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QUATRIÈME PARTIE

Projets de loi.

CHAPITRE PREMIER

PROJETS DIVERS

Abordons maintenant la dernière partie de notre sujet : c'est d'ailleurs celle qui présente l'intérêt le plus immédiat, puisque nous aurons à y parler du texte de loi voté par la Chambre des députés.

Ce projet a été précédé de bien d'autres : depuis 1870, ils se nombrent déjà par plus d'une vingtaine. Ils ont été inspirés surtout par le désir d'assurer la liberté d'association que nous ne possédons pas encore, et aussi par le souci de mettre fin aux controverses de l'Ecole en tranchant la question de capacité.

Malheureusement quelques-uns de ces projets ont pu paraître, à bon droit, édicter des mesures trop rigoureuses contre une certaine catégorie d'associations, ce qui fait qu'ils n'ont pu aboutir, écrasés par le choc des passions contraires qu'ils avaient soulevées.

On peut grouper les principaux en trois catégories :

1° Ceux qui, imbus des vieilles idées de la doctrine classi

que, consacrent ses erreurs et se montrent avares à l'excès du pouvoir créateur usurpé par l'Etat ;

2o Ceux qui, soit en fait seulement, soit même en théorie, distinguent deux sortes de personnalité civile;

3o Les projets qui, plus libéraux, au moins en thèse générale et pour les associations de droit commun, rejettent la théorie de l'Etat, souverain dispensateur de la personnalité morale. Nous allons étudier ces trois groupes tour à tour:

I. En tête de la première catégorie, nous pouvons ranger un projet de loi qui, bien qu'ayant un objet tout différent du droit d'association, s'occupe cependant incidemment de notre question nous voulons parler du projet de Code de procédure civile (1), préparé par la commission extra-parlementaire instituée en 1883 et rapporté le 21 décembre 1885 par M. Brisson, alors garde des sceaux. L'article 12 du titre des ajournements, s'occupant du mandat d'ester en justice, distingue le cas où plusieurs personnes sont réunies momentanément de celui où l'on se trouve en face d'une association durable. Dans le premier cas, un mandat authentique suffira; dans le second, il faudra que les statuts accordent ce pouvoir à l'un des membres. Il suffira de viser les statuts dans la procédure pour que l'adversaire soit éclairé. Et l'on conclut que, si cette disposition était adoptée, les tribunaux pourraient, sans scrupules, se montrer plus sévères dans la reconnaissance de la personnalité civile.

Mais cette disposition n'est qu'un hors-d'œuvre, le projet complet est celui présenté au Sénat le 21 décembre 1891 par M. Goblet (2). Ce projet est excessivement réactionnaire. Il commence par consacrer la vieille erreur qui assimile la personnalité civile à la reconnaissance d'utilité publique et, par

(1) J. Off., 29 déc. 1885.

(*) Brice, p. 79; Rousse, p. 292.

conséquent, la laisse à la discrétion de l'Etat. Encore, cette reconnaissance ne concèdera-t-elle point la capacité complète. La loi spéciale de reconnaissance délimitera strictement les droits accordés à l'association.

Quant aux associations non reconnues, leur sort est peu enviable. Elles n'existent pas comme personnes morales, donc elles ne pourront avoir un patrimoine, par suite être propriétaires d'un local. Mais, par une contradiction singu lière, on leur permet de passer des contrats, de louer les bureaux strictement nécessaires à leur installation, enfin de jouir du fruit des cotisations, mais sans pouvoir les capitaliser. On se demande alors ce qu'elles en pourront bien faire puisqu'elles ne peuvent ni louer des bâtiments en dehors du strict nécessaire, ni faire des placements mobiliers ou immobiliers. D'autre part, on se demande à quoi se rattache cette ombre de capacité à l'association? Mais elle n'a pas la personnalité civile! Aux associés? Mais cela est contraire à leur intention manifeste et, du reste, cela n'explique pas le droit de passer des contrats, ni de louer des locaux, actes qui se feront forcément et qui doivent, en raison, se faire au nom de l'association. C'est donc bien là ce monstre juridique dont nous avons déjà parlé, qui réalise ce phénomène extraordinaire de se trouver à égale distance de la vie et du néant, d'être et de n'être pas.

II. La deuxième catégorie est de beaucoup plus nombreuse et cela se conçoit, car elle correspond bien aux tendances habituelles des hommes politiques, toujours enclins à se contenter d'une cote mal taillée.

C'est dans cette catégorie qu'il faut placer les trois projets : Dufaure-Simon (1) (1880-4 mars 1883), Floquet (2) (juin 1888),

(') Epinay, p. 583; Brice, p. 56 s., p. 135; Van den Heuvel, p. 277 et 287. (2) Epinay, p. 591; Brice, p. 75.

Fallières et Constans (1) (16 janvier 1892), et quelques autres projets de moindre importance comme les projets Duchâtel (2) (25 mai 1886), et Reybert (3) (22 février 1890).

La plupart ne sont même pas venus en discussion et le projet Dufaure-Simon a été rejeté au Sénat en 1883.

Ces projets, comme nous l'avons dit, distinguent, en fait, deux personnalités : l'une est complète et résulte de la déclaration d'utilité publique, l'autre est restreinte et ne donne que des droits limités. Mais, en théorie, ils maintiennent le pouvoir créateur de l'Etat : le projet Floquet distingue même formellement entre le droit de vivre et la personnalité civile : l'un est primordial, l'autre accessoire. La liberté de vivre, dit l'exposé des motifs, résulte de la nature des choses; la personnalité est, au contraire, une fiction légale. On peut se demander ce qu'est cette vie qui n'en est pas une et cette liberté de vivre appartenant à quelque chose qui n'existe pas; mais, heureusement, l'application est plus libérale et plus raisonnable que la théorie. Aussi, il est bien probable que si l'un de ces projets était devenu loi, la jurisprudence et, après elle la doctrine, n'auraient pas hésité à voir, dans ce droit de vivre, une véritable personnalité. Quoi qu'il en soit, passons à l'étude de la capacité pratique.

L'association se forme librement, elle n'est astreinte qu'à déposer ses statuts et à faire une déclaration de naissance (projets Dufaure, Floquet, Reybert). Le projet Fallières et Constans organise une sorte d'autorisation judiciaire. Voilà donc l'association habilitée au point de vue de la police: mais cela ne suffira pas pour qu'elle ait l'existence sociale et juridique. Il faudra que l'autorité supérieure reconnaisse cette

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existence, car elle est une source d'inquiétudes et de dangers pour l'Etat. Donc, hors de la reconnaissance, l'association n'aura pas la vie civile, elle ne sera qu'une simple agrégation. Ainsi, dit l'exposé des motifs du projet Floquet, on leur assurera la liberté de vivre, sans compromettre les droits de l'Etat. L'association reconnue d'utilité publique jouira au contraire de la personnalité civile, de la capacité complète, naturellement sous la surveillance du gouvernement.

Quelle sera la capacité de l'association non reconnue ? Le principe qui la régit est un principe qui semble emprunté au droit administratif : nous voulons parler du principe de la spécialité. On sait en quoi il consiste il n'admet la capacité d'un établissement public ou celle résultant d'une fonction que dans la limite des attributions, du but pour lequel ils ont été institués. Ici, la capacité des associations est limitée en principe aux biens nécessaires pour atteindre le but qu'elles poursuivent. C'est ce que décide formellement pour l'apport immobilier le projet Dufaure-Simon. Au delà de cette limite, l'apporteur ou son héritier pourront revendiquer. Même solution dans le projet Duchâtel et le projet Floquet dans ce dernier, on comprend sous le nom d'immeubles nécessaires celui du siège social et ceux qui sont les instruments de l'activité de l'association. Ils ne sauraient être productifs d'intérêt ni affectés à l'usage personnel des associés. C'est exactement la même règle qui se retrouve dans le projet Fallières et Constans. Par quels moyens les associations acquerront-elles ces immeubles? Les projets Floquet, Duchâtel et Constans ne le disent pas. Au contraire, les projets Reybert et Dufaure-Simon sont très nets les immeubles ne pourront être acquis que par suite d'apports seulement. Impossible de les acquérir au moyen d'un contrat à titre onéreux ou d'une libéralité, ni directement, ni indirectement.

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