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2o Les associés sont présumés personnes interposées.

La première de ces deux théories réunit, sauf des divergences de détail, la grande majorité des jurisconsultes: cela tient à ce qu'elle permet de corriger, dans une certaine mesure, les résultats de l'inexistence de l'Association ('). Les associés, nous dit-on, ne subissent aucune déchéance du fait de leur entrée dans l'association : ils restent donc capables et libres de contracter dans les termes du droit commun. Ils ont, pour ce faire, plusieurs moyens à leur disposition: ils peuvent tous stipuler ou promettre par un seul acte; ils peuvent charger quelques-uns d'entre eux d'agir comme mandataires : les tiers qui contracteront auront alors pour obligés tous les membres de l'association on admet même que le mandat peut être tacite et résulter du seul vote qui désigne les administrateurs de la société. Laurent, qui admet cette théorie pour les associations laïques, a cependant des doutes: il se demande si les membres du cercle qui, généralement, croient être libérés complètement par le paiement de leurs cotisations, ont bien eu l'intention de donner un pareil mandat les obligeant même après leur démission. Il préfère dire que la convention a été conclue par un ou plusieurs membres en leur nom et est obligatoire pour eux seuls. On peut encore supposer qu'un des associés agit sans mandat. Dans l'opinion qui en admet la possibilité, on dit qu'après ratification la solution sera la même que la précédente. Si l'associé a agi en son propre nom, il y aura gestion d'affaires et il aura un recours contre ses co-associés.

Au point de vue de l'action en justice, on admet qu'elle appartient au président s'il a reçu mandat à cet effet: le man

(1) Beudant, note sous Paris, D., 79. 2. 225; Laurent, XXVI, 190 à 195; Vavasseur, op. cit., p. 22; Demolombe, Des donations et testaments, I, p. 584; Tournon, op. cit., p. 43; Dain, p. 81, 101, 147 s.

dat peut même être présumé; ou bien, dans l'opinion de Laurent, l'action appartiendra à ceux qui auront contracté en nom. En tout cas, les associés, conformément à la règle: << Nul ne plaide par procureur », pourront toujours figurer collectivement dans l'instance.

Ainsi donc, la capacité des associés ut singuli suppléera à l'inexistence de l'association. Certains même vont si loin qu'ils réputent faits au profit des associés qui y ont concouru les actes accomplis au nom de l'association. Ainsi MM. BaudryLacantinerie et Wahl (Contrat de société) déclarent que l'associé peut revendiquer en son nom personnel le bien acquis par lui, car il n'a pu vouloir acquérir pour un être inexistant. De ce principe que chaque associé fait ses affaires personnelles, il résulte que le bien passera à ses héritiers et qu'il n'est pas engagé par les actes où il n'a pas figuré. C'était la prétention des demandeurs dans les deux affaires Lacordaire et Parabère la justice, il est vrai, refusa d'admettre cette théorie (1).

Mais si cette dernière opinion est rejetée, n'y a-t-il pas aussitôt un péril très grave à admettre la capacité des associés? Qu'on y réfléchisse en effet les membres vont ainsi pouvoir relever l'association de son incapacité: la mainmorte va se reconstituer et ce danger apparaît très nettement dans l'ouvrage de MM. Baudry-Lacantinerie et Colin, où on admet même la possibilité de clauses de réversion. La réponse à l'objection est facile : la capacité des associés est limitée par l'incapacité de l'Association; l'acte, présumé valable, sera annulé s'il est prouvé que l'associé a voulu contracter au nom de l'association dans le but de faire échec à la loi. C'est ce que la majeure partie des auteurs appellent l'interposition.

(') Baudry-Lacantinerie et Wahl, op. cit., p. 312 s.; Batbie, op. cit., p. 2 s.

M. Beudant préfère le terme de simulation en faisant remarquer que l'interposition ne se conçoit pas vis-à-vis d'un non être. Les partisans de l'interposition font valoir que, s'il n'y a point d'association au point de vue juridique, il n'en est pas moins vrai que, dans la pensée des associés, l'être moral existe et que c'est vis-à-vis de ce fantôme, de cette ombre illégale de la personne civile que l'interposition a lieu. Mais, interposition ou simulation, l'intention des associés doit toujours être prouvée par le demandeur; autrement, il y aurait là une déchéance pour les associés. Ainsi, chaque fois que l'acte aura été fait au nom de l'association ou dans le but de frauder la loi, l'annulation sera prononcée, et il en sera notamment ainsi au cas de donation faite à l'association on ne devra pas la valider comme faite aux associés, car ce serait-là, comme le dit M. Vergé, dans une note au Droit Civil de Zachariæ, un subterfuge inadmissible faisant aux associations simplement autorisées une situation plus favorable qu'aux associations d'utilité publique (').

La deuxième opinion est beaucoup plus radicale : elle est adoptée par MM. Aubry et Rau et soutenue avec une grande force par Laurent, mais seulement en ce qui concerne les congrégations (2). Elle peut ainsi se formuler : ce que l'association ne peut pas faire directement, il n'est pas admissible qu'elle puisse le faire indirectement par l'intermédiaire des associés. Le subterfuge serait par trop simple et, disons-le, trop grossier. Le système précédent contredit ouvertement la volonté des associés () : il est certain qu'ils n'ont jamais

() Vergé sur Zachariæ, Droit civil français, III, p. 36. (*) Aubry et Rau, op. cit., p. 190; Laurent, VI, 228.

(3) M. Capitant a donné une nouvelle forme à la théorie classique. Quoique jugeant artificiel son fondement philosophique, il estime qu'elle est vraie au point de vue légal, c'est-à-dire qu'en dehors de la reconnaissance d'utilité publique, l'association n'a aucune existence légale. Mais il en tire des conséquences diffé

voulu acquérir pour eux, ce sont des personnes interposées, et en effet, en réalité, toutes les stipulations de l'acte tendent à faire disparaître les droits individuels de chaque associé pour le profit de la masse. Cela est si vrai que l'ensemble des associés a toujours protesté lorsque, conformément à l'opinion précédente, un sociétaire s'est avisé de revendiquer le bien acquis nominalement par lui et la jurisprudence leur a donné raison. En effet, que l'associé ait acquis en son nom ou au nom de tous les associés ou au nom de l'association, c'est la même chose; il n'a pas plus l'animus domini dans un cas que dans l'autre ; et c'est pourquoi il n'a pu acquérir la propriété. De même, lorsqu'un bien a été donné à l'association, la possession des associés n'a pu le leur faire acquérir pour parts indivises, car il leur a manqué la volonté de devenir propriétaires pour leur compte personnel et celui de leurs héritiers. Mais, nous dit-on, on annulera l'acte dès que l'interposition sera prouvée : nous répondrons que, l'opinion précédente permettant aux associés d'acquérir des biens pour les affecter à un usage commun, certains auteurs même autorisant la clause de réversion et l'interposition ne devant par suite être considérée comme prouvée que lorsque l'acte a été fait au nom de l'association ou dans le but de frauder la loi,

rentes, sans toutefois recourir à la théorie du contrat d'association. Il estime que les contrats seront permis aux associés personnellement, les biens deviendront indivis entre eux; ils peuvent recevoir des libéralités et ester tous en nom. L'association ne peut durer plus de cinq ans; au delà, le partage est de droit. Enfin, les actes faits au profit de l'association sont nuls; il en résulte que toute clause tendant à affecter le bien aux intérêts exclusifs de l'association sera nulle (p. 159 à 162 s.). Sans discuter le fondement de cette théorie, on peut lui objecter qu'elle ne tient pas compte de l'intention des associés qui n'acquièrent jamais pour eux. D'ailleurs, en pratique, elle aboutirait à la mort à bref délai de toutes les associations qui, après cinq ans, seraient à la merci d'une mauvaise tête et la perspective de voir la libéralité aller aux héritiers des associés arrêterait immédiatement toute velléité de générosité. Réduites alors à leurs seules ressources, les associations ne pourraient, croyons-nous, vivre bien longtemps.

en fait, elle ne le sera jamais. Ce serait en effet, dans le premier cas, supposer les associés bien naïfs et dans le second, il nous parait y avoir une distinction plus que subtile : si l'on n'admet pas que le seul fait de fournir à l'association des ressources qu'elle ne peut posséder par elle-même est une fraude à la loi, nous soutenons alors qu'il n'y en aura jamais; car les contractants pourront toujours nier ce consilium fraudis et, en effet, cet homme là serait fou qui ferait un acte dans le seul but de faire pièce au législateur, sachant du reste parfaitement que, s'il a cette intention, son contrat sera annulé. C'est donner une cause bien mesquine et bien puérile aux libéralités si nombreuses faites aux associations et nous ne croyons pas que le caractère frondeur des Français aille jusque là. C'est pourquoi nous annulerons le mandať donné par tous les associés à l'un d'entre eux et nous nous refuserons à sanctionner cette distinction entre la représentation de la collectivité et la représentation de l'association en fait, le résultat cherché et obtenu sera le même, cela suffit pour qu'en droit il faille appliquer la même solution.

Quant à dire avec Laurent que ceux-là seuls seront tenus et agiront qui auront figuré en nom au contrat, nous ne saurions l'admettre, car ils n'ont jamais voulu contracter pour eux; par suite, n'ayant acquis aucun droit, ils ne pourront agir faute d'intérêt.

Nous disons donc, et cela est conforme à la volonté ordinaire des associés, que l'interposition doit être présumée et nous étendons cette présomption aussi bien aux associations. laïques qu'aux associations religieuses. Nous ne voyons pas, en effet, ce qui pourrait motiver une distinction et le gymnaste nous semble personne interposée, tout autant que le franc-maçon et pas moins que le moine. Irons-nous jusqu'à faire de cette présomption une présomption juris et de jure?

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