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CHAPITRE IV

§ I. De l'exception contenue dans l'art. 340, 2o al.

A. Au principe posé par l'art 340 1er al. la loi apporte une exception contenue dans le deuxième alinéa du même article. « Dans le cas d'enlèvement, lorsque l'époque de cet enlèvement se rapportera à celle de la conception, le ravisseur pourra être, sur la demande des parties intéressées, déclaré père de l'enfant. ».

*

Qu'entend ici la loi, par enlèvement? Entend-elle seulement autoriser l'action en recherche de paternité au cas d'enlèvement de mineure, seul cas prévu et puni par le code pénal art. 354; ou bien au contraire entend-elle le mot enlèvement dans un sens beaucoup plus large et accorde-t-elle l'action en recherche de paternité, sans distinguer si la personne enlevée est mineure ou majeure.

On admet d'une façon générale, que le mot enlèvement dont se sert l'art. 340. C. Civ. ne doit point s'entendre au sens restreint que lui donne l'art. 354 du C. Pén. et qu'il s'applique également à l'enlèvement de la femme majeure. On donne un motif historique, pour admettre cette interprétation au sens large du mot enlèvement.

Le Code Civil fut discuté sous l'empire du Code Pénal de 1791; or, ce Code dans l'art. 31. 2o part. titr. Il section IV ne punissait le rapt, que lorsque la jeune fille victime de l'enlèvement, était âgée de moins de quatorze ans. Est-il dès lors raisonnable de penser que les rédacteurs du Code Civil, aient eu l'intention de ne faire exception au principe de l'interdiction de la recherche de la paternité, que dans le cas prévu par le Code Pénal de 1791. Le Code Civil ne reconnaît comme pubère que la fille parvenue à l'âge de quinze ans, or à cet âge, la disposition de l'art. 31 du code de 1791 a cessé de lui être applicable depuis une année, le législateur aurait donc, dans le 2o al. de l'art. 340 créé une disposition vaine, sans application, s'il n'avait eu en vue que d'autoriser l'action en recherche de paternité dans le cas prévu par le Code de

1791.

Il faut donc entendre par enlèvement, le déplacement d'une personne contre sa volonté, sans distinguer s'il s'agit d'une femme mineure ou d'une femme majeure.

Quels devront alors être les caractères de l'enlèvement ainsi entendu, pour donner ouverture à l'action en recherche de la paternité? Suffira-t-il qu'il réunisse une des deux conditions prévues par l'art. 354 au Code Pénal, et y aura-t-il également lieu à l'action en recherche de paternité, que l'enlèvement ait été fait par fraude ou par violence; ou bien au contraire, la violence sera-t-elle un élément nécessaire.

Le mot enlèvement disent la plupart des auteurs, est inséparable de l'idée de violence, et la loi n'a point entendu l'exception au cas de rapt de séduction.

Une distinction cependant a été proposée, suivant qu'il s'agit d'une fille mineure, ou d'une femme majeure. S'agit-il d'une fille mineure, le rapt de séduction sera suffisant pour autoriser l'action en recherche de paternité, il ne sera point besoin que la violence soit intervenue dans l'enlèvement. S'agit-il au contraire d'une femme majeure, la violence sera un élément nécessaire de l'enlèvement. Cette idée a surtout été défendue par M. Demolombe. « L'éducation de la fille, ses mœurs jusque là toujours pures, les circonstances du fait enfin, tout démontre aux magistrats qu'elle a été sous la puissance exclusive de son ravisseur, tout démontre aux magistrats que ce ravisseur est certainement le père de l'enfant, et la paternité ne pourrait pas être recherchée contre lui, cela ne serait-il pas inique et immoral ?» (1). La fille mineure, dit-on encore, n'est point libre de choisir sa résidence, elle doit habiter avec ceux à l'autorité desquels elle est confiée, dès qu'elle est soustraite à cette autorité, dès qu'elle est déplacée sans le consentement de ces personnes, il y enlèvement.

Un Arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 29 Mars 1821, décide que la violence n'est point un élément nécessaire de l'enlèvement, quand la victime est une fille mineure. «< Attendu dit cet arrêt, que la demoiselle Raphaele Camacho mineure de seize ans, a été détournée de la maison paternelle par les instigations et sollicitations du sieur de Montelegier.

<< Attendu que l'art 340 C. Civ. en se servant du terme

(1) Demolombe, T. 5 p. 490, dans le même sens Vallette sur Proudhon. T. 2, p. 137.

générique d'enlèvement, comprend tous les cas où une fille serait soustraite à l'autorité paternelle, sans le consentement des parents, et ne saurait être restreint au cas de rapt de violence » (1).

Il n'en sera point de même, dit-on dans cette théorie, lorsqu'il s'agit d'une femme majeure. Il pourrait cependant arriver que par suite de certaines circonstances, le rapt de séduction, qui en principe ne peut point autoriser l'action en recherche de la paternité quand il s'agit d'une femme majeure, soit suffisant même dans ce cas. Supposons en effet, que la femme majeure ait suivi librement son séducteur, mais qu'une fois arrivée dans le lieu où celui-ci voulait la conduire, elle y soit retenue par violence, qu'elle y soit séquestrée; l'enlèvement alors change de caractère, tandis qu'au début il n'était qu'un simple rapt de séduction, par la séquestration, il a pris le caractère de l'enlèvement avec violence. L'enlèvement avec violence commence alors, au moment où la femme n'est plus libre de quitter le lieu dans lequel elle a été conduite, et se continue tant qu'elle n'a pas reconquis cette liberté. La paternité pourra être déclarée, si l'époque de la conception coïncide avec l'époque pendant laquelle la femme a été maintenue en chartre privée. Cet enlèvement en effet, contient alors la présomption sur laquelle est basée l'action en recherche de la paternité; le maintien plus ou moins long de la femme, sous l'autorité exclusive de l'auteur de l'enlèvement. Qu'importe dès lors, que l'enlèvement n'ait pas cu dès le début le caractère de violence, si par la suite, il a acquis ce caractère.

(1) Dalloz. Rep, ver. Paternité et filiation. p. 330 note I.

Dans un second système au contraire, on exige, qu'il s'agisse d'une femme majeure ou d'une femme mineure, que l'enlèvement ait eu lieu avec violence. Qu'on relise, dit-on, les discours qui furent prononcés lors de la discussion du Code, et on verra que le législateur n'a eu en vue que l'enlèvement avec violence. « La règle qui prohibe toute recherche de paternité hors du mariage n'aura qu'une exception, disait Duveyrier; c'est le cas d'enlèvement, lorsqu'il sera prouvé que l'époque de cet enlèvement se rapporte à celle de la conception.

<<< C'est la conséquence d'un crime, et d'un crime prouvé. Il n'y a point de mariage; mais il y a nécessité, ou plutôt supposition nécessaire de mariage. Il n'y a pas de cohabitation publique, mais il y a cohabitation forcée. La violence de l'un, l'oppression de l'autre. » (1)

Les partisans de cette théorie exigent également pour que l'enlèvement puisse autoriser l'action en recherche de paternité, qu'il ait été suivi d'une séquestration plus ou moins prolongée, et que l'époque de la conception coïncide avec l'époque de la séquestration. Cette solution a été consacrée par un Arrêt de la Cour de Bordeaux du 30 juin 1885. «< Attendu, dit cet Arrêt, qu'en admettant qu'une suggestion quelconque ait existé au début des relations, pour déterminer N. à s'éloigner de sa famille, il est certain, d'après tous les témoignages, qu'au moment où, quinze mois après sa disparition de Bordeaux, elle devint enceinte, toute contrainte avait cessé depuis longtemps, au point que la jeune fille pouvait librement circuler

(1) Fenel, t. 10 p. 241.242. Voir également, le discours, prononcé par Bigot-Préameneu. Fenet, t.X. p. 155-156.

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