté naturelle ou qui établissent des peines, elles ne doivent point être tirées à conséquence pour les cas qui n'y sont pas marqués expressément. Il faut donc les renfermer dans leurs espèces et leur donner tout le tempérament d'équité qu'elles peuvent souffrir.

253. Nous avons dans la jurisprudence ecclésiastique comme dans la civile, certains principes généraux qu'on regarde comme le droit commun; toutes les règles qui sont conformes à ces principes généraux sont favorables: on ne doit point au contraire tirer à conséquence celles qui sont contraires à ces principes du droit commun.

254. Quelque rigoureuses que puissent paroître les dispositions d'une loi, il faut les suivre à la lettre, s'il est évident que cette rigueur soit essentielle à la loi, et qu'on ne puisse y apporter de tempérament sans l'anéantir. Mais, si la loi peut avoir son effet par une interprétation qui modère cettè rigueur du droit, il faut préférer l'équité qui est l'esprit de toutes les lois, à la manière étroite et dure de les interpréter.

255. Il y a des lois qui déclarent nul tout ce qui est fait au préjudice de leurs dispositions, comme celles qui regardent les empêchemens dirimans du mariage; d'autres au contraire prononcent des peines contre ceux qui y contreviennent, sans déclarer les actes nuls. Dans le cas de la contravention aux lois de la première espèce, ce qui a été fait au préjudice de la loi ne peut être confirmé par ce qui se passe dans la suite; mais, si l'acte étoit valable dans son principe, il ne seroit point, annulé par ce qui seroit arrivé dans la suite, quoique ce qui s'est passé l'ait rendu nul, si les choses s'étoient trouvées dans le même état, dans le temps que l'acte a été fait.

256. Les grâces que les lois accordent par faveur ou dans le cas d'une nécessité absolue à certaines personnes, ne doivent point être appliquées à d'autres, quand même elles prétendroient se trouver dans le

même cas.

257. Nous ne pouvons faire indirectement, et sous le nom d'un autre, ce que la loi nous défend. Les grâces qui sont accordées à des particuliers par un privilège ou par la loi ne doivent jamais tourner à leur préjudice.

258. On regarde les privilèges comme des lois faites en faveur des particuliers. Quand ils sont personnels, ils s'éteignent par la mort de la personne à laquelle ils sont attachés ; quand ils ont été accordés à la dignité ou à la

communauté, ils subsistent après la mort de celui qui les a obtenus pour sa dignité ou pour sa communauté.

259. Les lois sont abrogées par des lois contraires valablement publiées, ou par une coutume contraire à la loi, quand cette coutume a été observée pendant quarante années, et qu'elle n'est opposée, ni au droit naturel, ni au droit divin, ni aux règles fondamentales de la discipline ecclésiastique.

260. Les actes et les transactions, que passent entre eux des particuliers, sont des lois qui doivent être exactement observées entre ceux qui les ont passés, pourvu qu'ils aient traité d'une chose dont ils pouvoient disposer, et que leurs conventions ne contiennent rien de contraire aux bonnes mœurs.

261. Si une personne s'est engagée à faire quelque chose, et qu'elle ne puisse exécuter ce qu'elle a promis, sans que cette impuissance vienne de sa part, on ne peut rien lui imputer. On doit aussi regarder une condition comme exécutée, quand il n'a point dépendu de celui qui s'y étoit engagé qu'elle ne le fût.

262. Quand il y a dans un acte quelque clause obscure, il faut l'expliquer contre celui qui auroit pu s'exprimer plus clairement.

263. Personne ne peut transférer à un autre plus de droit qu'il n'en a lui-même. Le cessionnaire qui profite du droit qui lui a été cédé, doit en porter les charges, et se soumettre aux mêmes conditions que celles auxquelles s'est soumis celui qui lui a fait la cession.

264. Lorsqu'on propose dans un acte une alternative, c'est à celui à qui l'alternative est proposée de choisir; et il satisfait à l'acte en accomplissant l'une des deux choses qui lui sont proposées. Mais, après son option, il ne peut plus varier.

265. Une clause vicieuse, qui ne tombe pas sur le

principal de la convention, ne rend pas un acte nul. 266. On peut regarder les dispenses comme une in terprétation des lois; car, quand un supérieur ecclésiastique accorde une dispense, il ne doit faire autre chose que de déclarer en juge que l'intention de l'Église n'est point de faire observer ses décrets à la rigueur dans l'occasion qui se présente, parce que le tempérament dont on veut se servir est alors plus avantageux à l'Église que la rigueur des lois. C'est ce qui fait que les canonistes définissent les dispenses un sage relâchement de la sévérité des règles ecclésiastiques.

267. Aucun supérieur ecclésiastique, même le Pape, ne peut dispenser de ce qui est de droit naturel ou de droit divin, même sous prétexte d'éviter un plus grand mal, puisqu'il n'est pas permis de faire un mal pour qu'il en arrive un bien.

268. On ne doit accorder de dispense que quand il y a nécessité ou quelque utilité qui en puisse revenir directement ou indirectement à l'Eglise ou à l'état. Accorder des dispenses sans cause, c'est détruire la discipline ecclésiastique.

Il y a des dispenses qui sont réservées au Pape; il y en a d'autres que les évêques peuvent accorder. In'y a point de règle générale pour distinguer celles que le Pape seul peut accorder, de celles que les évêques peuvent donner. Il faut sur ce sujet consulter les lois particulières sur chaque matière et les usages des difrentes églises. Il y a des diocèses en France, dans lesquels les évêques sont en possession de donner des dispenses pour les mariages au quatrième degré de parenté ou d'affinité, et d'autres où il faut s'adresser au Pape pour obtenir cette permission.

269. Le Pape accorde des dispenses par des rescrits qui ne peuvent être exécutés qu'après avoir été ful

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