Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

II. Motifs de la corrélation établie par la loi.

Pourquoi cette corrélation entre les présomptions de fait et la preuve testimoniale? Le législateur n'a pas pu craindre ici la subornation des témoins, puisque les présomptions sont basées sur un simple raisonnement. Il n'a pas non plus voulu éviter les frais et les lenteurs. entraînés par l'administration de la preuve testimoniale. Mais ce n'est pas seulement à cause de la subornation des témoins et à cause de la procédure coûteuse et longue des enquêtes, que la preuve testimoniale n'est admise que dans certains cas; c'est aussi pour empêcher la multiplicité des procès et obliger les parties à passer acte des conventions dont l'importance pécuniaire dépasse un certain chiffre. C'est dans ces mêmes buts que les présomptions de fait ont été assimilées, quant à leur admissibilité, à la preuve par témoins.

«Si le juge avait été autorisé d'une manière indéfi» nie, dit M. Baudry-Lacantinerie, à puiser sa convic» tion dans de simples présomptions, les particuliers, » comptant sur ce moyen de preuve qui présente beau>> coup d'analogie avec le témoignage oral, se seraient » crus dispensés de passer acte de leurs opérations » juridiques au-dessus de 150 francs et le nombre des >> contestations sans preuves décisives se serait ainsi multiplié, contre le vœu de la loi » (').

M. Bonnier, dans son Traité des preuves, exprime la

même idée :

(') Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, II, 5e édit., § 1293, p. 917.

« Dans notre droit, qui soumet à des preuves pré>> constituées les conventions des parties, il fallait, à » peine d'inconséquence, exclure les présomptions là » où on excluait la preuve par témoins, afin de mettre >> alors les contractants dans la nécessité de rédiger un » écrit »> (1).

Le législateur a voulu aussi éviter, dans la mesure du possible, l'arbitraire du juge. C'est ce qu'indique M. Laurent dans les termes suivants :

« Les présomptions de l'homme donnent aux tribu»naux un pouvoir discrétionnaire, ce qui est contraire » à l'esprit de notre législation moderne; le législateur » a voulu abandonner le moins possible à l'arbitraire » du juge; or, tout serait devenu arbitraire si la loi lui » avait permis de décider d'après les présomptions qui » sont nécessairement abandonnées à son appréciation; » si les présomptions étaient une preuve de droit com» mun, elles auraient absorbé toutes les autres preu » ves, rien n'étant plus facile que de juger d'après les » faits et circonstances de la cause »> (*).

III. Cas dans lesquels les présomptions de l'homme sont prohibées.

Conformément aux principes ci-dessus exposés, les présomptions de l'homme sont prohibées dans les cas où la loi prohibe la preuve testimoniale, c'est-à-dire d'une manière générale. L'art. 1341 du code civil, qui contient les règles fondamentales en la matière, est

(1) Bonnier, Traité des preuves, § 813.

(*) Laurent, XIX, § 624, p. 644.

applicable aux présomptions de l'homme; il est ainsi

conçu :

<« Il doit être passé acte devant notaires ou sous » signature privée de toutes choses excédant la somme » ou valeur de 150 francs, même pour dépôts volon» taires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins » contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui » serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les >> actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur >> moindre de 150 francs; le tout sans préjudice de ce >> qui est prescrit dans les lois relatives au com

» merce ».

Par ce mot « choses », le législateur a entendu désigner les faits juridiques, c'est-à-dire les conventions qui ont pour but et pour résultat de créer des obligations et celles qui ont pour effet de les dissoudre, de les modifier ou de les éteindre.

En vertu de cet article, les présomptions de l'homme sont inadmissibles pour prouver un fait juridique dont la valeur est supérieure à 150 francs, et lorsqu'un acte a été rédigé, pour prouver contre la teneur de cet acte ou bien outre son contenu.

IV. Cas dans lesquels les présomptions de l'homme sont admises.

A. Cas conformes au principe de l'article 1341.

L'art. 1341 n'imposant l'obligation de rédiger un acte écrit que pour les faits juridiques d'une valeur supérieure à 150 francs, la preuve testimoniale et partant les présomptions de l'homme sont admises pour prou

ver 1° les faits matériels; 2° les faits juridiques dont la valeur est inférieure à 150 francs.

B. Cas exceptionnels prévus par les articles 1341 et 1347 du Code civil.

Par exception au double principe contenu dans l'art. 1341 et comme pour la preuve testimoniale, les présomptions de l'homme sont toujours admissibles en matière commerciale (art. 1341) et lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit (art. 1347).

C. Cas en dehors de la règle prévus par l'article 1348 du Code civil.

Enfin, la preuve par présomptions de l'homme est admise, lorsque le fait à prouver n'a pu, au moment où il s'est produit, être constaté par écrit ou quand l'acte qui avait été dressé a été perdu par cas fortuit ou force majeure. L'art. 1348 du code civil dit en effet : « Elles (les règles contenues dans les art. 1341 et sui>> vants) reçoivent encore exception toutes les fois qu'il » n'a pas été possible au créancier de se procurer une » preuve littérale de l'obligation qui a été contractée >> envers lui. Cette seconde exception s'applique : 1o aux >> obligations qui naissent des quasi-contrats et des » délits ou quasi-délits; 2o aux dépôts nécessaires faits » en cas d'incendie, ruine, tumulte cu naufrage et à » ceux faits par le voyageur en logeant dans une hôtel»lerie, le tout suivant la qualité des personnes et les >> circonstances du fait; 3° aux obligations contractées » en cas d'accidents imprévus, où l'on ne pourrait pas » avoir fait des actes par écrit ; 4° au cas où le créancier

» a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par >> suite d'un cas fortuit, imprévu et résultant d'une » force majeure ».

Dans tous ces cas, la preuve par témoins est possible, et par conséquent la preuve par présomptions simples; mais ce ne sont pas là des exceptions aux règles contenues dans l'article 1341 du code civil, ce sont plutôt des cas en dehors de la règle. En effet, l'obligation de rédiger un écrit imposée par l'article 1341 ne peut plus être invoquée si les parties ont été dans l'impossibilité, au moment où le fait s'est produit, de dresser un acte.

Les présomptions de l'homme jouent un très grand rôle dans le cas prévu par l'article 1348 du code civil; c'est leur principal champ d'application et il est suffisamment vaste pour justifier leur importance: il y a, en effet, beaucoup de faits qui ne peuvent, au moment où ils se produisent, être constatés par écrit. L'article précité en indique quelques-uns, il en existe beaucoup d'autres; nous allons brièvement passer en revue les plus intéressants :

-

1° Quasi-contrats et délits ou quasi-délits. Les obligations dérivant des quasi-contrats peuvent souvent être établies par de simples présomptions; il en est ainsi pour toutes celles qui n'ont pu faire l'objet d'un acte. Dans le quasi-contrat de gestion d'affaire, par exemple, le maître, dont l'affaire a été gérée, est toujours admis à prouver, à l'aide de simples présomp. tions, s'il ne trouve pas de témoins, les divers actes ou faits accomplis par le gérant et dont il ne pouvait

« PreviousContinue »