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fecisti. Mais comment sortir de cet embarras? Il était également impossible de louer directement : dans cette cruelle situation, Laurent n'hésita pas, il recourut à ces moyens frauduleux qu'il avait stigmatisés avec tant d'éloquence quand il s'agissait des congrégations. Et alors, on put voir ce « scandale affligeant », suivant son expression : quatre hommes associés, dirigés par un professeur de droit et non des moindres, qui foulaient la loi aux pieds en louant un local en leur nom alors qu'ils voulaient ouvertement en faire don à la société, créant ainsi une mainmorte occulte au détriment de leurs héritiers. Encore ce moyen était-il insuffisant, car le propriétaire eût toujours pu les expulser, comme n'étant que des personnes interposées (').

Et certes, nous sommes loin de nous réjouir des tribulations de l'éminent jurisconsulte, mais nous avons tenu, après bien d'autres, à citer cet exemple, car il montre d'une façon éclatante les premiers et déplorables résultats du système classique on aboutit à supprimer en fait le droit d'association concédé pourtant par l'article 291.

Mais il y en a d'autres : de ce que les associations ne peuvent acquérir, il en résulte, avons-nous dit, que leurs biens immeubles sont sans maîtres, par conséquent à l'Etat; quant aux meubles, ils ne peuvent lui appartenir, ils seront donc impunément volés par le premier venu. L'association n'étant pas propriétaire et, d'ailleurs, ne pouvant ester en justice, ne saurait poursuivre la condamnation du voleur. Mais que disons-nous? Il n'y aura ni vol, ni volé, ni voleur; il n'y aura que l'exercice très légitime du droit d'occupation. Le code civil le dit, les res derelicte sont à la disposition. du premier occupant. Or, nous le répétons, au point de vue

() Van den Heuvel, p. 125; Vareilles-Sommières, Du contrat d'association, p. 92; Valleroux, Journal des Economistes, 1894, p. 82.

de la capacité, les principes et la situation sont exactement les mêmes. De même, l'inviolabilité du domicile ne saurait exister pour les associations. Tout cela n'est que la conséquence rigoureuse du système. Toute autre échappatoire est illogique et Laurent lui-même convient que la rigueur des principes rend « très difficile et presque impossible l'existence des associations ». Il est à remarquer que dans ce passage, il traite des sociétés d'agrément, il se contredit donc une fois de plus.

Ces conséquences paraissent si inévitables que plusieurs partisans de la théorie reconnaissent qu'une réforme est nécessaire tels sont MM. Beudant et Lyon-Caen ('). Ce dernier demandant au moins qu'on détache de la personnalité le droit d'agir par procureur.

Pour nous, nous nous rallions à l'opinion exprimée par M. Tissier, à savoir que des résultats aussi singuliers suffiraient à faire condamner l'opinion dont ils découlent. « Une théorie >> dont l'aboutissement offre une pareille absurdité, est néces>> sairement fausse dans son point de départ » (*). Ce jugement sévère est le nôtre, mais nous le généralisons et nous estimons qu'il faut ruiner jusqu'à l'origine même du système, car M. Van den Heuvel fait observer avec raison que, s'il est admis, les conséquences précédentes en découlent logiquement (). Or, pour nous comme pour tout le monde, ces conséquences sont, ou ridicules, ou malheureuses, et nous pensons que le code n'a pu vouloir dire une chose semblable, retirant ainsi d'une main ce qu'il accordait de l'autre.

Rejetant cette opinion, il nous faut donc chercher une autre solution à la question qui forme l'objet de notre étude.

(1) Lyon-Caen et Renault, I, 432; Lyon-Caen, note sous Cassation, 25 mai 1887, S., 88. 1. 161.

(2) Cité dans Rousse, p. 42.

(3) Epinay, p. 135 s.

SECTION II

THÉORIE DU CONTRAT D'ASSOCIATION

Toute cette doctrine classique se trouve, depuis quelques années, battue en brèche par un certain nombre d'auteurs. Le premier fut un Belge, M. Van den Heuvel. Il attaqua, avec une grande vivacité, les théories de son célèbre compatriote Laurent et ses idées furent reprises avec éclat et une vivacité encore plus grande, par un Français, M. de Vareilles-Sommières. C'est ce dernier qui les a vulgarisées chez nous.

M. Van den Heuvel comprenant bien, nous l'avons dit, que les conséquences de la théorie classique découlent forcément de la conception qu'elle se fait de la personnalité morale, a résolument porté la guerre sur ce terrain, et, afin de permettre aux associés d'agir sans avoir à craindre l'interposition, il a tout simplement nié l'existence d'un être moral quelconque.

M. de Vareilles-Sommières, d'abord effarouché par tant de hardiesse, avait, dans son ouvrage sur le « Contrat d'association »>, déclaré que si, en raison pure, il n'y avait point, en effet, de personnalité morale, cependant la loi positive peut en créer une fictive. Mais ce ne serait qu'un état exceptionnel et laissant les autres cas sous l'empire du droit commun, c'est-à-dire du contrat purement civil d'association (').

Cette cote mal taillée donnait prise sur la théorie. M. de Vareilles s'en est aperçu et aujourd'hui, dans ses dernières publications, il va beaucoup plus loin et, comme M. Van den Heuvel, nie l'existence de la personnalité, aussi bien lorsque la loi a parlé que lorsqu'elle n'a rien dit.

La personnalité, dit-il, est une hallucination des juristes du

() Vareilles-Sommières, Du contrat d'association, p. 1.

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XIX siècle : « L'Ecole croit aux personnes morales comme le vulgaire croit aux fantômes, comme nos paysans croient au >> loup-garou ('). Avant eux, jamais on n'y avait songé : la prétendue personne morale n'était qu'un terme de comparaison. Aujourd'hui, au contraire, « on a peuplé le droit » d'entités, d'êtres de raison, de personnes prodigieuses, » indescriptibles, inconcevables » (2). Et M. de Vareilles estime que c'est là une « engeance funeste » dont il faut se débarrasser car << rien d'envahissant » aujourd'hui, rien d'encombrant et d'obsédant, rien de fastidieux et de tyrannique comme les «< personnes qui n'existent pas » (3). Abandonnons donc cette croyance ridicule qui ne repose sur rien et qui n'a aucune utilité pratique et, derrière l'ombre, sachons voir la réalité, c'est-à-dire les associés en chair et en os, parfaitement capables et qui, en s'associant, n'ont fait qu'user d'un droit qui ne saurait être pour eux la source d'une déchéance (*).

Les associés n'ont jamais entendu qu'il en fut autrement : ils ont voulu que la propriété appartint à eux seuls et non à je ne sais quel personnage fantastique. Le peuple, dit M. de Vareilles-Sommières, ne peut concevoir la personne morale

(1) Vareilles-Sommières, Revue catholique des institutions et du droit, février 1901,

p.

52.

(2) Vareilles-Sommières, eod. loc., p. 39.

(3) Eod. loc., p. 34.

(*) Dans un récent ouvrage, M. Duguit part, lui aussi, en guerre contre l'existence de la personnalité morale seuls les individus existent et ils ont des volontés individuelles en vue d'un but collectif. Le droit d'association, n'étant point naturel à l'homme, il n'en saurait être autrement du pouvoir de faire une affectation collective de richesses. En réalité, il n'y a point de sujet de droit, ni de collectivité personnifiée, il y a un individu qui veut, ou son propre profit, ou celui d'un tiers ou d'une collectivité. Et, ce faisant, il stipule pour lui, car la représentation n'existe pas, des volontés ne pouvant se représenter. Duguit, L'Etat, le droit objectif et la loi positive, ch. III, passim.

On voit que, de démolitions en démolitions, il finira par ne plus rester grand' chose de toutes les idées fondamentales de la science du droit.

indépendante des associés, et il taxerait de folie celui qui le le lui dirait ('). Encore, si cette folie était bienfaisante, si elle avait une utilité pratique, on pourrait peut-être l'admettre au moins comme un mal nécessaire, mais nous allons voir qu'il n'en est rien. Toutes les conséquences que l'on tire de la personnalité résultent de la seule nécessité pratique et on peut tout aussi bien les rattacher au simple contrat d'association. Pourquoi, en effet, alors que la loi admet tant de contrats divers, n'admettrait-elle pas celui-ci? Pourquoi les associés, capables individuellement, ne jouiraient-ils pas, dans l'association, du même traitement que dans la société civile ou la communauté qui en sont si proches ? Pourquoi un être fictif serait-il nécessaire dans le premier cas, alors qu'il ne l'est pas dans les autres (*)?

La vérité est que le code n'a rien dit de semblable: on calomnie nos lois en leur faisant dire pareille absurdité. L'association n'étant pas traitée par elles d'une manière expresse, il s'ensuit qu'il faut se référer à l'art. 1107 C. civ. Ce sera un contrat innommé qui sera régi par les dispositions générales du titre des contrats (3), et, de même que l'échange

(1) Vareilles-Sommières, Contrat d'association, p. 40; Van den Heuvel, p. 163. (2) Vareilles-Sommières, Réforme sociale, 1er mars 1901, p. 345, 352 s., extrait de la Revue de Lille, 1900.

(3) La théorie du contrat innommé se retrouve chez M. Guillouard. La différence du contrat d'association et du contrat de société réside dans l'absence de but lucratif; il est régi par les règles du contrat nommé le plus voisin; les associés sont capables individuellement. Au regard des tiers, l'associé est seul propriétaire ou créancier, mais dans ses rapports avec les associés, il devra partager. Quant aux actions, elles seront intentées par ou contre celui qui aura stipulé. Guillouard, Traité du contrat de société, Paris, 1891, p. 111. D'autre part, MM. BaudryLacantinerie et Colin, tout en admettant l'existence de la personnalité fiction, en font un mélange singulier avec la théorie du contrat innommé : ils concèdent à l'association un actif social indivis entre les associés et soustrait à l'art. 815 en vertu du contrat intervenu. Ils vont même jusqu'à admettre la validité des clauses de réversion et d'adjonction (Baudry-Lacantinerie, et Colin, op. cit., p. 143). On se demande, après cela, ce qui reste de l'incapacité résultant de l'inexis

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