Page images
PDF
EPUB

au cas où le nombre des associés serait réduit à l'unité ('). Restons donc sur cette idée que les Romains n'ont point distingué entre le jus coeundi et la personnalité. L'Etat concède le premier, mais la seconde en est la conséquence forcée et la puissance souveraine n'y voit pas un de ses attributs (2).

(') « In decurionibus, vel aliis universitatibus nihil refert utrum omnes idem maneant, vel omnes immutali sint » (L. 7, § 2, Dig., 3, 4).

་་

(*) Mommsen montre très bien la genèse de cette idée : « Quand on commença à >> donner la personnalité civile, on en arriva bientôt à penser que le droit de per>> sonnalité devait être admis partout où était évidente l'utilité d'une société ou » d'un collège... c'est cette opinion qui fit joindre l'idée de personne à toute idée » de collège licite. De même qu'auparavant les collèges et sociétés qui avaient » l'autorisation des pouvoirs publics étaient considérés comme ayant une utilité publique et jouissaient du droit des personnes... de même, par la suite, quand » aucun collège n'était constitué sans l'autorisation des pouvoirs publics, la logi

[ocr errors]

» que du droit exigeait que la personnalité fût accordée à tous ». (Mommsen, op. cit., p. 119).

CHAPITRE II

ANCIEN DROIT

Lorsque l'empire romain eut succombé sous les coups répétés des barbares du Nord, ce fut dans l'Eglise, seule debout au milieu du naufrage de toutes les anciennes institutions, que se réfugièrent les sciences, les lettres et aussi les traditions du droit romain. Ce fut elle aussi qui recueillit la notion de personnalité morale ('). L'Eglise entière était regardée comme une vaste association puis elle ne tarde pas à se scinder en une foule d'autres groupements plus restreints: ce sont d'abord les diverses églises qui se donnent entre elles les titres de mère et de fille, puis ce sont les paroisses et les hospices, enfin les monastères, la congrégation, cette associa-. tion poussée à son maximum d'union et de perpétuité. Tous ces groupements possèdent la capacité juridique et par le seul fait de leur constitution licite. Bien entendu, cette licéité résulte de l'autorisation spirituelle, le pouvoir civil étant encore trop faible pour intervenir. Nous ne prétendons point que la notion de personnalité morale ait été distincte dans l'esprit des canonistes de l'époque, mais en fait elle existe; au-dessus de chaque agrégation plane l'idée supérieure d'une destination, d'une œuvre à accomplir; il en résulte que le patrimoine corporatif n'est point la propriété des associés, or, c'est là la caractéristique de la personnalité morale.

() Vauthier, p. 67 et 83, 96; Planiol, I, n. 260 s.; Epinay, p. 55.

Par un curieux phénomène dont l'histoire des institutions offre de nombreux exemples, ce fut par une évolution semblable à celle du droit romain que vinrent à la vie juridique les associations laïques. De même que les sodalités avaient commencé par être des associations religieuses, empruntant la capacité du Dieu qu'elles adoraient, de même, dans le haut moyen-âge, la première forme de l'association fut la confrérie (1). Elle se forma d'abord afin d'honorer plus particulièrement un saint, puis cette forme fut prise par des associations purement laïques, des ghildes de marchands ou d'ouvriers n'ayant plus de religieux que le fait de se placer sous l'invocation d'un patron et de célébrer solennellement sa fête. Il est probable que si cette forme fut si employée à l'origine, c'est parce qu'elle communiquait à la confrérie la personnalité de l'Eglise considérée comme le tronc primitif duquel se détachaient peu à peu les associations secondaires qui formaient ses branches.

Mais, en tous cas, cette influence religieuse disparut assez vite et les confréries laïques vécurent désormais libres : leurs rapports avec l'Eglise avaient contribué à leur donner la notion du patrimoine distinct, l'imitation du droit féodal acheva de la préciser (2). Lorsque la commune affranchie se substitua au seigneur féodal, elle se considéra comme une seigneurie collective, et, à l'imitation de l'ancien maître, elle eut son sceau, ses armes, sa bannière que les bourgeois portent dans leurs cortèges « aussi fiers que barons dans une chevauchée », son Hôtel-de-Ville remplaçant le donjon et enfin la plupart des droits féodaux. C'était la manifestation d'un pouvoir exercé collectivement, d'une capacité collective

(1) Epinay, p. 61.

(2) Epinay, p. 65; de Lamarzelle (Correspondant, 10 novembre 1900, La grande liberté, p. 456); Vauthier, p. 192.

appartenant, non à chacun des bourgeois, mais à la commune considérée comme succédant à l'ancien seigneur et exerçant ses droits comme lui-même, c'est-à-dire encore la notion de la personnalité morale.

Ce fut cette forme qu'empruntèrent les corporations. Elles aussi eurent leur sceau et leur bannière, et, à défaut de l'Hôtel-de-Ville, un local corporatif où elles se réunissaient. Elles avaient donc le droit de posséder uue caisse commune et de contracter. Les bouchers de Paris, par exemple, forment une corporation qui possède des immeubles, reçoit des dons, prête ou emprunte de l'argent. Cette capacité, nul ne songe à la dénier aux confréries: parfois on leur défend de se réunir lorsque leur turbulence devient trop grande, mais quant à leur retirer le droit de contracter, on n'y songe pas, tant on trouve naturel que l'association agisse dès le moment qu'elle existe. Voici un fait qui le prouvera : En 1208, les maitres et élèves de l'école de Paris demandèrent au pape Innocent III de pouvoir se faire représenter en justice par un mandataire. Le pape, en leur accordant ce qu'ils demandaient, leur fit remarquer qu'ils n'avaient pas besoin de cette concession, la faculté d'ester en justice leur appartenant d'après le droit commun par le seul fait de leur association (').

Nous ne rencontrons donc pas encore là cette fiction de personne physique, si universellement acceptée au dernier siècle. Mais, en se fortifiant, le pouvoir royal entame la lutte contre les associations dont la puissance aurait pu lui porter ombrage, soit par leurs tendances, soit par l'accumulation des biens de mainmorte. A ce moment aussi, l'étude du droit romain commence à se répandre, les légistes cherchent à le substituer partout à la coutume, à assimiler nos institutions

(') De Lamarzelle, Corr., art. cit., 25 décembre 1900, p. 1054; Vauthier, p. 213.

à celles de Rome. Ils trouvent le fragment de Florentinus (L. 22, Dig. XLVI, 1) : « Hereditas personæ vice fungitur, sicuti mancipium et decuria et societas ».

Sans comprendre qu'il n'y avait là qu'une simple comparaison, sans prendre garde aux coutumes romaines, ils virent l'assimilation de la société à la personne physique, c'est-àdire la fiction de la personne morale et ils en reportèrent l'invention aux Romains. Cette idée fut fortifiée par l'étude du droit commercial italien où les Sociétés étaient considérées comme un corpus mysticum, résultat d'un effort d'imagination, et cette notion, vraie pour la plupart des Sociétés commerciales, fut étendue au droit civil, où elle était, en réalité, déplacée (').

C'était une modification de la théorie, car jusqu'ici on n'avait pas songé à identifier l'Association avec une personne; mais entraîna-t-elle un changement dans la pratique? Il est certain qu'à partir du moment où le pouvoir central devint puissant, l'Association ne fut plus libre; mais que devient sa capacité ?

Nous trouvons ici la même controverse qu'en droit romain. On soutient que la capacité est une concession spéciale du pouvoir, distincte du droit de s'assembler, et on s'appuie à la fois sur un texte de Domat et sur l'édit de 1749 (*).

Nous ne croyons pas que cette opinion soit la vraie; pour nous, la doctrine romaine persista (3). Voyons, en effet, les textes invoqués par nos adversaires. On nous cite Domat disant : « C'est une suite du droit de permettre les établisse>>ments des corps et communautés, de leur permettre aussi de

(1) Epinay, p. 71 et s.

(2) Planiol, Droit civil, I, 265 s.; Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, I, 205.

() Rousse, p. 14 s.; Epinay, p. 73 s.; Vauthier, p. 213 s.

« PreviousContinue »