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l'article 1731 puisse induire que dans ces conditions le locataire a reçu la chose louée en bon état. Mais en matière d'absence, il n'en est plus ainsi; l'envoyé en possession provisoire prend les biens comme il les trouve au moment de la déclaration d'absence, et ils sont presque toujours en mauvais état puisqu'ils ont été comme abandonnés pendant quelque temps. Ainsi donc, il n'y a pas ici de présomption et la preuve de l'état des lieux, en cas de retour de l'absent, devra se faire conformément au droit commun.

La tendance de certains auteurs à créer des présomptions légales sans loi et à étendre des présomptions légales d'un cas à un autre peut s'expliquer par la tradition. Il faut s'en affranchir et se conformer étroitement aux dispositions de notre code civil. Nous avons vu qu'il contient un grand nombre de présomptions légales, nous allons voir maintenant qu'elles n'ont pas toutes la même force probante.

Dumora

CHAPITRE III

DES CONDITIONS D'EXERCICE DES PRÉSOMPTIONS LÉGALES

ET DE LEUR FORCE PROBANTE

SECTION PREMIÈRE

CONDITIONS D'EXERCICE DES PRÉSOMPTIONS LÉGALES

« La présomption légale dispense de toute preu ve >> celui au profit duquel elle existe », ainsi s'exprime l'article 1352 du Code civil dans son premier alinéa. Que signifie cette disposition de la loi? Tout simplement que la personne au profit de laquelle existe une présomption légale n'a pas à établir le fait spécial qui en découle. En effet, d'après la présomption même de la loi, ce fait est tenu pour certain, pour démontré ; il est inutile, par conséquent, de le prouver une seconde fois par un des moyens de preuve ordinaires.

Mais cela ne veut pas dire que celui qui invoque une présomption légale, dont le rôle est ainsi facilité, n'ait à fournir aucune espèce de preuve. Il doit, en effet et tout d'abord, établir qu'il est dans le cas prévu par la loi et qu'il réunit les conditions par elle exigées. Il pourra faire cette preuve par un des divers moyens admis par la loi, preuve littérale, preuve testimoniale, si elle est possible en l'espèce, présomptions, aveu et

serment. De son côté, celui contre lequel la présomption est invoquée pourra faire, s'il y a lieu, la preuve contraire et établir que son adversaire ne peut pas se prévaloir de la présomption. C'est ici le droit commun.

Et qu'on ne vienne point dire avec Alciat et Toullier que c'est permettre ainsi de combattre par la preuve contraire une présomption qui, peut-être, ne l'admet pas. Ce n'est point la présomption que l'on combat quand on essaye de prouver qu'elle n'est pas applicable dans une espèce déterminée. On semble la reconnaître, au contraire, puisque c'est pour l'éviter, pour se soustraire à ses effets énergiques, qu'on veut chercher à établir que les conditions exigées par la loi ne sont pas réunies.

Nous allons donner quelques exemples des justifications préliminaires que peut avoir à fournir celui qui entend baser sa demande ou sa défense sur une présomption légale :

1° Celui qui demande la nullité d'une donation comme faite à une personne incapable, en vertu de la présomption d'interposition de l'art. 911 du code civil, devra prouver, si les faits sont déniés, que le donataire apparent est vis-à-vis de l'incapable une des personnes énoncées dans le dit article; il devra établir aussi, bien entendu, l'incapacité en face du donateur du donataire présumé, mais ces deux justifications seront suffisantes; il sera inutile de prouver l'interposition; c'est de cette preuve faite par la loi, et qui serait la plus difficile, que le demandeur est dispensé;

2° Celui qui invoque la présomption de l'art. 312 du

code civil doit prouver l'accouchement de la femme mariée qu'il prétend être sa mère et son identité avec l'enfant dont elle est accouchée; mais ces deux points étant établis, il n'aura pas à prouver que le mari de cette femme est son père, la loi fait cette preuve pour lui c'est la présomption légale de paternité.

3o Le défendeur qui invoque une des prescriptions des art. 2271 et s. du code civil doit établir que le temps requis par la loi est expiré. Il n'a pas à prouver le paiement de la somme qui lui est réclamée, la loi présume la libération par ce seul fait qu'un des créanciers énumérés dans les dits articles est resté six mois, un an, sans réclamer le paiement de sa créance. Celui-ci pourra, pour échapper à la présomption de paiement, faire la preuve contraire et établir soit que le temps requis pour la prescription n'est par expiré, soit que celle-ci a été interrompue ou suspendue;'

4° Que doit prouver le débiteur qui veut invoquer les présomptions de libération tirées des art. 1282 et 1283 du code civil? Nous rencontrons ici une petite difficulté. L'art. 1282 dit en effet : « La remise volontaire du titre >> original sous signature privée par le créancier au » débiteur fait preuve de la libération », et l'art. 1283 : « La remise volontaire de la grosse du titre fait présu>> mer la remise de la dette ou le paiement... ». La question se pose de savoir quel est celui du créancier ou du débiteur qui doit prouver que la remise du titre original sous seing privé ou de la grosse du titre a été volontaire.

Certains auteurs soutiennent que ce n'est pas le débi-,

:

teur ils se basent sur ce que la charge de cette preuve obligerait le débiteur qui reçoit de son créancier le titre sous seing privé ou la grosse du titre, à se procurer la preuve écrite ou testimoniale que la remise a été volontaire; il serait plus court, disent-ils, de l'astreindre à se procurer la preuve du paiement effectué ou de la remise consentic. Et ces auteurs prétendent que par ce seul fait le débiteur a le titre de créance entre ses que mains, il y a une présomption légale que ce titre lui a été remis volontairement. C'est donc, d'après eux, au créancier à prouver que la remise n'a pas été volontaire (').

Nous croyons que théoriquement ces auteurs sont dans l'erreur et nous estimons que c'est le débiteur qui doit prouver que la remise a été volontaire, puisqu'il doit établir, pour pouvoir invoquer la présomption légale, qu'il réunit les conditions exigées par la loi. Il pourra faire cette preuve par tous les moyens admis, même par témoins et par présomptions de l'homme, quel que soit le montant de la créance; c'est, en effet, un simple fait, susceptible d'être prouvé par tous les modes de preuve. Le plus souvent même, de cette seule constatation que le débiteur est en possession du titre de créance, les juges tireront cette conséquence que la remise lui en a été faite volontairement (3).

Nous arrivons ainsi au même résultat pratique que

(') Colmet de Santerre, V, n. 231 bis-III; Demolombe, V, n. 418 à 421; Baudry-Lacantinerie, II, p. 757, § 1057; D., Rép., vo Obligations, n. 2559, et Suppl., n. 1080.

(2) Dans ce sens, Laurent, XVIII, n. 355.

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