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dans le château et ses dépendances, rester en contact avec les nombreux serviteurs de l'entourage ». (1)

B. L'exception contenue dans l'art 340 doit-elle s'interpréter restrictivement, ou bien faut-il l'étendre au cas de viol?

Il ne faut point oublier, ainsi que le disent MM. Aubry et Rau, que le législateur s'est servi ici d'un terme précis, que nous sommes en matière d'exception et qu'il faut appliquer la règle « exceptio est strictissimo interpretationis ». « Le mot enlèvement, dit M. Baudry-Lacantinerie, implique une idée de déplacement, et on est autorisé à en conclure qu'il ne faudrait pas appliquer l'art. 340 au cas de viol. Demante dit bien que le viol est un enlèvement momentané ; mais on ne peut parler ainsi qu'en s'exprimant au figuré (2)

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Il semble ressortir assez clairement des travaux préparatoires, que le législateur n'a entendu autoriser l'action en recherche de paternité qu'au seul cas d'enlèvement. Les modifications de rédaction de l'art. 340 et les discours des orateurs sont en ce sens. La première rédaction de l'art. 340 autorisait la mère de l'enfant naturel, à demander des dommages et intérêts à l'auteur du viol ou du rapt dont elle aurait été victime, lorsque l'époque de la conception coïnciderait avec la date du viol ou du rapt. Cette rédaction fut modifiée et l'art. 340 ne mentionne plus le viol, mais seulement l'enlèvement. Enfin l'exception d'enlèvement ne fut admise qu'en raison de la présomption de paternité résultant de la cohabitation forcée plus ou moins

(1) Bordeaux, 30 Juin, 1885, S. 87, 2. 57. Aubry et Rau. t. 6 p. 192. (2) Baudry-Lacantineric. t. 1. n° 1079. 7° édition.

prolongée; cette présomption n'existe point lorsqu'il y a

eu viol.

Cependant, l'opinion qui soutient que le viol doit être admis comme exception à côté de l'enlèvement, a obtenu les suffrages de la majorité des auteurs. «Il y a même, disent MM. Massé et Vergé un a fortiori pour admettre le viol à côté de l'enlèvement; si l'enlèvement rend la paternité présumable,c'est qu'il rend présumables des rapports que le viol prouve (1) »,

Pour que l'enlèvement puisse autoriser l'action en recherche de paternité, faut-il qu'il ait été au préalable jugé par les tribunaux de justice répressive? M. Loiseau l'enseigne dans son Traité des enfants naturels, sans toutefois motiver son opinion. « Le rapt ne donne pas à la fille ravie le droit de diriger d'abord contre le ravisseur une déclaration de paternité. Il faut avant tout que le rapt soit jugé (2) ».

Cette doctrine, opposée au texte de la loi, est rejetée par la majorité des auteurs (3). Nulle part la loi n'exige, en effet, qu'avant d'intenter l'action en recherche de paternité, la justice répressive se soit prononcée sur le fait de l'enlèvement. La jurisprudence, dans les deux arrêts de Paris du 29 Mars 1821 et de la Cour de Bordeaux du 30 Juin 1885 a implicitement consacré cette solution.

En admettant que l'enlèvement ait été prouvé, que l'époque de la conception coïncide avec celle de l'enlève

(1) Demolombe. t. 5. n° 491. Massé et Vergé. t. 1. p. 330. Loiscau. p. 418-419. Valette sur Proudhon. t. II. p. 139. note 2.

(2) Loiseau. p. 418. Toullier. t. II. n' 268.

(3) Aubry et Rau, t. 6. p. 194. Baudry-Lacantinerie, t. 1, n° 921.

ment, quelle conclusion les juges pourront-il tirer de cette preuve et de cette coïncidence? Devront-ils nécessairement déclarer le ravisseur père de l'enfant, ou bien auront-ils encore la faculté de ne point le faire ? Le texte de l'art. 340 est formel sur ce point : « Le ravisseur, pourra être, sur la demande des parties intéressées, déclaré père de l'enfant ». La loi accorde aux juges en se servant des mots pourra être un pouvoir d'appréciation souverain. Si le texte de l'art. 340 pouvait laisser le moindre doute, l'étude des travaux préparatoires montrerait jusqu'à l'évidence quelle a été l'intention du législateur.

Les juges pourront donc tenir compte dans leur appréciation de certaines circonstances; des mœurs et de la réputation de la mère, du degré de liberté laissée à la mère pendant qu'elle était au pouvoir du ravisseur, de la constitution physique de l'enfant, de la conduite du ravisseur lorsqu'il a eu connaissance de la grossesse, de l'aveu plus ou moins implicite qu'il a fait de sa paternité. résultant de sa conduite: « En pareille matière, dit M. Beudant, la circonspection doit être extrême. On a vu des cas étranges: une jeune fille, par exemple, ayant commis une faute, se fait enlever par un homme crédule, pour se réserver le bénéfice de l'art. 340 et pouvoir assurer une paternité à l'enfant. Le législateur a donc été prudent quand il a dit : le ravisseur pourra être déclaré et non pas sera déclaré père de l'enfant. Les juges apprécieront suivant les circonstances (1) ».

De ce que l'époque de la conception doive coïncider avec celle de l'enlèvement, il s'en suit que l'action en (1) Beudant t. II. p.234.

recherche de paternité ne peut être intentée que postérieurement à l'accouchement. Ce n'est en effet qu'après l'accouchement que la date de la conception peut être déterminée. De ce que les juges ont un souverain pouvoir d'appréciation, il s'en suit qu'ils ne peuvent être tenus d'appliquer les dispositions de l'art. 312 du C. Civ. Alors même que la séquestration se serait prolongée du 300 jour jusqu'au 180 avant la naissance, les juges ne pourraient être tenus de déclarer le ravisseur père de l'enfant, bien que la paternité du ravisseur semble résulter du concours des circonstances. « Même dans ce cas, disent MM. Aubry et Rau, le jugement qui refuserait de la déclarer échapperait à la censure de la Cour de Cassation ».

§ II.

Par qui peut être intentée l'action en recherche de paternité au cas d'enlèvement.

La paternité pourra être déclarée : « sur la demande des parties intéressées », dit l'art. 340 2o al. Que faut-il entendre par parties intéressées? Il résulte clairement des travaux préparatoires, que les mots « parties intéressées » s'appliquent à la mère et à l'enfant.

Mais, sont-ce là les seules personnes ayant le droit d'intenter l'action en recherche de paternité au cas de l'art. 340 2 al. La question ne s'est jamais posé devant les tribunaux. Mais ils ont eu souvent l'occasion de résoudre la question de savoir si au cas de l'art. 341, l'action en recherche de la maternité naturelle peut être recherchée par d'autres personnes que par l'enfant, si notamment elle

peut être intentée contre lui pour le frapper de l'incapa cité de l'art. 908. La jurisprudence décide, que l'action en recherche de maternité est une action exclusivement personnelle, qui ne passe point aux héritiers de l'enfant, qui naît avec lui, qui meurt avec lui (1).

Le principe de la personnalité absolue de l'action en recherche de maternité étant admis, il est à peu près certain, que la jurisprudence ne manquerait point de l'étendre ou cas où l'action en recherche de paternité serait intentée par d'autres personnes que la mère (2).

Mais n'est-ce pas là, donner aux mots « parties intéressées de l'art. 340 une signification trop restreinte, et ne faut-il point au contraire admettre que l'action en recherche de paternité peut être intentée par d'autres personnes que par la mère et par l'enfant.

La majorité des auteurs, reconnait aux héritiers de l'enfant naturel le droit de rechercher sa filiation paternelle. « Le droit de rechercher la maternité, de même que celui de rechercher la paternité dans le cas de l'art 340, se transmet aux héritiers de l'enfant naturel » (3). Les héritiers de l'enfant naturel ont un intérêt moral et un intérêt pécuniaire à l'exercice de l'action en recherche de paternité.

Pour M. Demolombe, la question de savoir si les héritiers de l'enfant naturel ont le droit d'exercer l'action en recherche de paternité, dépend de la portée d'application

(1) Cass. 29 juillet 1861. S. 61. 1. 700. Cass. 3 avril 1872. D. 72. I. 113. Cass. 23 juillet 1878. S. 79. I. 155.

(2) Dall. Rep. verb. Paternité et filiation, p. 387.

(3) Zachariæ ed. Massé et Vergé. T. I. p. 333 et note 5.

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