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société civile: le but, d'abord, est différent la société est basée sur le désir du gain; l'association, au contraire, est basée sur le désintéressement. Les associés ne poursuivent pas leur intérêt propre et dans la société musicale donnée en exemple on ne peut contester que les associés n'ont aucun intérêt personnel: la récompense accordée à la société ne les eût point enrichis et, par conséquent, s'ils réclament des dommages-intérêts au soliste défaillant, ils seront basés, non sur le manque à gagner, mais sur le préjudice causé à la réputation de la société. Ce n'est qu'un intérêt moral qui n'appartient même pas à chaque membre individuellement, car alors il faudrait dire que le dissident s'est porté tort à lui-même puisqu'il faisait aussi partie de la société. Quant à lui réclamer le remboursement des impenses faites, c'est également impossible, car il serait en droit d'y répondre par une demande reconventionnelle en licitation des instruments à l'achat desquels il a coopéré.

C'est du reste ce que disent les articles 1832 et 1833 qui font de l'intérêt commun des associés, de la recherche et du partage des bénéfices la condition essentielle de la société. Il est arbitraire de choisir parmi les règles de ce contrat celles qui sont commodes à appliquer et de rejeter les autres. Il faudrait les appliquer toutes et alors aussi bien les règles de défiance que les autres et peut-être encore plus, car on ne peut soutenir que le législateur voie les associations d'un œil favorable. L'argument tiré de la vente pour prouver que l'absence d'un élément du contrat ne le rend pas nul, ne porte pas, car s'il est bien vrai que, si de la vente on retire le prix, il reste une donation, du moins personne ne soutiendra qu'on doive appliquer à celle-ci les règles de la vente. Et du reste, où trouve-t-on ce prétendu principe que le contrat innommé se règle par les dispositions du contrat nommé le plus voi

sin? S'il en était ainsi, le législateur eût-il donc eu besoin de traiter expressément de l'échange au lieu de le laisser parmi les contrats innommés?

D'autre part, en demandant actuellement l'assimilation des associations aux sociétés civiles, M. de Vareilles demande, en fait, de leur accorder la personnalité civile, car la jurisprudence est formée en ce sens. Nous savons bien qu'il proteste, qu'il nie cette personnalité dans les sociétés aussi bien que dans les associations; mais la jurisprudence n'ayant pas cru que les dites sociétés puissent vivre sans personnalité, il est certain qu'elle l'accorderait aux associations si elle faisait l'assimilation réclamée.

Nous croyons, du reste, que l'article 1860 n'a pas le sens que lui prêtent MM. Mongin et de Vareilles-Sommières : il se borne à poser une exception à l'article 1859 en vertu duquel les associés sont censés s'être donné mutuellement le pouvoir d'administrer et à dire que l'aliénation ne rentre pas dans ce pouvoir. Réserver le fonds social aux seuls créanciers de l'ensemble des associés, c'est leur donner un droit de préférence sur certains biens de leurs débiteurs. Or c'est un principe connu qu'il n'y a pas de privilège sans texte. Nous dirons la même chose de la non-compensation que l'on prétend aussi tirer de cet article. Enfin, en limitant les droits des créanciers personnels de l'associé, on contredit l'article 1166 permettant à un créancier d'exercer les droits et actions de son débiteur, id est, dans l'espèce, demander le partage du fonds social pour saisir ensuite la part attribuée à son débiteur.

Quant à la comparaison avec la communauté, elle est encore moins exacte, et tout le monde sait qu'il y a, entre la société et la communauté, des différences relatives à la naissance, à l'extinction et aux règles qui gouvernent ces deux

contrats. C'est même là une comparaison banale et traditionnelle dans tous les cours de droit civil. Argumenter de la communauté à l'association, c'est donc, de parti pris, s'exposer à une foule d'erreurs et de confusions.

Du reste, quand M. de Vareilles assimile l'association à la société et dit qu'elle se dissoudra de la même manière, notamment par la volonté d'un seul si elle est à temps illimité, il ne livre que la moitié de sa pensée; quant à l'autre moitié, il faut aller la chercher à la fin de son ouvrage sur le «< Contrat d'association ». Là, il préconise l'emploi des deux clauses de réversion et d'adjonction, et il conseille, en pratique, de former la société pour un temps limité, enfin d'éviter la cause de dissolution qu'il faisait sonner si haut dans le début de l'ouvrage ('). De sorte que l'association se trouve, en fait, sinon en droit, être perpétuelle, et que, par conséquent, le danger de la mainmorte reparaît. Mais, dit l'éminent professeur, ce ne seront pas les mêmes individus qui possèderont les biens, puisqu'ils pourront se retirer à l'expiration du temps fixé et seront remplacés par d'autres. Ce n'est pas sérieux M. de Vareilles sait bien que, ce que la loi redoute, ce n'est pas la richesse de tels ou tels individus déterminés; mais celle de l'association qui ne meurt jamais, qui est perpétuelle, comme dit Domat; ce n'est pas la puissance de tel ou tel associé, mais la puissance de l'œuvre, de l'idée que les associés incarnent et qui subsiste identique, malgré les changements de personnel. Il s'ensuit que l'argument invoqué pour justifier l'infériorité de la situation des établissements d'utilité publique, tombe, car nos associations seront tout aussi bien perpétuelles.

Mais la différence entre l'association et les associés est-elle

() Vareilles-Sommières, op. cit., p. 175 et s.

Desgranges

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justifiée? Nous croyons que non, qu'elle est, quoi qu'en dise M. de Vareilles, contraire à la véritable intention des membres et que, suivant l'expression de M. Michoud, ce qui est fictif, c'est de déclarer que les parties restent copropriétaires de l'avoir social, alors qu'elles ne veulent pas l'être. Et nous pensons que cette volonté se manifeste, non seulement quand l'acte est fait au nom de l'association, mais quand, fait au nom d'un seul ou de tous, le ou les bénéficiaires s'empressent d'en transmettre le profit à leurs co-associés. Mais, s'écrie M. de Vareilles dans sa réponse à M. Beudant, nierez-vous que celui qui a acheté aux frais de quatre personnes puisse transférer aux autres la part à laquelle ils ont droit et que ce transfert leur confère la propriété (1)? Non, si vraiment ces quatre personnes ont voulu acquérir pour elles, mais ce n'est pas le cas, et ce qui le prouvera, c'est qu'elles aussi retransfèreront le même bien à d'autres associés au préjudice de leurs héritiers et ainsi de suite. Or, dit justement Laurent, ce qui caractérise la mainmorte, c'est, d'une part, l'intention des associés d'absorber leurs propres droits et surtout ceux de leurs héritiers au profit du groupement; d'autre part, l'immutabilité du patrimoine commun lors de la retraite ou du décès d'un membre de l'association. M. de Vareilles niera-t-il à son tour que ces deux conditions ne se rencontrent en fait, sinon en droit, dans son système?

La même solution doit être donnée pour les acquisitions à titre gratuit. Nous croyons fermement que ce n'est pas prêter une folie au donateur que de soutenir qu'il a légué, non aux associés, mais à l'association, à cet être fantastique dont, suivant M. de Vareilles, il ne peut comprendre l'existence. Pour nous, c'est le faire trop naïf ou trop habile: le donateur n'a

() Vareilles-Sommières, Réponse à M. Beudant, Rev. crit., 1895, p. 248.

pas eu un instant l'animus donandi à l'égard des associés, mais à l'égard de leur œuvre et c'est à elle qu'il donne, indépendamment des personnes qui l'incarnent. Comment donnerait-il aux associés? Il ne les connaît même pas; ils changent du jour au lendemain; or la principale caractéristique de la donation, c'est qu'elle est faite intuitu personæ. M. de Vareilles soutient qu'il connaît les donataires comme associés, qu'il les aime collectivement (') : nous répondrons qu'il ne les aime alors que comme représentants de ce fantôme qu'est l'association; et, même en admettant l'opinion de notre adversaire, on n'a pas le droit de dire que le donateur aime mieux les associés actuels que les associés futurs s'il aime les donataires comme associés, il aime tous ceux qui remplissent ou rempliront cette condition, c'est donc à tous ceux-là qu'il donne et il nous semble alors que la libéralité est faite à des personnes incertaines; en réalité, c'est plutôt une simple pollicitation qui ne peut être acceptée, faute de détermination actuelle, par une partie de ceux à qui elle est adressée. Et si l'on admet que la libéralité s'adresse d'abord aux associés actuels, c'est que, dans l'esprit du donateur, elle devra être communiquée aux associés de l'avenir, grâce aux clauses de réversion et d'adjonction qu'il a parfaitement soupçonnées et sans lesquelles il n'aurait pas donné : nous défions M. de Vareilles de soutenir que les associations recueilleraient la centième partie des libéralités qu'elles reçoivent, si l'on croyait que les dons ou legs iraient aux héritiers des associés.

Il y a donc là, de la part du donateur, l'intention de créer une mainmorte et la donation doit, même si l'on admet que les associés seuls existent à l'exclusion de l'être moral, être annulée comme ayant une cause illicite. Mais, proteste M. de

(1) Vareilles-Sommières, Contrat d'association, p. 50.

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