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A ces deux faits dont la divine harmonie n'en fait qu'un, correspond un autre fait encore qui se confond avec celuilà ou qui le complète : c'est que l'homme sent son infirmité et cherche le divin remède, comme il reconnait son ignorance des choses divines et cherche la lumière d'en haut, la parole, l'autorité de Dieu. C'est que non-seulement il sent son inclination au mal et le besoin d'un secours pour le vaincre, mais qu'en même temps il éprouve le désir d'une vie supérieure et le besoin de la main de Dieu, de l'aide de Dieu pour s'y élever. C'est, en un mot, que sa faiblesse cherche la force et qu'elle la trouve là où sa raison cherche et trouve la lumière. *

Il est donc vrai que le rationalisme repose sur la négation vaine de deux faits incontestables, et qu'en rejetant la grâce au nom de la nature, il résiste à la voix qui gémit dans cette nature, comme en rejetant la révélation au nom de la raison, il résiste à la voix mème de la raison. C'est la raison, en effet, qui appelle la révélation, et c'est elle encore qui la reconnait à ses divins caractères. Les vérités que nous nous bornons à indiquer ici, ont été développées dans Le libre Examen de la vérité de la foi1 où nous avons pris soin de ne pas opposer des théories à des théories, des opinions à des opinions, mais où nous n'avons invoqué que des faits. A chacune des àmes trompées par l'orgueil rationaliste, nous avons dit : Ecoute et regarde il n'y a que deux faits à vérifier, un en toi et un hors de toi : écoute ta conscience, et elle te dira le premier; regarde attentivement, tu verras le second; et leur divin accord

4) Chez Casterman, Paris, rue de Tournon, 20.

t'apprendra où parle et vit le Dieu qui te rappelle: Audi filia et vide, et revertere.2

Constater ces faits, c'est convaincre de faux le rationalisme en général, c'est le réfuter dans son principe. Il n'est donc nullement nécessaire après cela de le combattre en détail et dans ses conclusions. Mais ce qui n'est pas indispensable est souvent utile, et nous croyons très-utile surtout de poursuivre le rationalisme dans sa conclusion. favorite, dans sa formule de prédilection: la négation de la divinité de Jésus-Christ, de l'incarnation du Verbe.

Si cette négation n'a pas toujours été franchement. énoncée dans les chaires d'enseignement public, ou dans les œuvres des chefs de la doctrine, elle est produite aujourd'hui sans détour dans un grand nombre d'ouvrages destinés au public lettré et non lettré, et surtout aux élèves de diverses Universités de l'Europe. La même voie a été suivie à cet égard en Allemagne, en France et ailleurs. Les principes furent posés par les maîtres, mais à l'aide des formules nuageuses d'un panthéisme toujours résolu d'échapper à quiconque veut le saisir. Les conclusions furent crûment tirées par les disciples. C'est ainsi qu'en Allemagne, on partit des hauteurs de Lessing, de Kant, de Hégel, de Schelling, pour arriver par divers degrés à Strauss, Bauer, Heine et Feuerbach; et qu'en France, on descendit de Cousin et de Jouffroy jusqu'à Proudhon, en glissant à côté de MM. Simon et Saisset, par des pentes où l'on rencontre à des profondeurs diverses, MM. Leroux, Pelletan, Vacherot, Reynaud, Renan et beaucoup d'autres.

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L'erreur soutenue par les sociétés secrètes a gagné l'Angleterre, l'Italie, et la Russic elle-même où les classes lettrées participent désormais au mouvement intellectuel de l'Occident. La Belgique enfin, pour ne citer qu'une des nations moins puissantes, la Belgique si bien placée entre la France et l'Allemagne pour subir leur double influence, eut à son tour ses chaires de panthéisme, et de cette erreur inavouée, vit sortir de fidèles adeptes des doctrines en vogue dans les Universités allemandes et française.

La théorie dominante aujourd'hui dans ces différents centres rationalistes de hautes études, appuie la négation de la Divinité de Jésus-Christ sur la négation radicale de toute révélation proprement dite du Dieu vivant et personnel à la raison de l'homme (Adversatur Christo, et extollitur supra omne quod dicitur Deus.'), et elle remplace la révélation véritable de Dieu à la raison, par la révélation prétendue de la raison à la raison, c'est-à-dire par une contradiction dans les termes.

Cette erreur n'est autre chose que le panthéisme appliqué à l'idée de la révélation. On tente, il est vrai, de se défendre du panthéisme, en disant qu'on ne fait pas l'homme auteur de la révélation, et qu'on enseigne, au contraire, que Dieu se révèle par l'humanité, mais comme on ajoute que cette révélation est nécessairement continue parce qu'elle est naturelle à l'humanité, on confesse en réalité le panthéisme qu'on renie en apparence. En effet, le dieu qu'on fait auteur de la révélation ne pouvant se révéler que par l'humanité, et sa révélation se confondant nécessairement avec la pensée ou les pensées des différents

(4) II. Thess. 2. 4.

àges du monde, n'est évidemment autre chose que le dieuimpersonnel du panthéisme, que l'idole idéale que l'homme se fait à lui-même, comme l'avouent les initiés à ce nouveau paganisme, quand ils laissent échapper leur secret.1

Cette doctrine remplit les ouvrages dont nous venons de citer les auteurs, et une foule d'autres encore, car elle ne dédaigne aucune forme, et envahit même le théâtre, le roman et le pamphlet. Au lieu de railler toutes les religions à la manière de Voltaire, ce qui ne convenait plus à l'état des esprits fatigués de scepticisme, on s'est mis à les admirer toutes, tendant ainsi au même but par un autre chemin. Comment ne pas admirer tout ce qui vient de l'humanité? L'humanité n'est-elle pas l'unique révélatrice, Supra omne quod dicitur Deus? N'est-elle pas l'incarnation de la divinité nouvelle? L'athéisme avait dit : Il n'y a ni Dieu ni révélation; le panthéisme assure qu'il n'y a rien d'autre. Peu importent les contradictions entre Bouddha et Moïse, Mahomet et Notre-Seigneur Jésus-Christ; tout a été bon à sa place et en son temps. Il est vrai qu'il faut renier toutes ces révélations du passé, parce que la révélation de l'humanité est essentiellement progressive, et que rien ne reste, rien ne dure en elle que le changement lui-même. Tout ce qu'a fait l'humanité doit donc être béni, et toutes ses révélations doivent être glorifiées, mais à la condition qu'on se garde bien d'y croire, afin de réserver religieusement sa

(1) «Sous une forme ou sous une autre, dit M. Renan, Dieu sera toujours le résumé de nos besoins supra-sensibles, la catégorie de l'idéal (c'est-à-dire la forme sous laquelle nous concevons l'idéal), comme l'espace et le temps sont les catégories des corps (c'est-à-dire les formes sous lesquelles nous concevons les corps). En d'autres termes, l'homme, placé devant les choses belles, bonnes ou vraies, sort de lui-même, et suspendu par un charme céleste, anéantit sa chétive personnalité, s'exalte, s'absorbe. Qu'est-ce cela, sinon adorer ? » (Etudes, p. 419.) Voilà ce qui se dit dans la patrie de Bossuet.

foi à la religion de l'avenir, le progrès ou le changement étant seul immuable! Grand principe qui regardera aussi nos neveux, et les neveux de nos neveux dans les siècles des siècles, car le futur pour les uns devant être le passé pour les autres, la religion de l'avenir sera toujours à venir. 1

Voilà donc ce qu'on fait aujourd'hui du progrès, cette grande chose qui est la loi même de la régénération chrétienne de l'homme et du monde. Voilà ce qu'on veut faire du progrès qui n'aurait plus de sens s'il n'était le mouvement dans l'ordre, s'il n'avait son point de départ, son but, sa direction, son centre et ses lois, s'il n'était, en un mot, le développement dans l'unité.

Et que devient cette unité dans la théorie humanitaire du rationalisme? L'y trouverait-on peut-être, dans l'harmonie des contraires? Mais non, ce qu'on y trouve c'est la prétention formelle à l'harmonie des contradictoires, dans les faits comme dans les doctrines, c'est-à-dire la prétention systématique à l'absurde et à l'impossible, au nom d'un principe nouveau qui doit transformer la vieille logique. Ce principe nouveau, c'est le principe d'identité ou du troisième survenant, Principium tertii intervenientis, en vertu duquel toutes les contradictions sont ramenées à l'identité, selon la fameuse formule de Hégel: Identité de l'identique et du non identique.2

(1) On voit que les conclusions du panthéisme et de l'athéisme sont pratiquement les mêmes, puisqu'il est indifférent de dire, sous le rapport moral, qu'il n'y a pas d'autre Dieu que la nature, ou qu'il n'y a pas d'autre nature que Dieu. L'absence de religion, de devoir, d'obligation morale, résulte au même titre de ces deux formes de la plus complète des erreurs.

(2) Cette incroyable doctrine est incontestablement celle de Hégel, celle qu'on nomme aujourd'hui la philosophie allemande, et qui donne le ton au rationalisme

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