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français en a peut-être souffert outre mesure; ce qu'il faut regretter surtout, c'est que les pénibles et courageux efforts des héros de Fachoda aient été accomplis pour rien; ce dont il faut surtout se souvenir, c'est de la glorieuse page que l'histoire de notre pays doit à Marchand et à ses compagnons. La France partie, l'Angleterre continua dans le bassin du Haut-Nil l'œuvre entreprise, sans être gênée par qui que ce fût, et le 19 janvier 1899, elle passait avec l'Egypte un traité (1) ayant pour objet de régler la situation des « provinces reconquises » vis-à-vis des deux Etats.

Ce traité commençait par constater que les résultats obtenus étaient dus aux efforts militaires et financiers joints de Sa Majesté Britannique et du gouvernement du Khédive: il établissait, en conséquence, un condominium angloégyptien sur ces régions en droit exclusivement égyptiennes, le Khédive restant propriétaire comme devant, l'Angleterre le devenant par droit de conquête ».

Le Soudan anglo-égyptien commençait au 22o parallèle de latitude nord, et devait englober vers le sud tous les territoires conquis ou à conquérir et ayant jadis été administrés par le Khédive; on y comprenait d'ailleurs OuadiHalfa et Souakim, qui n'avaient jamais cessé de dépendre du gouvernement du Caire, sous prétexte que, « pour de << nombreux motifs, elles pourraient être administrées d'une « manière plus effective, en connexité avec les provinces « reconquises, auxquelles ces territoires sont adjacents » ; façon très habile d'arrondir la part commune en lui donnant un débouché sur la Mer Rouge, au détriment de la BasseEgypte, dans laquelle l'Angleterre estime sa situation beaucoup moins forte.

En effet, cette dernière pense bien être quelque jour forcée d'évacuer le Delta, sans pouvoir opposer aux puissances aucun argument sérieux pour s'y maintenir; tandis que pour le Soudan, elle compte pouvoir arguer, avec une ombre de raison, de ce qu'elle appelle « son droit de conquête » pour rester indéfiniment. D'où sa préoccupation de

(1) V. le texte, dans la Revue génér. de droit intern. publ., 1899, p. 169, et la Chronique de M. F. Despagnet, eod. loc., p. 169 à 196.

comprendre dans les territoires soudanais le plus d'étendue possible, et surtout Souakim qui n'en dépend pas, mais sans la possession de laquelle le Haut-Nil se trouve isolé de la Mer Rouge. Disons toutefois que, vraisemblablement pour ne pas effrayer les puissances, le drapeau anglais ne devait pas être hissé à côté des couleurs égyptiennes sur les murs de Souakim.

Pour le surplus, le traité du 19 janvier 1899 s'appliquait à faire du Soudan un être moral bien à part de l'Egypte, et le plus possible soustrait à l'influence européenne. Le Gouverneur général du Soudan devait être nommé d'accord par le Khédive et le gouvernement britannique, et on choisit naturellement un anglais, le Sirdar Kitchener. Celui-ci pourrait modifier ou abroger à sa guise les lois, décrets, et règlements spécialement promulgués pour le pays; et à l'avenir, les lois, décrets ou arrêtés égyptiens ne pourraient être mis en vigueur dans le Soudan sans qu'ils fussent, au préalable, promulgués par lui. Il était enfin bien spécifié que la juridiction des tribunaux mixtes ne s'appliquerait à aucune fraction du Soudan, si ce n'est à Souakim, et que les Consuls, Vice-Consuls, Agents consulaires n'y pourraient être accrédités qu'avec le concours du gouvernement britannique.

En somme, le traité anglo-égyptien divisait l'Egypte en deux tronçons, l'un continuant à être ce que nous l'avons connu dans les chapitres précédents, l'autre devenant anglais et dans lequel tout droit était dénié aux puissances.

Après s'être ainsi assuré le consentement du Khédive, l'Angleterre crut couronner son œuvre en signant avec la France la déclaration du 21 mars 1899. Nous verrons si véritablement cet acte a changé quelque chose à la situation de la Grande-Bretagne en Egypte (1).

Nous en avons fini avec l'histoire, avec le fait. Le moment est venu de faire intervenir le droit, d'apprécier au point de vue juridique ce qu'est devenue l'Egypte. L'étude que nous entreprenons tournera à la confusion de l'Angleterre.

(1) Voir infra, chap. IX.

CHAPITRE VII

L'Angleterre en Egypte. Les promesses d'évacuation

SOMMAIRE.

-

L'évacuation et les promesses de l'Angleterre. Déclaration de l'amiral Seymour du 22 juillet 1882. Pourparlers au sujet de l'évacuation en 1884, 1886, 1887, 1889, 1890. - Déclarations des hommes d'Etat au Parlement anglais. Discours du Trône.

De ce que nous avons vu jusqu'ici, il ressort que l'influence de l'Europe en Egypte est allée en diminuant, en même temps qu'a augmenté celle de l'Angleterre. Cette dernière peut se croire définitivement établie dans la vallée du Nil; mais elle ne saurait invoquer en sa faveur qu'un état de fait et aucun argument juridique le droit ne plaide pas pour, mais contre elle. Les promesses faites dans les correspondances échangées entre les chancelleries, les déclarations des hommes d'Etat au Parlement de Westminster, les discours du Trône, les traités, dictent à l'Angleterre, maintenant qu'elle n'a plus rien à faire en Egypte, le devoir impérieux de la quitter.

En prenant pied dans la vallée du Nil, l'Angleterre a cru devoir faire sa première déclaration solennelle, désirant sans nul doute que personne ne suspectât ses intentions soi-disant désintéressées. Le 22 juillet 1882, l'amiral Seymour adressa au Khédive la lettre suivante, dont les termes sont ceux d'un véritable serment fait au nom de l'Angleterre : « Moi, amiral commandant la flotte britannique, je «< crois opportun de confirmer sans retard à Votre Altesse « que le gouvernement de la Grande-Bretagne n'a nulle«ment l'intention de faire la conquête de l'Egypte, non

<< plus que de porter atteinte, en aucune façon, à la religion <«<et aux libertés des Egyptiens. Il a pour unique objectif << de protéger Votre Altesse et le peuple égyptien contre les « rebelles » (1).

Le 19 août suivant, dans une proclamation, le général Wolseley, commandant en chef des troupes d'occupation, répétait la même idée, et disait entre autres choses : « le gou⚫ vernement de Sa Majesté a envoyé des troupes en Egypte << dans le seul but de rétablir l'autorité du Khédive » (2).

Malgré ces déclarations, l'Angleterre, tout en protestant de sa ferme intention de quitter l'Egypte quand sa tâche serait terminée, continua à y laisser ses troupes; tandis que la France, définitivement écartée, n'eut plus qu'un but, contraindre sa rivale à exécuter ses promesses, et l'amener à prendre à ce sujet des engagements fermes; toutes les occasions lui furent bonnes pour cela.

D'où de longs pouparlers au sujet de l'évacuation, pourparlers qui n'eurent d'ailleurs d'autre résultat pratique que de lier davantage l'Angleterre, mais qui feraient on ne peut mieux ressortir sa mauvaise foi, le jour où elle annoncerait son intention de considérer définitivement la vallée du Nil comme comprise dans l'Empire britannique.

Nous ne reviendrons pas sur les notes échangées, en juin 1884, entre lord Granville et M. Waddington, et d'après lesquelles, sous conditions d'ailleurs, l'Angleterre s'engageait à retirer ses troupes d'Egypte au commencement de l'année 1888. Nous savons pourquoi on put considérer à Londres cette promesse comme caduque (3).

Nous avons vu que, le 24 octobre 1885 (4), l'Angleterre avait passé avec la Porte un traité, aux termes duquel chacun des deux Etats devait envoyer en Egypte un hautcommissaire, dans le but d'arriver à la pacification du Soudan et à la réorganisation de l'armée. Moukhtar-Pacha,

(1) Correspondant, 25 mars 1898, p. 1080.

(2) Eod. loc.

(3) V. supra, pp. 208 et s., 218 et 219.

(4) V. supra, chap. III.

envoyé turc, conclut, le 14 mars 1886, à l'élimination des troupes anglaises, chose que ne pouvait naturellement admettre l'Angleterre. En ces circonstances, cette dernière fut heureuse de s'assurer l'appui de la France, tandis que celle-ci ne laissa pas échapper l'occasion de reparler de l'Egypte.

M. de Freycinet était alors notre Ministre des affaires étrangères, et son représentant à Londres était M. Waddington.

Gladstone déclara, le 15 mars 1886, à ce dernier, qu'il avait toujours déploré que l'arrangement politique conclu en 1884 avec lord Granville, pour l'évacuation de l'Egypte en janvier 1888, n'ait pas abouti à cause des difficultés financières. Notre Ambassadeur reçut d'autre part de M. Childers, Ministre de l'Intérieur, l'assurance que le principe de l'évacuation était admis en Angleterre par tous les partis (1). Il eut l'occasion, à plusieurs reprises, de s'entretenir avec les hommes d'Etat anglais, au sujet des modifications à apporter dans l'organisation de l'armée égyptienne, à la tête de laquelle on persistait à vouloir mettre le plus possible d'officiers anglais et pas du tout d'officiers turcs. M. de Freycinet admettait d'ailleurs que, sur ce point, l'Angleterre pouvait s'entendre directement avec la Porte, à condition toutefois de fixer une date pour l'évacuation, sinon l'arrangement serait sans valeur (2).

De date, on n'en indiqua pas; mais à maintes reprises on nous déclara à Londres que l'occupation du Delta était essentiellement temporaire.

« On se trompe grandement chez vous déclara à M. « Waddington, le 3 novembre 1886, lord Salisbury qui avait « succédé à Gladstone - lorsqu'on croit que nous voulons "rester indéfiniment en Egypte ; nous ne cherchons, que « le moyen d'en sortir honorablement; les troupes que « nous avons là nous seraient plus utiles aux Indes, et c'est

(1) Waddington à de Freycinet, 15 mars 1886, Archiv. dipl., 1893, III, p. 224.

(2) De Freycinet à de Montebello, Ambassadeur à Constantinople, 2 novembre 1886, Archic. dipl., 1893, III, p. 236.

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