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n'y avait pas une portée aussi forte que dans notre droit, et pouvait être combattue par tous les moyens de preuve.

La durée de la grossesse était fixée en droit romain, comme en droit français, d'après une présomption légale.

Dans la matière des testaments, on pourrait citer de nombreuses présomptions légales. Le legs de la chose d'autrui, par exemple, n'était valable que si le testateur savait que la chose léguée ne lui appartenait pas. y avait une présomption légale qu'il l'ignorait; mais cette présomption pouvait être détruite par la preuve contraire, le légataire pouvait établir que le testateur savait parfaitement que la chose qu'il avait léguée n'était pas sa propriété.

Dans la matière des obligations, l'exception non numerata pecuniæ nous fournit l'exemple de deux présomptions. Lorsqu'une personne s'était reconnue par écrit débitrice pour cause de prêt, sans que les fonds eussent été versés, elle pouvait, si elle était poursuivie en remboursement, avant la numération des espèces, par un prêteur malhonnête, opposer l'exception non numeratæ pecuniæ. Cette exception obligeait le créancier à prouver le fait matériel du versement des fonds, parce qu'il y avait présomption qu'il n'avait pas été opéré. Le débiteur pouvait même, sans attendre la poursuite du prêteur, demander la restitution du billet remis à celui-ci. Mais l'exception devait être invoquée ou l'action en restitution formée dans les cinq ans, et, depuis Justinien, dans les deux ans après la rédaction

du billet. Si le débiteur restait taisant pendant ces délais, il y avait présomption légale que la somme avait été véritablement comptée et versée.

Les quittances de trois années successives de dettes payables annuellement emportaient présomption légale que les années précédentes avaient été payées (loi 3 Code, liv. X. tit. XXII, de apochis).

Il y avait en droit romain beaucoup d'autres présomptions légales. Mais il ne faut pas voir de véritable présomption légale, dans le sens strict du mot, toutes les fois que le mot præsumptio se trouve dans un texte. Il est souvent employé dans des sens divers, par exemple, quand il n'y a qu'une application de la règle sur le fardeau de la preuve, comme nous l'avons vu plus haut, ou pour indiquer l'interprétation légale de la volonté des parties contractantes, quand il y a doute sur cette volonté; mais il n'y a de véritables présomptions que celles qui répondent à la définition que nous avons donnée, qui sont des conséquences d'un fait connu à un fait inconnu, qui sont des moyens de preuve et qui ont pour but d'établir un fait déterminé, en se basant sur un autre fait déterminé, comme la présomption du billet barré qui prouve la libération, en se basant sur la cancellation du titre.

Ancien droit.

Toutes ces présomptions du droit romain ont passé dans notre ancien droit. Mais les auteurs du vieux droit français ont ébauché des théories générales sur les présomptions légales, ce que n'avaient point fait les jurisconsultes romains.

Accurse s'occupe de la force probante des présomp

tions et les divise en présomptions « juris et de jure, hominis, naturæ et facti ». Les premières ne peuvent pas être combattues par la preuve contraire, les autres l'admettent. Mais ce jurisconsulte ne donne point la définition de la présomption, il n'explique pas ce qu'est la présomption « juris et de jure », il se borne à donner des exemples de présomptions et, comme les jurisconsultes romains, il confond les présomptions véritables, conséquences tirées d'un fait connu, pour établir un fait déterminé, avec les règles sur la charge de la preuve et les dispositions interprétatives de la volonté des contractants. C'est la théorie des glossa

teurs.

La théorie des canonistes est plus savante. Tancrède définit la présomption « argumentum ad credendum » unum factum surgens ex probatione alterius facti ». C'est bien là l'idée que nous avons donnée plus haut de la présomption, la croyance à un fait déterminé, parce qu'il découle naturellement d'un autre fait certain et par avance établi. Puis, ce jurisconsulte distingue plusieurs espèces de présomptions, suivant leur force probante la présomption téméraire, qui ne doit pas suffire comme preuve parce qu'elle est trop fragile, la présomption probable ou « judicis ». qui fait preuve avec une déposition de témoin ou une autre présomption et admet la preuve contraire, la présomption violente ou « juris », enfin la présomption nécessaire ou « juris et de jure ».

Ce sont les canonistes qui ont créé ces noms de présomptions « juris » et de présomptions « juris et de

jure ». La seule différence pour eux entre ces deux espèces de présomptions, c'est que les premières admettent la preuve contraire tandis que les secondes ne l'admettent pas. Mais ils ne dégagent pas encore la vraie notion de la présomption, ils ne distinguent pas nettement les présomptions de la loi des présomptions de l'homme. La théorie de ce mode de preuve reste vague, relative. C'est le magistrat qui apprécie les diverses espèces de présomptions, qui les pèse, qui doit dire si celle qui lui est proposée est téméraire ou probable, insuffisante pour entraîner la croyance au fait inconnu, ou suffisante, au contraire, pour amener la conviction dans l'esprit.

Il faut arriver au xvi° siècle pour trouver une théorie un peu précise des présomptions. Duaren distingue la preuve directc et la preuve indirecte. La preuve indirecte résulte indirectement de divers faits déterminés qui entraînent tantôt la certitude, tantôt une probabilité plus ou moins forte. La présomption est une preuve indirecte; elle est basée sur un fait certain et a plus ou moins de force suivant que la conséquence qui résulte de ce fait est plus ou moins probable; cette probabilité est essentiellement variable et il est impossible d'établir une classification des présomptions, en se basant sur la probabilité plus ou moins grande qui s'en dégage. Ce sont là des idées très justes, très modernes, mais Duaren n'a pas su encore dégager l'idée de présomption légale en tant que preuve faite par la loi.

Alciat, qui vient après, distingue clairement les pré

somptions « juris » et les présomptions « juris et de jure » et il les définit toutes deux de la façon suivante, la présomption « juris et de jure » : « Dispo» sitio legis aliquid præsumentis et super præsumpto >> tanquam sibi comperto statuentis. Juris, quia a lege >> introducta est, et de jure quia super tali præsump» tione lex inducit firmum jus et habet eam pro veri>> tate » ; la présomption « juris » : « Probabilis conjec · >> túra ex signo certo proveniens quæ alio non adducto » pro veritate habetur ». La preuve contraire n'est pas admise contre la présomption « juris et de jure

Dans la première définition, Alciat dégage nettement la notion de la présomption légale, « præsumptio juris, » quia a lege introducta est », la preuve faite par la loi d'un fait inconnu, en se, basant sur un fait certain. Et dans la deuxième définition, nous trouvons l'idée bien claire de la présomption en général, la probabilité d'un fait, «< probabilis conjectura », résultant d'un autre fait certain, ex signo certo proveniens».

Mais Alciat a eu le tort de s'écarter de cette définition dans les applications qu'il en a faites; il a pris le mot présomption dans son sens vulgaire, la croyance à un fait déterminé, parce qu'il est vraisemblable, naturel, au lieu de considérer la présomption dans le sens particulier qu'elle a dans la théorie des preuves, comme la conséquence tirée par la loi d'un fait connu à un fait inconnu. Et alors, il a rangé parmi les présomptions, des dispositions juridiques qui ne sont pas véritables présomptions légales, mais des règles naturelles qui existent et ont été créées à cause de leur

de

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