Page images
PDF
EPUB

que cette nullité d'inexistence ne peut être couverte par aucune confirmation (que confirmerait-on, en effet?), qu'elle peut être invoquée par toute personne sans qu'il soit besoin. de faire prononcer la nullité d'un contrat qui n'a jamais existé en droit (').

Il s'ensuit encore que tous les droits réels, usage, usufruit, hypothèques, constitués par les associations sur les biens par elles détenus, tombent comme constitués a non domino. Il nous paraît même qu'il y a là une conséquence oubliée par les défenseurs de la loi actuellement en discussion. Il en résulte enfin que le vendeur, donateur ou ses héritiers, seront restés légitimes propriétaires; par conséquent, ils pourront revendiquer ces biens contre tout détenteur, même contre un sous-acquéreur qui n'a pu acquérir valablement, sauf toutefois la prescription intervenue au profit de ce dernier si sa capacité le lui permet. Cette action appartient également aux créanciers et ayants-cause du vendeur ou dona

teur.

Le vendeur devra-t-il restituer le prix touché? M. de Vareilles-Sommières soutient que la théorie classique est obligée de répondre par la négative: la règle << nul ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui » ne peut s'appliquer; l'association, en effet, n'existant pas, on n'a pu s'enrichir à ses dépens. Comment faire une restitution à une personne qui n'existe pas? Si l'on dit que c'est aux dépens des associés qu'on s'est enrichi, c'est dire que le prix était à eux, donc aussi l'acquisition (). Nous ne pensons pas que cette argumentation soit exacte; on admet que le prix doit être restitué aux associés; voici, selon nous, pourquoi : l'association n'existant pas, n'a pu acquérir les apports des associés, l'argent est

(') Dain, 164 et s.; Beudant, note sous Cass., D., 80. 1. 145.
(*) Vareilles-Sommières, Du contrat d'association, p. 84 et 85.

donc resté à ceux-ci, c'est cet argent qui a été payé, c'est donc à ses véritables propriétaires, c'est-à-dire aux associés, qu'il faudra le rendre. Mais alors, dit-on, l'objet acquis appartient lui aussi aux associés puisque le prix leur appartenait? Non, car les associés n'ont pas voulu acquérir pour eux, mais pour l'association dont ils étaient les mandataires : or, celle-ci, nous l'avons vu, ne peut acquérir.

Une autre conséquence doit être tirée des principes et nous venons de la faire pressentir : c'est que chaque associé peut en tout temps réclamer son apport et demander le partage: l'association n'a pas pu, en effet, acquérir les apports ni l'augmentation que leur a fait produire la gestion. Contre qui sera dirigée l'action en revendication? Ce ne sera pas contre l'association, car celle-ci n'a aucune existence légale, par suite ne peut ni posséder, ni ester en justice. Elle le sera contre les associés considérés comme simples détenteurs irréguliers de la chose.

Mais un cas se présentera assez fréquemment le vendeur ou donateur aura exécuté l'obligation qu'il croyait avoir contractée puis, soit ignorance de son droit, soit volontairement, il ne fait entendre aucune réclamation: que va-t-il arriver?

Il faut distinguer suivant qu'il s'agit de meubles ou d'immeubles. Dans le premier cas, en vertu de l'article 2279 C. c., il nous semble ne pas y avoir de doutes: la revendication. doit être refusée au propriétaire dont le meuble n'a été ni perdu, ni volé. A qui seront donc les meubles dont s'agit? A personne, puisque personne ne les possède : ni le propriétaire puisqu'il a volontairement perdu et le corpus et l'animus domini, ni l'association, parce qu'elle ne peut l'avoir; il s'ensuit qu'ils seront à la disposition du premier occupant.

En ce qui concerne les immeubles, sur notre question, trois opinions se sont fait jour. La première, se basant sur l'inexis

tence de l'association, soutient que le véritable propriétaire pourra revendiquer éternellement en effet, le contrat n'a pu se former, la translation de propriété n'a pu s'effectuer, l'association ne peut non plus prescrire etiam per mille annos (1). Il s'ensuit que le droit de propriété du vendeur ou du donateur, n'ayant pu s'éteindre par le fait de la prescription acquisitive, a persisté et pourra toujours être mis en œuvre.

Les théories suivantes nous montreront ce qu'il faut penser de cette opinion, mais disons tout de suite qu'elle nous parait propre à créer des procès où la preuve de la propriété sera très difficile à faire, voire même impossible, lorsque la revendication s'exercera après un très long délai.

Une deuxième théorie, présentée et soutenue par M. Baudry-Lacantinerie principalement (), reproche à la première opinion, avec raison, nous semble-t-il, de négliger le principe inscrit dans l'article 2262 du code civil: Toutes les actions, tant réelles que personnelles, se prescrivent par trente ans. D'autre part, reculant devant les conséquences qui résultent de la troisième opinion, le savant doyen de la Faculté de Bordeaux prétend que l'action en revendication seule est prescrite, et que le droit de propriété subsiste, mais paralysé par l'impossibilité de le mettre en œuvre par le moyen ordinaire. A quoi donc servira cette persistance du droit? A maintenir théoriquement la propriété sur la tête du vendeur ou donateur, ce qui, nous l'allons voir par l'examen de la troisième opinion, a une grande importance, et aussi à lui permettre de repousser, s'il se remet en possession d'une manière quelconque, l'action en revendication intentée contre lui (1). Malgré l'autorité qui s'attache au nom de son auteur, cette théorie ne nous paraît pas exacte: nous ne concevons (1) Lacour, loc. cit.

(*) Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, III, p. 1000, n. 1683.

guère, à vrai dire, ce droit de propriété dépouillé de toute espèce de sanction et d'avantages: il y a là un curieux souvenir de la præscriptio longissimi temporis du droit romain après Théodose II. Le propriétaire négligent ne perdait pas son droit de propriété, mais au bout d'un certain temps d'inaction, il perdait son action en revendication contre le possesseur. Celui-ci n'était pas devenu propriétaire, il pouvait seulement repousser la revendication du verus dominus par l'exception longissimi temporis præscriptio. Mais s'il venait à perdre la possession, il n'avait pas, pour la réclamer, d'action pétitoire ('). En définitive, c'est la mainmorte reconstituée. Enfin, le remède proposé par cette théorie nous paraît dangereux pour la propriété publique si l'on autorise le propriétaire à se faire justice lui-même.

La troisième opinion est la plus radicale: c'est celle de MM. Laurent et Beudant, c'est la théorie courante, et la jurisprudence est également en ce sens (2). L'action en revendication est prescrite par trente ans, mais l'action n'est que le droit en exercice, il s'ensuit que le droit est lui aussi prescrit. Le vendeur n'est donc plus propriétaire, mais d'autre part, l'association n'a pu le devenir. Il en résulte que le bien. est sans maîtres et la conséquence en est inscrite dans l'article 713 du code civil: Les biens qui n'ont pas de maîtres appartiennent à l'Etat » (3). La conséquence est certainement rigoureuse, mais c'est, d'après nous, la seule logique.

(') Girard, Manuel de droit romain, 2e édit., Paris, 1898, p. 294. (*) Laurent, VI, p. 227; Beudant, note sous cass., D., 80. 1. 145.

(3) Et ce droit n'appartient pas à l'Etat, comme quelques-uns l'ont dit, à titre successoral. Il lui appartient dans tous les cas: c'est un mode légal, de droit commun, d'acquérir la propriété. Cela résulte de la place de l'art. 713 placé dans les dispositions générales du liv. III, intitulé: Des différentes manières dont on acquiert la propriété. Et cette règle y figure sur le même pied que celles relatives, non seulement à la succession, mais à la donation, à l'effet des obligations, à l'accession, à la prescription, à l'occupation, etc. (Art. 714, 717, C. civ.).

La nullité peut-elle être invoquée par l'association au cas où elle est débitrice? Il y a eu des arrêts en ce sens (Aix, 1825. Trib. de la Seine, 1857), mais la plupart des auteurs penchent pour la négative en disant qu'il y a là une société sinon de droit, au moins de fait qui ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui. M. de Vareilles répond, avec raison, qu'une société suppose le partage des bénéfices, que l'association est inexistante et n'a pu s'obliger, même naturellement. Il ajoute que réclamer aux associés, c'est leur faire subir les conséquences d'un contrat auquel, d'après la théorie même, ils sont restés étrangers. Nous croyons cependant que la solution courante est exacte, mais ses motifs ne le sont pas : il n'y a point société de fait, il y a un groupe d'hommes qui ont voulu contracter: ce contrat étant nul, il y a néanmoins un état de fait dont il faut tenir compte: le bien transmis est entre les mains des associés, mais il y est sans cause: ils seront donc tenus, non en vertu du contrat auquel, nous le supposons, ils sont restés étrangers, mais de in rem verso. M. de Vareilles demande alors sur quoi l'on paiera puisque l'association ne peut rien posséder. Nous répondrons que l'action de in rem verso s'exercera, non sur le fonds commun, comme disent MM. Aubry et Rau, car cela suppose une société, mais sur tous les biens des associés (').

Mais, à défaut de la capacité de l'association, ne sera-t-il pas possible au groupement simplement autorisé de vivre au moyen de la capacité des associés considérés ut singuli? Làdessus, plusieurs systèmes se sont fait jour. On peut les ramener à deux types principaux :

1o Les associés sont capables, sauf preuve d'interposition, selon les uns, de simulation, selon les autres;

(1) Vareilles-Sommières, Du contrat d'association, p. 137 à 145.

« PreviousContinue »