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ment juste; quel sera maintenant le rôle de l'Etat ? « L'Etat >> intervient tout d'abord comme une sorte d'officier de l'état» civil chargé d'enregistrer la naissance d'un enfant; seule» ment, l'Etat a le droit de reconnaître ou de ne pas recon»> naître l'être moral résultant de l'association. S'il ne le >> reconnait pas, l'être moral n'a pas d'existence aux yeux de la » loi » (').

M. de Chambrun est du même avis (2) et, ce qu'il y a de plus important, M. Piou, dont l'opinion a bien une certaine valeur, puisqu'il avait proposé un amendement en ce sens et le retira, estimant que le rapporteur lui donnait satisfaction. Il pense que la convention des parties suffit à créer des êtres moraux; qu'elle en crée dans les sociétés commerciales et civiles, par conséquent aussi dans l'association. Il semble se rattacher à la théorie des Zweckvermogen en disant : «< Le » but limite le droit.... car, dans une association, le patri>> moine appartient en réalité au but qu'elle poursuit » (3). Enfin, voici l'opinion du rapporteur lui-même : il revient sur cette idée que l'Etat joue le rôle d'officier de l'état civil, or cela suppose bien la personnalité préexistante.

M. LE RAPPORTEUR : « La déclaration, pour l'association qui veut naître, n'est qu'un acte analogue à ce qu'est, pour toute naissance, la déclaration faite à l'état civil. Nécessaire, lorsqu'un individu vient au monde, la déclaration nous a paru également nécessaire sans être davantage vexatoire, lorsqu'il naît une personne morale..... C'est l'état civil même de l'association, c'est-à-dire, d'une personne morale nouvelle qui se constitue par ce moyen...

M. Piou Très bien, très bien !

M. GAYRAUD: C'est la thèse même de M. Piou!

M. LE RAPPORTEUR : L'association, telle que nous la concevons, constitue une personne morale: Elle a le droit d'ester en justice, d'acquérir l'immeuble nécessaire à son fonctionnement, de posséder et de placer les cotisations de ses membres...... C'est donc bien là une personne morale...... Puisque l'Etat demande

(1) Discours du même, Officiel du 16 février 1901.

(2) Discours de M. de Chambrun, Officiel du 1er fév. 1901.

(3) Discours de M. Piou, séance du 5 fév., Officiel du 6 fév. 1901.

uue déclaration d'état civil pour l'être qui naît, il a le droit d'exiger la même formalité pour la naissance de la personne morale qui forme dans son sein un étre nouveau » (1).

Si jamais les travaux préparatoires d'une loi ont pu servir à l'interpréter, il nous semble que c'est bien là le cas. Est-il possible de continuer à soutenir que c'est la déclaration qui crée la personne civile? Elle n'en est que la manifestation aux yeux des tiers. Donc elle existait auparavant et n'est pas une fiction de la loi.

Enfin, comme conclusion, un dernier argument on se rappelle que le projet Waldeck-Rousseau définissait la personnalité comme une fiction (art. 10, ancien art. 9): M. l'abbé Lemire déposa un amendement tendant à la suppression de la définition comme venant trop tard et contredisant le texte de l'article 6. Sur l'approbation du rapporteur, la suppression fut adoptée sans discussion (2). Il nous semble que c'est là l'enterrement définitif de la vieille idée qui a fait tant de mal, la théorie de la personnalité fiction.

Est-ce à dire qu'il n'y ait plus lieu de distinguer entre l'association déclarée et celle reconnue d'utilité publique? Rien ne serait moins exact: il y a toujours un intérêt à cette distinction ne serait-ce qu'au point de vue de la capacité d'acquérir à titre gratuit. La loi y consacre, du reste, un titre spécial. Pour ces associations, la capacité est générale; on a cependant admis, en ce qui concerne les immeubles, la limitation par le but. Surtout, elles peuvent recevoir des dons et legs dans les conditions prévues par l'article 910 C. civ. (art. 11). Mais la distinction à faire résulte simplement de degrés dans les incapacités dont sont frappées toutes les personnes morales.

(') Discours de M. Trouillot, Officiel, du 5 fév. 1901. (2) Amendement Lemire, Officiel du 27 février 1901.

On ne devra pas dire, en conséquence, qu'il y a deux sortes de personnalités civiles: une complète, résultant de la reconnaissance d'utilité publique, et une restreinte résultant de la déclaration. Cela contredirait le texte de l'article 10, qui ne mentionne pas la personnalité au nombre des effets de la reconnaissance d'utilité publique. Ou autrement, il faudra dire que le mineur est une personne physique d'une nature différente de celle du majeur, ou bien que ce dernier seul en est une. Il n'y aura qu'une seule personnalité, la personnalité morale appartenant à toute association et elle devra être distinguée désormais de la personnalité civile: la première existera dans toute association dès qu'elle se sera formée, la seconde sera la reconnaissance de la première par la loi civile et toute association légalement constituée pourra obliger l'Etat à cette reconnaissance au moyen de la déclaration.

La personne morale sera capable de droit naturel, la personne civile le sera dans les limites où l'Etat enfermera la capacité de la première. Il s'ensuit que les restrictions apportées à celle-ci seront le résultat d'une incapacité. Quel est le caractère de cette incapacité? Elle est prononcée, non en faveur de l'incapable, mais contre lui. Cela résulte de la défiance incurable avec laquelle notre législateur voit la capacité des associations. Il faudra l'assimiler à l'interdiction légale. Elle est donc d'ordre public; c'est ce que dit l'article 18 in fine: « La nullité pourra être prononcée, soit à la diligence du ministère public, soit à la requête de tout >> intéressé ». Donc, pas de confirmation possible.

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Quel sera le sort de l'association non déclarée? Nous avons dit que, à notre avis, cette situation était regrettable, car toute association a besoin de fonds, par conséquent de personnalité. Les exemples mêmes de M. Ribot le prouvent: Associations se réunissant : « pour causer d'affaires politiques

» et quelquefois pour organiser leur action », associations de dames de charité etc. Comment organiser une action politique ou faire la charité sans ressources? M. Ribot avait d'abord parlé d'associations ne se manifestant pas au dehors, mais il y a contradiction dans les exemples qu'il donne. S'il y a des cotisations, il faudra un trésorier, par suite, il lui faudra le droit d'agir pour réclamer les cotisations, donc l'action en justice sera nécessaire. Il ne faut pas dire que la jurisprudence actuelle pourra s'appliquer, car nous avons vu qu'il y a une personne morale, s'il n'y a pas de personne civile. Ce sera donc, dans toute sa rigueur, la théorie de l'interposition qui devra intervenir. Une déclaration postérieure serait aussi inefficace, car elle ne pourrait rétroagir au moment du

contrat.

On voit donc combien est fausse la situation faite à ces associations non déclarées. Nous estimons qu'elle est le résultat d'une erreur de la Chambre et qu'on eût mieux fait de revenir aux vieilles traditions: l'autorisation ou la déclaration exigée pour la formation de toutes les associations et la capacité en découlant forcément. Il faut espérer que le Sénat corrigera cette faute en rétablissant la déclaration obligatoire.

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