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Pothier sans faire attention que ce jurisconsulte avait composé un ouvrage spécial, un traité des obligations, dans lequel il s'était seulement occupé de la preuve des obligations.

Le demandeur en revendication de propriété, par exemple, doit établir son droit de propriété sur l'immeuble qu'il réclame, parce qu'en général, celui qui est en possession d'un immeuble en est le légitime propriétaire. Si donc un tiers discute ce droit de propriété et prétend qu'il lui appartient, il devra en rapporter la preuve.

De deux choses l'une ou cette preuve sera faite, ou elle ne le sera pas. Dans le premier cas, le défendeur en revendication, possesseur de l'immeuble litigieux, pourra faire la preuve contraire, et invoquer à son profit un droit de propriété opposable au droit établi; dans le second cas, il n'aura rien à prouver. Le juge, en effet, doit se prononcer contre celui qui a la charge de la preuve et qui ne la rapporte pas.

En un mot, tout demandeur doit prouver sa demande, établir le fait juridique ou matériel générateur de son droit, tout défendeur doit justifier les exceptions ou les moyens de défense qu'il oppose à des demandes prouvées.

La charge de la preuve n'incombe donc pas exclusivement au demandeur, à celui qui intente un procès. Le défendeur peut avoir aussi des preuves à faire; nous avons même vu que dans certains cas c'est lui qui doit le premier établir certains faits de libération. Ces preuves, ces justifications doivent être appor

tées, bien entendu, à l'aide des seuls moyens de preuve autorisés par la loi. C'est quelquefois bien difficile, et des réclamations parfaitement justes échouent souvent devant l'impossibilité où se trouve le demandeur à rapporter la preuve légale de son droit, de même que des causes injustes peuvent triompher, quand le défendeur n'a pas les moyens légaux de justifier les exceptions. qu'il oppose.

C'est dans l'art.

IV. Des divers modes de preuve. 1316 du code civil que le législateur a énuméré les modes de preuve admis par la loi qui sont la preuve lit térale, la preuve testimoniale, les présomptions, l'aveu de la partie et le serment.

De ces modes de preuve, trois peuvent donner une certitude presque absolue; ce sont la preuve littérale, l'aveu et le serment, à condition toutefois qu'il soit prêté sincèrement; les deux autres, la preuve par témoins et les présomptions, sont des preuves fragiles, dangereuses, moins rassurantes que les trois premières, la preuve par témoins, à cause de la subornation, de l'aveuglement, de l'inintelligence des témoins, les présomptions parce que la preuve qui en découle peut être basée sur un raisonnement faux. Aussi ces deux moyens de preuve ne sont admis que dans certains cas et sous certaines conditions déterminés par la loi.

Parmi ces moyens de preuve, et à un autre point de vue, la preuve littérale, la preuve testimoniale, l'aveu, le serment sincère sont comme des photographies du fait qui s'est réellement produit et qu'il faut établir en justice. Le travail de l'esprit est ici presque nul, il ne

faut pour ainsi dire pas raisonner pour être éclairé. L'écrit, la déposition du témoin, la déclaration de l'intéressé, la prestation du serment montrent clairement et directement que la convention relatée dans l'acte, rapportée par le témoin, reconnue ou affirmée par la partie en cause, a été effectivement stipulée, que le fait qui est consigné dans un acte, raconté, avoué ou reconnu, a eu véritablement lieu. L'acte authentique ou sous-seing privé avait pour but, au moment où il a été rédigé, de conserver la trace d'une convention conclue, d'un fait accompli; il a pour effet, ainsi que la preuve testimoniale et l'aveu, d'objectiver en quelque sorte aux yeux des juges ce contrat, ce fait.

Au contraire, la présomption, qui se base sur un fait certain pour prouver un autre fait qui est inconnu, exige un véritable raisonnement, le travail de l'esprit est ici très sensible, il y a comme un problème qu'il résout.

Dans l'art. 1282 du code civil par exemple, la loi conclut de ce fait connu, la remise volontaire par le créancier au débiteur du titre original sous signature. privée, à ce fait inconnu, la libération du débiteur. Pour tirer cette conséquence, le législateur suppose que le créancier a remis à son débiteur son titre de créance, parce qu'il a été payé ou parce qu'il a renoncé au droit de l'être. La libération n'est pas ici directement prouvée comme par une quittance, qui constate le fait lui-même, le paiement, ou par la déclaration d'un témoin qui a assisté à la numération des espèces, elle l'est indirectement, à l'aide d'un raisonnement,

la

Ceci nous amène à parler de la preuve directe et de preuve indirecte.

V. Preuve directe et preuve indirecte. - Toute preuve judiciaire est basée sur cette opération de l'esprit que les philosophes appellent l'induction. L'induction, c'est l'inférence du connu à l'inconnu; elle se fonde sur l'expérience, sur l'observation des phénomènes physiques et moraux et sur leurs causes. De ce qu'un phénomène a été suivi plusieurs fois d'un fait déterminé, l'esprit conclut que l'un est la cause de l'autre et toutes les fois que ce phénomène se produit, il est permis de penser et de soutenir qu'il a été suivi du même fait plusieurs fois observé. Sans doute, ce n'est pas la certitude absolue, ce n'est pas la vérité logique, mais c'est la certitude pratique, c'est la vérité très probable qui peut entraîner notre croyance et dont il faut presque toujours se contenter.

Tous les modes de preuve, sans exception, reposent sur un fait certain, établi par avance, d'où l'on induit la vérité du fait à prouver. La preuve littérale, par exemple, s'appuie sur un fait connu, l'écrit, la preuve testimoniale, sur la déclaration de l'homme; de ce qu'il est constaté dans un acte que tel fait a eu lieu, de ce qu'un homme déclare que tel événement s'est produit, nous concluons que ce fait est certain, que cet événement est réel. Pourquoi ? Parce que le plus souvent le témoignage de l'homme est conforme à la vérité. L'induction repose sur la foi au témoignage de l'homme.

Et nous entendons ici par témoignage, toute déclaration de l'homme, soit orale, soit écrite. Cette confiance.

dans les déclarations de nos semblables est absolument indispensable; la plupart des faits ne sont connus de nous que par cette voie. « Sans la foi au témoignage, dit Bentham (Preuves judiciaires, livre I, chap. VII), les affaires sociales ne marcheraient plus, tout le mouvement de la société serait paralysé; nous n'oserions plus agir; car le nombre des faits qui tombent sous la perception immédiate de chaque individu n'est qu'une goutte d'eau dans le vase, comparé à ceux dont il ne peut être informé que par le rapport d'autrui » (1).

Mais dans les modes de preuve autres que les présomptions, l'induction est peu apparente pour arriver du fait connu au fait inconnu; le fait connu s'applique directement au fait inconnu, il a pour effet immédiat de le faire connaître, de le prouver. Le raisonnement de l'esprit est si simple, si facile et si habituel qu'il passe presque inaperçu. Ces modes de preuve constituent la preuve directe.

« La preuve directe, dit M. Demolombe, est celle qui s'applique précisément au fait même qui est l'objet de la contestation et qui tend à l'établir d'une manière immédiate et formelle » (").

Dans la preuve par présomption, au contraire, l'induction est très sensible et joue un rôle très appréciable.

y a là un véritable raisonnement, un travail de l'esprit, une conséquence tirée d'un fait connu à un fait inconnu, sans que le fait certain ait pour but direct de prouver le fait litigieux. C'est la preuve indirecte.

(') Bentham, Preuves judiciaires, liv. I, chap. VII.

(2) Demolombe, n. 234, p. 222.

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