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là son rôle ordinaire, et, par exception, elle est nécessaire pour la formation même de l'association. En résumé, elle vise donc tour à tour la capacité et le droit d'association.

Il est certain qu'il y a là une exception qui s'explique assez peu, aussi est-il probable que le Sénat la fera disparaître.

Nous estimons, du reste, que la Chambre a eu tort de rendre la déclaration facultative. Il y a eu là surtout une manœuvre parlementaire destinée à faire échec à la commission, mais il n'en est pas moins vrai qu'en décidant ainsi, elle s'est mise en contradiction avec elle-même. Toute la Chambre a protesté contre la conception de M. Waldeck-Rousseau distinguant l'association de personnes de l'association de biens et disant que la première pouvait vivre sans la seconde. Or, l'adoption du principe de la déclaration facultative est justement l'affirmation de cette théorie. Ce principe suppose qu'une association peut vivre sans posséder quoi que ce soit. Le Président du conseil eût alors été fondé à dire que, si quelques associations pouvaient, de l'aveu même de ses adversaires, vivre en fait dans cette étrange situation, il était naturel, en théorie, et pour simplifier la conception du contrat, de dire qu'il en était de même pour toutes. Nous montrerons du reste plus loin l'erreur de ceux qui ont soutenu l'amendement Groussier.

Nous avons dit que le projet du gouvernement, refusant toute capacité à l'association comme telle, avait soulevé les protestations de la Chambre. La commission avait, en conséquence, proposé un autre texte qui donnait satisfaction à ces réclamations. Ce texte est devenu le nouvel article 6 ainsi conçu :

ART. 6.

Toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune autorisa tion spéciale, ester en justice, acquérir à titre onéreux, posséder et administrer, en dehors des subventions de l'Etat, des départements et des communes :

1o Les cotisations de ses membres ou les sommes au moyen desquelles ces cotisations ont été rédimées, ces sommes ne pouvant étre supérieures à 500 francs; 2o Le local destiné à l'administration de l'Association et à la réunion de ses membres;

3o Les immeubles strictement nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se propose.

L'action en justice est donc de droit. Quant à la capacité d'acquérir à titre gratuit, elle est nulle. Cela résulte a contrario du texte qui ne parle que des acquisitions à titre onéreux. M. Baron (') avait déposé un amendement tendant à reconnaître parmi les ressources de l'association les souscriptions par elle recueillies, ainsi que le produit des fournitures faites et des services rendus par elle et prévus dans ses statuts. Il faisait observer qu'autrement on place les sociétés de bienfaisance dans l'impossibilité d'atteindre leur but. Il admettait cependant la fixation d'une limite. Le rapporteur répliqua que c'était demander que les associations pussent recevoir des dons en argent d'une façon illimitée, ce qui était inadmissible. M. Baron protesta contre cette façon de discuter, mais ce fut en vain et son amendement fut repoussé.

On ne peut s'empêcher, touchant les donations mobilières, de faire la même observation que nous avons déjà faite dans l'étude des divers projets de loi les dispositions légales, devant être forcément et facilement tournées au moyen des titres au porteur, il eût été plus sage de ne pas édicter d'incapacité à ce sujet. La même remarque peut s'appliquer au 1o de l'article 6, limitant à 500 francs la somme pour laquelle les cotisations pourront être rédimées.

Le texte ne parle pas de l'acquisition des objets mobiliers nécessaires pour le fonctionnement de l'association, mais cela va de soi, et peut être déduit par un argument a fortiori tiré

(1) Amendement Baron, séance du 5 fév., Officiel du 6 fév. 1901.

du 2° et du 3°. Le deuxième paragraphe permet, en effet, l'acquisition d'un local pour l'administration de l'association et la réunion des membres, donc aussi celle des meubles meublants; le 3o permet la possession des immeubles nécessaires à l'accomplissement du but poursuivi, donc a fortiori celle des meubles.

Il y a lieu de remarquer que, sur une question de M. Piou, le rapporteur a déclaré que le droit d'ester en justice comprenait celui de transiger et que posséder comprenait acquérir ('). Il faut également en déduire que les actes à titre onéreux qui ne seraient pas des acquisitions sont également permis à l'association: elle pourra donc vendre, hypothéquer, etc.

Les associés pourront-ils, à côté du patrimoine de l'association, en constituer un autre sous la forme d'une société civile ? La question fut discutée. M. Waldeck-Rousseau, suivant toujours son idée, l'admettait. MM. Ribot et Pelletan firent observer qu'on risquait ainsi de laisser se former une mainmorte occulte, d'autant qu'il était bizarre de permettre au même groupement de se présenter sous deux aspects différents pour avoir des droits différents. La commission, à laquelle cette question avait été renvoyée, estima qu'il y aurait là une fraude à la loi; en conséquence, l'association ne pourra posséder que les biens régulièrement acquis (2).

L'association déclarée jouit donc d'une certaine capacité : la question qui se pose maintenant est de savoir en quelle qualité.

Si l'on n'avait pour s'éclairer que les paroles prononcées par le Président du Conseil, à la fin de son discours du 5 février, on risquerait de demeurer fort longtemps dans l'incertitude à ce moment, M. Waldeck-Rousseau croyait toujours

(1) Réponse du rapporteur, séance du 5 février, Officiel du 6 février 1901. (2) Séance du 25 février, Officiel du 26 février 1901.

que sa théorie avait été adoptée par la Chambre et que la capacité accordée à l'association déclarée n'en faisait pas un être moral. Aussi, cherchant à concilier ces deux conceptions, il prononça une phrase singulière : « Restons donc sur cette » idée que les biens réunis dans la main d'une association » sont presque la propriété de ses membres; si l'un de ces >> membres veut s'en aller... il emporte sa part de l'actif. >> S'il vient à mourir, non seulement une règle sociale dirige >> les actes et les droits de chacun, mais encore la copropriété >> des biens va en quelque sorte à chacun de ses mem» bres;... » (1). Nous nous demandons vraiment ce que signifie ce langage sybillin. Que peuvent bien être une « presque propriété >> une « sorte de copropriété ? » Et à qui appartiendront donc les biens du groupement si, comme le croit M. Waldeck-Rousseau, ils n'appartiennent pas à l'association et n'appartiennent que « presque » ou « en quelque sorte >> à chacun des membres?

C'était là une conception tellement extraordinaire, que la Chambre lui a donné un démenti immédiat. M. Piou avait proposé de reconnaître l'association déclarée comme personne morale, disant que c'était la conséquence logique du nouveau système qui reconnaît à l'association des droits, des intérêts, un patrimoine distinct de celui de ses membres. En lui répondant, le rapporteur, M. Trouillot, déclara que si l'orateur voulait parler de la « petite personnalité », il avait satisfaction et, là-dessus, M. Piou retira son amendement (*). Nous sommes donc autorisé à dire que les associations déclarées jouissent de la personnalité. Cette interprétation est confirmée dans la séance du 25 février, par la bouche même

(') Discours de M. Waldeck-Rousseau, séance du 5 février, Officiel du 6 février 1901.

(*) Officiel du 6 février 1901.

du Président du Conseil, reconnaissant enfin que son système a échoué et que la Chambre a admis (ce sont ses propres paroles) que par la simple déclaration l'association pourrait avoir la personnalité civile, une personnalité distincte de celle de ses membres. Il répondait ainsi à M. Ribot qui soutenait la chose impossible en dehors de la reconnaissance. d'utilité publique ('). A la séance du 14 mars, M. WaldeckRousseau revient sur cette idée que la Chambre a donné à l'association<«< une personnalité civile qui lui donne une capa» cité légale ». Et plus loin : « On est donc arrivé à considé>> rer que l'association devait avoir une personnalité civile » (*). Il n'y a donc pas de doutes sur la question.

Maintenant, cette personnalité est-elle une concession de l'Etat ou un droit naturel? Nous penchons pour la deuxième opinion. Elle résulte pour nous du caractère facultatif de la déclaration par un acte de leur simple volonté, les associés peuvent forcer l'Etat à reconnaître la capacité de leur association, c'est donc qu'elle était préexistante, qu'elle résulte de la volonté des parties. La phrase même de M. WaldeckRousseau, citée en dernier lieu, le prouve : l'association « doit » avoir la personnalité, c'est donc qu'elle est de droit naturel. Telle est aussi l'opinion de M. Renault-Morlière : <«< Oui, il est permis à tout le monde de s'assembler, de se >> réunir pour le triomphe d'une idée commune. Mais, de >> cette réunion même naît un fait nouveau, une entité, un organisme, une force, ce que, dans la langue du Droit, on >> appelle un être moral..... » (3). Voilà une opinion parfaite

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(1) Discours de M. Waldeck-Rousseau le 25 février, Officiel du 26 février 1901. (2) Discours de M. Waldeck-Rousseau. Séance du 14 mars, Officiel du 15 mars 1901.

() Discours de M. Renault-Morlière. Séance du 15 février, Officiel du 16 février 1901.

Desgranges

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