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PREMIÈRE PARTIE

ANCIEN DROIT FRANÇAIS

La matière de la recherche de la paternité semble dominée dans notre Ancien Droit par les principes suivants 1° Sauvegarder les intérêts de l'enfant en établissant dans une très large mesure la responsabilité du père vis-à-vis de lui, c'est-à-dire, en l'autorisant à rechercher librement sa filiation; 2° Sauvegarder les intérêts de la mère en lui assurant les premiers soins que nécessite son état, et en établissant dans certains cas vis-à-vis d'elle, la responsabilité de son séducteur; 3° Sauvegarder les intérêts de l'État par l'application de certaines mesures spéciales ayant pour but d'empêcher la fillemère de faire disparaître son enfant car, dit Fournel: «<l'enfant que la mère porte dans son sein ne lui appartient pas, c'est un dépôt dont elle est comptable envers I'État (1); 4o enfin, protéger l'union légitime en n'accordant aux enfants naturels dont le père est connu que des droits fort restreints.

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Il n'y a qu'un texte sur notre matière dans l'ancien Droit et encore ce texte ne la touche-t-il que d'une ma(1) Fournel traité de la Séduction. p. 363.

nière indirecte; c'est l'Édit de Henri II de Février 1556. Le préambule contient les motifs de l'Édit et expose les dangers auxquels il cherche à pourvoir. Puis il dispose ainsi : «Que toute femme qui se trouvera duement atteinte et convaincue d'avoir célé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et avoir pris de l'un et de l'autre témoignage suffisant, même de la vie ou de la mort de son enfant, lors de l'issue de son ventre, et qu'après se trouve l'enfant avoir été privé tant du Saint Sacrement de Baptême, que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée avoir homicidé son enfant. Et pour réparation punie de mort et dernier supplice. >> (1) La fille devenue enceinte devait done ou bien déclarer sa grossesse, ou bien prendre témoignage suffisant de son enfantement. Seules les filles mères étaient obligées de suivre ces prescriptions, car il était à craindre que pour cacher leur honte et leur deshonneur elles ne fissent disparaître leur enfant témoignage vivant de leur faute.

Ainsi donc, l'Edit de Henri II n'avait qu'un but; prévenir la suppression d'enfant, et non point assurer la réglementation de la recherche de la paternité. Cependant dans la pratique on en était arrivé à lui faire produire certains effets quant à la recherche de la paternité, car l'usage s'était introduit qu'avant d'intenter l'action en recherche de la paternité, la fille indiquât dans sa déclaration de grossesse le nom de celui qu'elle prétendait être le père de son enfant.

(1) Isambert. Recueil général des anciennes lois françaises. t. 13. p. 172.

Malgré les peines terribles portées contre les filles qui ne se soumettraient point à ses prescriptions, il semble que cet Edit ne fut point exactement suivi, car il fallut prendre pour le faire observer des mesures de publicité extraordinaires. En 1585, en effet, un nouvel Edit enjoignit aux curés de publier l'Edit de 1556 au prône des messes. Mais, peu à peu probablement, cette mesure de publicité tomba en désuétude; peut-être même un certain nombre de curés se refusèrent-ils à son accomplissement ce qui paraît plus probable, si bien qu'une déclaration du 25 février 1708 leur enjoignit d'envoyer aux Procureurs du Roi certificat qu'ils avaient bien fait la dite publication, et au cas où ils s'y refuseraient, ils y seraient contraints par la saisie de leur temporel (1).

A défaut de textes législatifs, une jurisprudence s'était formée dans les divers Parlements, admettant le principe de la recherche de la paternité naturelle et dans le Codex Definitionum, le Président Faber avait dans une formule restée célèbre résumé l'état de la jurisprudence à son époque : «< Creditur virgini dicenti se ab aliquo cognitam, et ex eo pregnantem esse. Meretrici non item Quanquam si constet habitasse meretricem cum eo. a quo se dicit cognitam, locus esse potest condemnationi fiduciariæ, et ut aiunt, provisionali, pendente lite (2) ».

Cette règle a été l'objet des plus graves discussions et les interprétations les plus variées lui ont été données. Les uns ont soutenu, qu'il suffisait dans notre ancien

(1) Fournel. p. 367. voir également. Guyot. Répertoire, verbo-grossesse. p. 335. (2) Codex Fabianus. De probationibus. Definitio 18. p. 313.

droit, pour établir la paternité naturelle, que la fille eut indiqué sous serment celui qu'elle accusait d'être le père de son enfant. D'autres, au contraire, ont soutenu que la dénonciation de la mère contenue dans sa déclaration de grossesse n'avait en réalité qu'un effet beaucoup plus restreint; qu'elle ne créait jamais à elle seule la preuve de la paternité naturelle; qu'il y avait lieu de distinguer dans l'action en recherche de paternité deux phases: la décision provisoire et la décision quant au fond.

L'erreur de ceux qui attribuent à la déclaration de la fille l'effet de prouver la paternité d'une façon complète, est venue ainsi que l'a fort justement fait remarquer M. Baret de ce qu'ils n'ont pas su distinguer dans l'action en recherche de la paternité, la décision provisoire et la décision quant au fond (2).

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Ainsi que nous l'avons posé en principe, l'ancien Droit s'était surtout préoccupé de sauvegarder l'intérêt de l'enfant et celui de la mère. Or le premier intérêt de l'enfant consiste à lui assurer des aliments pour les premiers moments de son existence, de même que le premier intérêt de la mère consiste à lui assurer les soins que nécessite sa grossesse et son accouchement. Il importait donc, pour obtenir les uns et les autres, de n'avoir pas à attendre, en suivant les formes de la procédure ordinaire, une décision de justice qui le plus souvent serait intervenue trop tard.

(2) Baret. Histoire et critique des règles sur la preuve de la filiation naturelle, pages 60 et ss.

En général, ainsi que nous l'avons dit, l'action en recherche de paternité avait pour préliminaire la déclaration de grossesse de la fille faite devant les officiers compétents pour la recevoir. Cette déclaration contenait la désignation du père présumé de l'enfant. Ce ne fut tout d'abord qu'une simple désignation dépourvue de formes, que par la suite on obligea la mère d'appuyer de son serment, mais cela sans droit dit Fournel car « la fille pouvait se refuser à cette formalité qui d'ailleurs n'ajoute aucune force à la déclaration » (1). La déclaration faite, la fille pouvait alors intenter l'action en recherche de paternité, mais dès le début de l'instance, elle demandait au juge de condamner celui qu'elle avait désigné comme père de son enfant à lui payer les frais de gésine et à pourvoir aux aliments de l'enfant.

Suffisait-il alors, pour que le juge prononçat la condamnation, de la seule affirmation de la fille, ou du moins ne fallait-il pas en outre de légères présomptions sinon des preuves. Fournel dit bien, dans une partie de son traité de la séduction que les juges se contenteront pour prononcer la condamnation provisoire d'une « légère présomption » (2) Poullain Duparc, parle égalelement de la nécessité d'une présomption. (3) Creditur virgini dicenti, dit au contraire le président Faber indiquant bien par là qu'il n'y a point besoin d'apporter de preuves, l'affirmation de la mère étant considérée comme suffisante. Papon de son côté dans le Recueil d'Arrêts,

(1) Fournel, p. 87.

(2) Fournel p. 99. et ss.

(3) Poullain-Duparc. L. IV. ch. 14. n° 29 p. 166. t. 8.

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