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également résulter d'écrits privés du père ou d'autres cir

constances.

L'observation du Ministre de la Justice ne fut pas perdue et lorsque le chapitre III revint en discussion devant le Conseil d'Etat, dans la séance du 12 Frimaire an X, il débutait ainsi art 21 « La reconnaissance d'un enfant naturel sera faite par acte authentique, lorsqu'elle ne l'aura pas été dans son acte de naissance ». (1)

Le projet fut alors communiqué à la section de législation du Tribunat. A la suite de cette communication, une légère modification fut apportée dans la rédaction, mais la règle fut maintenue sans exception. C'est alors que le Tribunat, reprenant l'argument déjà présenté par Cambacérès, fit observer quelle contradiction il y avait, à reconnaître un homme père d'un enfant vis-à-vis de la mère, pour allouer à cette dernière des dommages intérêts, sans que la paternité fut établie vis-à-vis de l'en

fant.

L'observation du Tribunat fut écoutée, et lorsque Bigot Préameneu présenta la rédaction définitive au Conseil d'Etat, l'art 29 était ainsi conçu: « La recherche de la paternité est interdite; mais dans le cas d'enlèvement, lorsque l'époque de cet enlèvement se rapportera à celle de l'accouchement, le ravisseur sera sur la demande des parties intéressées, déclaré père de l'enfant. » Le Conseil d'Etat ne toucha à cette dernière rédaction, que pour substituer le mot pourra au mot sera, rendant ainsi la déclaration de paternité facultative et laissant au juge un pouvoir d'appréciation. «< Ni la preuve de l'enlèvement, disait le (1) Fenet T. 10 p. 77 et 101.

Tribun Duveyrier, ni la coïncidence de son époque avec celle de la conception, ne suffiront pour constater la paternité encore incertaine. Elles suffiront seulement pour autoriser le juge à chercher sa conviction dans tous les rapports, toutes les circonstances, tous les faits qui ont précédé et suivi le crime » (1).

Ainsi donc, une exception était apportée à la règle, au cas d'enlèvement, et dans ce cas seulement, la paternité pouvait être attribuée à un homme sans qu'il eût manifesté sa volonté de reconnaitre l'enfant dans les formes exigées par la loi. Dans tous les autres cas, la paternité naturelle ne pouvait être établie que par une reconnaissance volontaire et authentique. Tels furent les principes exposés par Bigot-Préameneu dans l'exposé des motifs, los de la présentation au Corps Législatif le 20 Ventôse an XI: << Dans la loi proposée, cette sage disposition qui interdit les recherches de la paternité a été maintenue. Elle ne pourra jamais être établie contre le père que par sa propre reconnaissance, et encore faudra-t-il pour que les familles soient, à cet égard, à l'abri de toute surprise, que cette reconnaissance ait été faite, ou par l'acte même de naissance, ou par un acte authentique. La loi proposée, n'admet qu'une seule exception, c'est le cas d'enlèvement dont l'époque se rapporte à celle de la conception »> (2). Le Corps Législatif adopta le projet qui lui était présenté et il fut décrété le 2 germinal an XI.

Dans toutes les discussions qui eurent lieu dans les diverses assemblées relatives au titre de la paternité et de

(1) Locré T. 3 p. 242. (2) Fenet T. 10 p. 155

la filiation, aucune attaque ne fut dirigée contre le principe de la prohibition. Il ne faudrait cependant point conclure de là, que ce principe fut admis sans contestation à l'époque de la rédaction du Code Civil. Lors de la discussion du titre des actes de l'Etat Civil au Tribunat, un certain nombre d'orateurs, plaidèrent avec chaleur la cause des enfants naturels.

«Je me demande, disait le Tribun Duchesne dans son rapport au Tribunat, si l'excès de rigueur contraire influera autant qu'on le pense sur les mœurs nationales; s'il ne conduira jamais à de graves injustices; s'il ne produira point le désastreux effet, en réduisant de malheureuses filles au désespoir, de multiplier à la charge de l'Etat, les enfants abandonnés.

« Je ne prétends pas, au reste, qu'on dût rétablir la maxime creditur virgini, inventée par des hommes justes en faveur de l'innocence séduite; elle ne conviendrait plus à des mœurs dépravées, même au sein des campa

gnes.

« Mais où serait l'inconvénient d'admettre la déclaration d'une fille mineure et d'ailleurs honnête, si elle ne produisait d'autre effet que d'obliger, par provision, à se charger de l'enfant, celui qui en serait désigné le père? (2) ».

Le Tribun Duveyrier, qui plus tard, devait se montrer si fortement partisan du principe de l'interdiction. absolue, exposa les plus fortes raisons en faveur du principe de la recherche de la paternité. « Si toute recherche de paternité est interdite hors le mariage; si la mère na

(2) Fenet. t. 8. p. 110.

turelle n'a même pas le droit de solliciter par un signe public, je ne dis pas la tendresse et la bienveillance, je dis la pudeur de l'homme qui l'a rendue mère, quel frein laissez-vous donc aux passions humaines, aux dérèglements, à la débauche? Est-ce l'impunité du désordre social que vous décrétez, que vous érigez en système social, en loi civile ? Eh! que n'ordonnez-vous que les corrupteurs seront aussi affranchis du remords !

«Tout père d'une fille nubile doit frémir.

« Ce ne sont pas les femmes, dit Montesquieu, ce sont les hommes qu'il faut porter au mariage.

«Les femmes en seront-elles plus vertueuses, ou plus fortes, ou plus prudentes? Non, parce que la nature est immuable.

<< Les hommes, garantis par la loi même du joug social, et forcés par la loi même à l'impudeur publique, n'auront plus besoin de mariage, et le repousseront même. pour accumuler en despotes licencieux, les plaisirs quelquefois partagés et le plus souvent arrachés à la faiblesse >> (1).

La difficulté de la preuve de la paternité, fut un des motifs les plus puissants qui furent invoqués en faveur du principe de l'interdiction de la recherche, et il se retrouve souvent dans les discours des divers orateurs. « Les opérations de la nature, dans le mystère de la génération, disait Portalis, sont impénétrables; il serait impossible de soulever le voile qui nous les dérobe. Sans un mariage public et solennel, toutes les questions de filiation reste

(1) Fenet. t. VIII p. 176-177.

raient dans le nuage; la maternité pourrait être certaine, la paternité ne le serait jamais » (1).

La crainte du scandale résultant de l'action en recherche de paternité fut également un des plus graves motifs invoqués. « Depuis longtemps, dans l'ancien régime, disait Bigot-Préameneu, un cri général s'était élevé contre les recherches de paternité. Elle exposait les tribunaux aux débats les plus scandaleux, aux jugements les plus arbitraires, à la jurisprudence la plus variable. L'homme dont la conduite était la plus pure, celui même dont les cheveux avaient blanchi dans l'exercice de toutes les vertus, n'était point à l'abri de l'attaque d'une femme impudente, ou d'enfans qui lui étaient étrangers. Ce genre de calomnie laissait toujours des traces affligeantes. En un mot, les recherches de paternité étaient regardées comme le fléau de la société (3).

Quant aux enfants adultérins ou incestueux, il fut décidé qu'ils ne pourraient point faire l'objet d'une reconnaissance volontaire, et qu'ils ne pourraient pas davantage rechercher judiciairement leur filiation. Le législateur ne fit point pour eux la distinction qui avait été faite pour les enfants naturels simples entre la filiation paternelle et la filiation maternelle, il édicta une prohibition absolue. « La reconnaissance des enfans adultérins ou incestueux, disait Bigot-Préameneu dans l'exposé des motifs, lors de la présentation au Corps Législatif, serait, de la part du père et de la mère, l'aveu d'un crime. Il a été réglé qu'elle ne pour

(2) Locré. t. I p. 290.
(3) Locré. t. VI p. 212.

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