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cerne la présomption d'interposition. Peut-elle être renversée par l'aveu et le serment? Oui, d'après notre théorie. C'est en effet une présomption absolue, puisqu'elle sert de fondement à l'annulation d'un acte, et elle n'intéresse pas l'ordre public.

Cependant certains auteurs, MM. Aubry et Rau, notamment ('), font une distinction: ils admettent le serment et l'aveu pour combattre la présomption d'interposition, lorsque la libéralité est attaquée par le disposant lui-même, mais ils ne permettent pas de les provoquer dans le cas où la demande en nullité est formée par les héritiers du donateur. Le premier, d'après eux, peut être interrogé sur faits et articles sur le point de savoir si la donation attaquée s'adressait non à l'incapable, comme le présume la loi, mais directement à la personne réputée interposée, le serment peut lui être déféré; vis-à-vis des seconds, au contraire, la présomption de la loi ne peut être combattue ni par l'aveu, ni par le serment. Pourquoi cela? Sous prétexte d'abord que la présomption qui n'est point d'ordre public dans un cas le serait dans l'autre ; pour cette raison ensuite que le fait sur lequel doit porter le serment ou l'interrogatoire n'est pas personnel aux héritiers du disposant, que ceux-ci ne sont point les représentants de leur auteur lorsqu'ils attaquent les libéralités faites par lui.

Nous estimons, au contraire, avec MM. Demolombe,

(') Aubry et Rau, Cours de droit civil français, 4° édit., VIII, § 750, p. 165 et note 14.

Bonnier, Laurent (') que l'aveu et le serment peuvent être invoqués contre la présomption d'interposition dans tous les cas, aussi bien lorsque l'action en nullité est formée par le disposant que lorsqu'elle est formée par ses héritiers. Mais ceux-ci, bien entendu, ne pourront être interrogés sur faits et articles, et le serment ne pourra leur être déféré que sur le point de savoir si, à leur avis, en leur âme et conscience, la donation s'adressait ou non en réalité à la personne réputée interposée. On ne peut évidemment les obliger à dire quelle était l'intention, la volonté du donateur, peuvent en effet l'ignorer mais on peut leur demander, les mettre en demeure de dire ce qu'ils savent ou, tout au moins, de donner leur opinion. C'est ce que les auteurs appellent le serment de crédibilité.

ils

Quant à l'argument tiré de l'ordre public, nous répondons avec M. Demolombe : « Si la présomption » est fondée dans un intérêt privé dans le premier cas, » pourquoi serait-elle fondée sur un intérêt public dans >> l'autre ? Ce serait inexplicable » (').

En résumé, nous pensons, avec la plupart des auteurs, que les présomptions absolues qui n'admettent point en principe la preuve contraire, peuvent cependant être combattues et renversées, indépendamment des cas où la loi réserve la preuve contraire, par l'aveu judiciaire et le serment. « Cette doctrine n'est pas nou» velle, dit Bonnier, puisque nous lisons dans Mascar

() V. Demolombe, VII, n. 278; Bonnier, Traité des preuves, n. 846; Laurent, Principes de droit civil français, XIX, n. 622. (2) Demolombe, VII, n. 278, p. 254.

» dus (De probat., concl., 344) : Confessio tollit praesomptionem juris et de jure, licet alia probatio non » admittatur » (1).

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Elle a d'ailleurs été consacrée par un arrêt de la cour de cassation du 13 janvier 1875 (D. P., 75. 1. 117). Il a été jugé par cet arrêt « que si, en principe, » la preuve contraire est inadmissible contre les présomptions sur le fondement desquelles la loi annule >> un acte ou dénie l'action en justice, cette règle géné» rale est, dans tous les cas qui ne touchent pas à » l'ordre public, inapplicable à la preuve contraire » résultant de l'aveu ou du serment de la partie inté>>ressée à exciper de la présomption légale; que spé-. »cialement, si la quittance du capital donnée sans » réserve des intérêts en fait présumer le paiement, >> cette présomption est inapplicable lorsque le débi>>teur a reconnu et déclaré expressément n'avoir point » payé les intérêts moratoires ».

La théorie que nous défendons est d'ailleurs bien rationnelle. Le serment sincère et l'aveu sont, en effet, les preuves les plus fortes, les plus décisives; ils doivent pouvoir l'emporter sur les autres preuves. Et l'on comprend parfaitement que lorsqu'un plaideur est protégé par une présomption légale, qui ne renferme jamais qu'une probabilité plus ou moins forte, la loi permette de le faire interroger sur faits et articles ou

(') Bonnier, Traité des preuves, § 846, p. 680; V. aussi Colmet de Santerre, V, n. 329 bis; Aubry et Rau, VIII, § 750, p. 164, texte et note 11; Demolombe, VII, n. 277; Laurent, XIX, n. 621; Baudry-Lacantinerie, II, n. 1283.

de lui déférer le serment. Celui-ci, d'ailleurs, ne peut pas s'en plaindre. Le sort du procès est entre ses mains, on s'en remet à sa loyauté, à sa conscience. Si la probabilité qui découle de la présomption est l'expression de la vérité, celui qui s'en prévaut n'aura rien à avouer qui lui soit préjudiciable ou contraire, il prêtera sans hésitation le serment qui lui sera déféré. Mais si la conséquence tirée par la loi est inexacte, il est bien naturel, bien légitime, de rechercher la vérité et de mettre le plaideur qui, cependant, a invoqué la présomption dans cette alternative, ou bien de faire un mensonge et un faux serment, ou au contraire d'avouer ce qui est réel, et de ne pas affirmer sous serment un fait qui n'est pas vrai. Il est malheureusement pénible de prévoir que, même dans ce cas, l'aveu ne sera point toujours apporté et que le serment sera le plus souvent prêté. Mais peut-être aussi la partie intéressée reculera-t-elle devant une réticence coupable ou un faux

serment.

En définitive, cette théorie est juridique et juste; elle vient atténuer dans une certaine mesure ce qu'a de rigoureux en notre matière la prohibition de la preuve contraire; elle doit, à ces divers titres, réunir les suffrages de tous.

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Les présomptions en général jouent un grand rôle dans notre droit comme moyens de preuve et présen tent une utilité manifeste: elles évitent des discussions oiseuses et permettent de trancher une foule de questions qu'il serait, sans elles, impossible ou difficile de résoudre.

Les présomptions de fait sont d'un usage constant dans la pratique; il n'est pour ainsi dire point de procès où quelques présomptions de cette nature ne soient invoquées. Il arrive fort souvent que les preuves directes fassent défaut, et que les plaideurs soient obligés d'avoir recours à des moyens indirects pour établir leurs prétentions. Devant les tribunaux, comme dans l'opinion. publique, des faits sont considérés comme certains à cause de leur relation plus ou moins lointaine avec d'autres faits connus, et malheureusement, comme les jugements du monde, les décisions qui en dérivent ne sont pas toujours conformes au droit et à la vérité. Mais ce n'est

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