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probabilité plus ou moins forte, ou des principes généraux sur la charge de la preuve. C'est ainsi que, d'après lui, on présume qu'un père qui exhérède son enfant a eu de justes motifs pour le faire, qu'il y a présomption. qu'une chose n'est pas grevée de servitude, que la bonne foi est présumée chez celui qui possède.

Menochius divise les présomptions en présomptions « juris et de jure », présomptions « juris tantum » et présomptions « hominis ». Dans les présomptions « juris et de jure », la conséquence tirée du fait connu au fait inconnu est nécessaire, fatale; dans les présomptions « juris tantum » et « hominis », la conséquence est seulement plus ou moins vraisemblable; dans les deux premières, elle est tirée par la loi; dans les présomptions « hominis », elle est abandonnée à l'appréciation du magistrat.

Ainsi donc, avec Accurse, Tancrède, Duaren, Alciat et Menochius, la théorie des présomptions s'est ébauchée lentement. La notion de la présomption se dégage assez claire et la division des présomptions, en présomptions de la loi et présomptions de l'homme, est chez les deux derniers jurisconsultes nettement établie. Mais les règles sont encore vagues et indétermi

nées.

Pothier va préciser cette théorie de la présomption et faciliter en grande partie la tâche des auteurs du code civil. Il établit, d'une façon très nette, la différence entre la preuve directe et la présomption; puis il divise les présomptions en présomptions légales et présomptions simples. Il indique enfin que les présomptions

légales « font la même foi qu'une preuve et dispensent la partie en faveur de qui elles militent d'en faire aucune pour fonder sa demande ou ses défenses >> et il distingue parmi les présomptions légales les présomptions « juris et de jure » qui font tellement preuve, qu'elles excluent toute preuve qu'on voudrait faire du contraire et les présomptions « juris » qui peuvent être combattues par la preuve contraire.

Ce sont les articles 1349, 1350 et 1352 § 1, de notre code civil.

11 y a seulement une différence très sensible entre la théorie de Pothier sur la présomption légale et la théorie du code civil, contenue dans l'article 1350. Tandis que cet article exige, comme nous allons le voir, une loi spéciale pour créer une présomption, Pothier enseignait au contraire que « les présomptions de droit sont établies sur quelque loi ou par argument de quelque loi en texte de droit ». C'est ainsi que dans l'ancien droit les présomptions légales pouvaient être puisées dans les textes du droit romain, dans ceux du droit canonique, dans les diverses coutumes et dans les arrêts des parlements. De plus, ces présomptions pouvaient être étendues par analogie et transportées dans des cas autres que ceux pour lesquels elles avaient été prévues. Aussi les présomptions légales étaient-elles très nombreuses. «< Peut-être, au fond de cette tendance à mul» tiplier les présomptions à priori, ne faut-il voir en » réalité que la manifestation d'une doctrine générale>>ment admise alors, d'une idée plus philosophique que » juridique, plus de raisonnement que de pratique, dont

» Montesquieu lui même s'est fait le défenseur : « En » fait de présomptions, nous dit-il, celle de la loi vaut >> mieux que celle de l'homme. Lorsque le juge présume » les jugements deviennent arbitraires; lorsque la loi » présume, elle donne au juge une règle fixe »..................... << Plus sagement inspiré, le législateur de 1804 a com» pris que si l'arbitraire est dangereux chez les juges, » il est intolérable dans la loi, qui, par son irrévocabi» lité même vis-à-vis de ceux qui sont chargés de l'ap»pliquer, est à l'abri de tout recours » (1).

Code civil. Notre législateur s'est séparé sur ces divers points de son inspirateur habituel, le jurisconsulte Pothier, il a coupé court aux abus de l'ancien droit et a restreint, dans une large mesure, le nombre des présomptions légales, en donnant plus de force à celles qu'il conservait.

Il a tout d'abord donné, dans les art. 1349 et 1350, une définition absolument restrictive des présomptions légales. Nous connaissons déjà les dispositions de l'art. 1349 et nous savons que les présomptions légales sont des conséquences tirées par la loi d'un fait connu à un fait inconnu. L'art. 1350, qui précise cette définition, est ainsi conçu dans son premier alinéa : « La » présomption légale est celle qui est attachée par une » loi spéciale à certains actes ou à certains faits ». Ainsi donc, toutes les fois qu'une disposition de la loi, en se basant sur un fait connu, sur un acte déterminé, déclare certain un fait qui ne l'était pas auparavant

(') Thèse de M. Geffroy, Essai sur les présomptions légales en matière civile, p. 70,

et qui aurait dû être prouvé, elle crée une présomp

tion.

Mais pour qu'il y ait présomption légale, il faut, d'après l'art. 1350, une loi spéciale, prévoyant les actes ou les faits auxquels sont attachées des présomptions. Il n'est donc plus possible aujourd'hui, comme autrefois, de puiser des présomptions légales dans des sources diverses, lois anciennes ou décisions de jurisprudence. Toutes les vieilles présomptions légales sont supprimées, elles n'existent comme telles que si elles sont contenues dans un texte de nos divers codes.

Il n'est plus permis, d'un autre côté, d'étendre les présomptions légales par voie d'analogie; en dehors des cas limitativement énoncés par la loi, il n'y a pas de présomption légale. Il est défendu à l'interprète de transporter une présomption légale dans une autre matière que celle pour laquelle elle a été créée.

Nous aurons à revenir sur ces diverses règles, mais auparavant et pour bien comprendre le fonctionnement des présomptions légales, nous passerons en revue quelques textes de notre code civil qui renferment des présomptions.

SECTION II

EXPOSÉ D'UN CERTAIN NOMBRE DE PRÉSOMPTIONS LÉGALES EN DROIT

CIVIL

Il y a dans notre droit, et spécialement dans le code civil, beaucoup de présomptions légales. Le législateur a prévu lui-même de nombreux faits, des actes multiples, desquels il a tiré les conséquences logiques, natu

relles qui constituent autant de présomptions légales. L'art. 1350 du code civil donne quelques exemples de présomptions légales; nous verrons que son énumération n'est pas limitative et nous citerons des présomptions légales qui ne rentrent point dans les divers cas qu'il indique.

Mais nous n'avons pas la prétention de passer en revue toutes les présomptions légales, ni même de les citer toutes. Nous ne voulons nous occuper que des plus importantes, et parmi celles seulement qui sont contenues dans le code civil.

§ I. Exemples de présomptions légales rentrant dans l'art. 1350 du code civil.

Après avoir indiqué que la présomption légale est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits, le législateur de 1804 a donné, dans l'art. 1350, des exemples de ces actes ou de ces faits : « tels sont, porte ce texte :

» 1° Les actes que la loi déclare nuls, comme présumés faits en fraude de ses dispositions, d'après leur seule qualité;

» 2o Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées;

» 3° L'autorité que la loi attribue à la chose jugée; » 4° La force que la loi attache à l'aveu de la partie

ou à son serment ».

L'art. 1350 prévoit ainsi des présomptions de fraude,

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