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contre 875.000 naissances légitimes, nous voyons le chiffre des naissances illégitimes s'élever à 56.000 contre 870.000 naissances légitimes en 1811, à 69.000 naissances illégitimes contre 873.000 naissances légitimes en 1837. En 1888, la proportion s'est encore considérablement élevée, car tandis que le chiffre des naissances légitimes s'est abaissé à 808.000, celui des naissances illégitimes s'est élevé à 75.000 (1). Le mouvement de la population en France, en 1898, accuse 769.347 naissances légitimes et 74.586 naissances illégitimes (2).

Le père échappant à ses devoirs vis-à-vis de son enfant et toutes les charges retombant sur la mère, il devait presque fatalement arriver que celle-ci, ne se sentant pas la force de les supporter seule essayât de s'y soustraire.

La fille enceinte voit arriver avec terreur le terme de sa grossesse, car elle voit arriver en même temps que sa maternité, le déshonneur, l'abandon et la misère. Lorsqu'elle ne cherche pas par des manœuvres criminelles à faire disparaître son enfant, le défaut de soins que réclame son état, la préoccupation constante de dissimuler sa grossesse aussi longtemps qu'elle le pourra aboutissent souvent à la naissance d'un enfant mort-né. La statistique fournit encore sur ce point des chiffres d'une éloquence vraiment émouvante. Alors que dans les pays où la mère a le droit de rechercher le père de son enfant pour le faire contribuer aux charges de son entretien et de son éducation la mortinatalité des enfants illégitimes est rela

(1) Levasseur. Démographie de la France, t. 2. p. 6, 7, 8, 9. (2) Journal de statistique, année 1900, p. 31 et 35.

tivement faible, en France, la mortinatalité de ces mêmes enfants s'élève à une proportion inquiétante. «< Les filles mères, dit M. Levasseur, sont beaucoup plus exposées à accoucher d'enfants morts que les femmes mariées. Ainsi, pendant qu'en France la mortinatalité légitime, laquelle est à une minime fraction près, la même que la mortinatalité générale, s'élève à près de 4, 5 pour 100 naissances depuis vingt ans, la mortinatalité illégitime monte à 9; elle approche même dans certaines conditions de 10 pour 100. C'est le double de la mortinatalité légitime (1)

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'Lorsque l'enfant naturel est né, il n'est pas encore à l'abri de tout danger. Le plus souvent, abandonné par sa mère dès sa naissance à l'Assistance publique, il est confié par celle-ci à des étrangers qui ordinairement ne voient que la maigre subvention qui leur est accordée et non les devoirs dont ils se chargent en l'acceptant. L'enfant arrive ainsi à l'âge d'homme sans avoir reçu d'autre éducation morale que celle qu'il a pu se faire seul; il se sent abandonné dans la société, son esprit s'est aigri et trop souvent il va grossir le nombre des mécontents qui forment pour la société un perpétuel danger.

Jusque vers 1850, la jurisprudence appliquant rigoureusement les principes du Code, repoussa toute action en dommages-intérêts intentée par la fille-mère abandonnée contre son séducteur. Mais à partir de ce moment, émue par la situation faite à la mère et à l'enfant par

(1) Levasseur. Démographie de la France, t. II, p. 54. Dans un tableau comparatif de la mortinatalité illégitime dans divers pays d'Europe, on feut relever les chiffres suivants relatifs à des pays dans lesquelles la recherche de la paternité est autorisée : Suisse, 6. 5. Prusse, 5. 6. Bavière, 3. 6. Autriche, 3. 6.

suite de l'abandon du père, elle accorda à la fille-mère des dommages-intérêts en tenant compte dans leur appréciation des charges de sa maternité; mais, elle ne donna point à ces dommages-intérêts leur vraie cause: l'abandon du père; elle leur donna comme cause un quasi-délit commis par le séducteur. Elle exigea qu'il y eût faute de la part du séducteur, qu'il eût employé pour arriver à ses fins, des moyens donnant à la séduction le caractère d'un quasi-délit ; qu'il eût fait une promesse de mariage, qu'il eût abusé de son autorité. Lorsque l'homme n'a point commis une faute donnant à la séduction le caractère d'un quasi-délit, il peut quand il lui plait abandonner la mère et l'enfant, chercher ailleurs d'autres victimes, et quand on vient lui demander de réparer le dommage qu'il a causé à la femme, de subvenir aux frais d'entretien de l'enfant, il répond à la première demande : « volenti non fit injuria » et à la seconde : « La recherche de la paternité est interdite ».

Ainsi donc, le principe du Code Civil conduit à la négation du droit de l'enfant et du droit de la femme; il donne à l'homme une irresponsabilité complète, car nous verrons en étudiant les décisions de la jurisprudence sur la question des dommages intérêts qu'elle accorde à la fille mère, qu'elle n'arrive à ce résultat qu'en violant le principe de l'art. 340. C. Civ.

Depuis le milieu du siècle, un mouvement très vif s'est dessiné en France chez les juristes, les philosophes, les économistes, les littérateurs, en faveur des fillesmères abandonnées et des enfants naturels. Jusqu'en 1873,

cependant, le législateur est resté sourd à toute réclamation, mais à cette date, un premier projet de loi tendant à augmenter les cas dans lesquels l'action en recherche de paternité peut être autorisée et par conséquent à restreindre l'irresponsabilité du père naturel fut déposée par M. Béren ger. Ce projet repoussé après discussion au Sénat a été suivi d'autres et on n'en compte pas moins de quatre à l'heure actuelle mais dont aucun encore n'est venu en discussion. En 1896, une loi fut votée augmentant les droits héréditaires des enfants naturels reconnus, mais outre que cette loi ne faisait qu'augmenter les droits des enfants naturels qui en avaient déjà, elle paraît avoir eu dans la pratique de fàcheux résultats (1).

Par la gravité des intérêts auxquelles elle touche, intérêts de l'enfant, intérêts de la femme, intérêts de la société qui,si elle a besoin de n'être pas troublée par d'incessants scandales, doit cependant protéger avec un soin jaloux toutes les énergies naissantes, on voit combien la question que nous nous proposons d'aborder est grave.

Dans une première partie, nous étudierons quelle solution lui avait donné notre ancien droit. Nous nous attacherons assez longuement à cette étude, car nous croyons que c'est surtout dans le passé d'un peuple, dans ses traditions, qu'il faut chercher le remède aux maux dont il souffre.

(1) Il semble en effet, que la loi de 1896 ait eu pour résultat de diminuer dans d'assez fortes proportions le chiffre des reconnaissances des enfants naturels. Alors qu'en 1891 le nombre des enfants reconnus était de 17.440 sur 74.451, naissances illégitimes, en 1895 de 16.971 sur 73.278, il tombe en 1897 à 13.280 sur 75.989 naissances et à 13.242 sur 74.586 naissances en 1898. Annuaire de statistique de la France. 1895-96. vol. 17 tableau n° 17 année 1898. vol. 18. tableau n° 18. p. 19. année 1899. vol. 19. tableau 14. année 1898. tom. 28 tableau 11 p. 12.

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L'étude du Droit intermédiaire et des travaux préparatoires du Code Civil nous apprendra pourquoi le législateur nouveau a brusquement rompu avec les principes de l'ancienne jurisprudence. L'examen des travaux préparatoires nous aidera également à connaître le principe de la matière dans le Code Civil.

Nous reviendrons sur les principes en étudiant les textes. Nous chercherons à bien en indiquer la portée et nous serons ainsi amenés à nous demander si la paternité naturelle peut être prouvée en dehors des formes prévues par l'art. 334 sans violer le principe del'art. 340; si ce même principe de l'art. 340 comporte les limitations qui lui ont été apportées par la jurisprudence.

Nous étudierons ensuite l'exception contenue dans le 2o al. de l'art. 340 et enfin le régime auquel sont soumis les enfants adultérins ou incestueux quant à la preuve de leur filiation paternelle.

Dans une dernière partie nous examinerons les projets de loi soumis au législateur français sur notre matière et nous rechercherons quels sont les principes de quelques législations étrangères sur la recherche de la paternité.

Dans la conclusion, nous nous demanderons si le principe posé par l'art. 340 doit être maintenu tel qu'il est, si il doit lui être apporté des modifications ou si au contraire il faut le remplacer par le principe de la libre recherche.

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