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l'ont plus. L'incapacité est bien la conséquence du fait connu, et la disposition qui l'édicte constitue une présomption légale. Il est évident que si cette disposition légale n'existait pas, la personne qui demanderait la nullité d'un contrat passé par un mineur, devrait établir que ce mineur était incapable de contracter, qu'il n'avait pas les facultés nécessaires pour savoir ce qu'il faisait; avec la règle légale, cette preuve est inutile; la personne qui demande la nullité s'abrite derrière une présomption légale qui tient lieu de preuve; c'est même là une présomption absolue, contre laquelle la preuve contraire n'est pas possible.

M. Larombière donne encore comme exemples de ces dispositions légales qu'il ne faut pas confondre avec les présomptions légales véritables : 1o la règle qui interdit les ventes entre époux; 2° celle qui déclare nul le traité passé entre le tuteur et le mineur, si les conditions exigées par la loi n'ont pas été remplies; 3° la règle contenue dans l'art. 909, aux termes duquel certaines personnes ne peuvent pas profiter des dispositions entrevifs ou testamentaires à eux faites; 4° les art. 2078 et 2088 du code civil, qui prohibent certaines stipulations exorbitantes, en cas de gage ou d'antichrèse.

En ce qui concerne l'interdiction des ventes entre époux, il n'y a pas, d'après M. Larombière, de présomption légale dans l'article 1595 du code civil. Le législateur a édicté cette disposition parce qu'il a craint, ce qui, en fait, serait arrivé très souvent, qu'au moyen. de ventes simulées ou faites à vil prix, l'un des époux fit à l'autre de véritables libéralités. C'est exact,

mais c'est là le motif de la loi, et c'est justement pour ce motif qu'il a créé une présomption légale de fraude sur le fondement de laquelle de pareilles ventes seront annulées. De ce fait connu qu'une vente a eu lieu entre époux, la loi tire la conséquence que cette vente n'est pas sincère et doit par suite être considérée comme nulle et sans effet. Nous ne voyons pas de différence sensible entre cette présomption, qui, d'après M. Larombière, n'en est pas une, et la présomption d'interposition, par exemple.

Nous estimons aussi, contrairement à l'opinion du même jurisconsulte, qu'il y a une présomption légale dans l'article 472 du code civil, qui annule le traité passé entre le tuteur et le mineur devenu majeur, s'il n'a pas été précédé de certaines formalités indiquées par la loi. Sans doute, cette disposition a été édictée par mesure de protection pour le mineur, par crainte qu'il ne signe le traité sans se rendre compte, sans prendre connaissance de la gestion de son tuteur, mais elle constitue une présomption légale. De ce seul fait, qu'un tel traité a été signé sans que les conditions exigées fussent remplies, la loi induit qu'il est frauduleux et nul; l'ex-mineur qui demandera cette nullité n'aura pas à prouver la fraude, elle est établie par la loi.

Nous pourrions faire des observations analogues en ce qui concerne les articles 909, 2078 et 2088 du code civil.

Et voici la différence très subtile que M. Larombière indique entre ces prétendues règles de droit et les présomption légales :

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« Soit que, dans ces diverses hypothèses, l'intérêt privé des parties se lie ou non à l'intérêt public, les » dispositions de la loi constituent purement et simple» ment des prescriptions législatives, dont l'effet est » de soumettre les actes qui y contreviennent à une >> action en rescision ou en nullité, et de les y soumet» tre sur l'évidence de l'infraction, à la différence des » présomptions légales proprement dites, qui n'y sou>> mettent les actes auxquels elles s'appliquent, qu'en >> les réputant, d'après leur scule qualité, faits en fraude » de la loi » (').

Mais, peut-on répondre, c'est en vertu de leur seule qualité que les ventes entre époux sont réputées faites en fraude de la loi, et les présomptions légales ont pour effet, comme les prescriptions législatives dont parle M. Larombière, de soumettre à une action en rescision ou en nullité les actes auxquels elles sont attachées. La distinction imaginée par ce jurisconsulte paraît donc artificielle et sans intérêt pratique.

II. Théorie de M. Aron. Exposé et discussion. Dans une thèse fort intéressante soutenue devant la Faculté de droit de Paris, M. Gustave Aron (2) est allé beaucoup plus loin que ses illustres devanciers et il s'est attaché à établir nettement cette distinction entre les présomptions légales véritables et ces règles de droit avec lesquelles on les confond généralement.

M. Aron prétend que cette confusion a été faite par Pothier; que dans l'ancien droit on distinguait parfaite

() Larombière, Traité sur les obligations, V, art. 1350, n. 8 in fine. (2) Théorie générale des présomptions légales en droit privé.

ment les unes des autres. Les premières s'appelaient présomptions juris tantum; aux règles de droit impératives, on donnait le nom de présomptions juris et de jure. Le tort du législateur de 1804 est, d'après M. Aron, d'avoir commis la même erreur que Pothier, en donnant ce nom de présomptions juris et de jure à certaines présomptions légales véritables, contre lesquelles la preuve contraire n'est pas permise. C'est ainsi que certaines règles de droit, désignées sous le nom de présomptions juris et de jure, ont pu être confondues avec les présomptions légales véritables.

Et M. Aron donne à son tour des exemples de ces prétendues présomptions qui, pour lui, sont plutôt des dispositions impératives de la loi. Nous allons voir qu'il range dans cette catégorie des règles de droit qui sont considérées, même par MM. Larombière et Demolombe, comme de véritables présomptions légales.

C'est d'abord l'autorité de la chose jugée. L'autorité que la loi attribue à la chose jugée est cependant citée, par l'art. 1350 du code civil, comme exemple de présomption légale. Oui, mais ce n'est pas cependant, dit M. Aron, une présomption légale dans le vrai sens du mot. « Qu'est-ce, en effet, que la chose jugée? Un principe d'ordre public, en vertu duquel on ne peut » pas remettre en question ce qui a déjà fait l'objet » d'un premier jugement. Il n'y a là ni une consé»>quence tirée d'un fait connu à un fait inconnu, ni une » annulation d'acte, ou une dénégation d'action faite » sur le fondement d'une présomption légale » (1).

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(') Thèse d'Aron, p. 58.

Que la chose jugée soit un principe d'ordre public, une règle impérative établie pour mettre fin aux procès, nous l'admettons volontiers, mais nous estimons que M. Aron va trop loin quand il dit que la disposition de l'article 1351 est sans rapport avec l'idée de présomption légale, et qu'elle ne contient pas une dénégation d'action, fondée sur une telle présomption. L'art. 1351 est basé sur une induction très apparente : c'est parce que la chose jugéc est généralement l'expression de la vérité, que la loi y attache une autorité particulière. Lorsqu'un jugement a été rendu sur un point déterminé, la loi présume que le dispositif renferme la preuve du fait litigieux, et elle refuse une nouvelle action en justice à celui des plaideurs qui voudrait recommencer le procès. Il y a un raisonnement dans l'article 1351, il y a une dénégation d'action sur le fondement de cette induction, l'autorité de la chose jugée est donc une présomption légale.

D'après la plupart des auteurs, l'article 1" du code civil édicte une présomption légale, en décidant que les lois sont réputées connues de tous les citoyens après un certain délai. C'est là une erreur pour M. Aron; ce n'est point, d'après lui, une présomption légale, mais 'une règle d'ordre public, un principe d'intérêt général; il faut que les lois puissent s'appliquer à tous, même à celui qui prétendrait n'en avoir pas eu con

naissance.

La prescription acquisitive et la prescription libératoire de trente ans ne rentrent pas non plus, pour M. Aron, dans la classe des présomptions légales, Ce

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