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Vareilles, la perpétuité de l'association ne prouve pas que les associés ne sont pas les vrais donataires : ils jouiront de la libéralité leur vie durant et ils exerceront le droit de propriété. Singulière propriété qui ne leur permet, en fait, que le droit d'usage et l'obligation de léguer à leurs co-associés, sans pouvoir ni vendre, ni donner, ni constituer de droits réels pour leur avantage particulier, ni même laisser à leurs héritiers naturels les biens censés leur appartenir? Ce serait une propriété incertaine et variable dans son étendue et temporaire, puisqu'elle s'éteindrait à la mort, tout en étant transmissible entre vifs par des actes d'aliénation. Est-ce donc là la propriété du code?

Mais enfin, dit notre adversaire, peut-on soutenir que si je donne à quatre savants pour faire des recherches, ils n'en profitent pas, et que, seul, en bénéficie l'être moral? Cette objection résume toute la théorie de M. de Vareilles, c'est une perpétuelle équivoque entre la capacité de quatre personnes déterminées et celle d'une association illimitée, et comme nombre, et comme durée. Certes oui, dans l'exemple donné, ce sont les savants qui sont les vrais donataires et, en conséquence, le don à eux fait suivra le sort commun de tous leurs autres biens, notamment il passera à leurs héritiers; mais si je donne à une société savante perpétuelle, peut-on soutenir que les héritiers des savants actuels profiteront de ma libéralité? De même s'il s'agit d'une de ces sociétés qui se proposent la publication des œuvres de leurs membres ou d'une société charitable, associations à but indéfini, dans lesquelles, par essence, les associés n'ont aucun droit sur l'actif. Il y a donc là une différence très grande qu'au surplus nous expliquerons plus loin.

Le dernier argument de M. de Vareilles, c'est qu'il s'agit ici d'un legs avec charge et que ce legs est toujours vala

ble (1). Mais, d'abord, on peut soutenir que la charge de constituer une mainmorte est illicite et qu'elle entraînera l'annulation du legs, puisqu'ici la charge est la condition déterminante. D'autre part, nous croyons que si tout ou presque tout l'intérêt du legs s'adresse, non pas au légataire apparent, mais à d'autres personnes, ce seront celles-ci qui seront les véritables légataires, même en admettant que le premier retire de la libéralité un très léger avantage si je donne à un ami 100.000 francs, à charge d'en rendre 99.950 à mon fils adultérin, soutiendra-t-on que c'est à mon ami que j'ai véritablement légué? Disons le mot, il n'est là qu'une personne interposée; la propriété qui réside sur sa tête est toute nominale et il n'y a nul doute que la libéralité sera annulée. Or, nous sommes ici exactement dans la même situation.

:

Il faut être net si M. de Vareilles assimile avec tant de soin l'association à la société, c'est pour rendre les associés capables, mais ensuite tous ses efforts tendent à absorber les droits des associés dans ceux de l'association ou, comme il le préfère, dans ceux de l'ensemble des associés. Or, nous le demandons, cet ensemble des associés qui possède seul la véritable propriété à l'exclusion des individus, est-il donc si différent de l'être fantastique dont M. de Vareilles se moque si agréablement ? Et au point de vue visé par le législateur, à savoir la crainte de la main morte, qu'importe que les biens soient à ce fantôme ou à l'ensemble des associés si le résultat est le même ?

Enfin, il y a une dernière objection. Il nous semble que l'on fait ainsi dans le patrimoine de l'associé deux parts, l'une dont la propriété entière lui demeure, l'autre dont la propriété effective passe à l'ensemble des associés tout en reposant

(1) Vareilles-Sommières, op. cit., p. 39.

nominalement sur sa tête. Or, dans cette voie du morcellement de la propriété, il n'y a pas de raisons pour s'arrêter : on pourra donc ainsi découper dans le patrimoine d'une personne une foule d'autres petits patrimoines secondaires suivant les divers points de vue auxquels on peut envisager le rôle de cette personne dans la société et qui finiront par rendre impossible l'exercice pur et simple de la propriété individuelle.

Nous rejetons donc absolument la théorie du contrat d'association comme reposant sur une assimilation inexacte et contredisant la véritable volonté des associés.

Nous ajouterons, pour terminer, qu'elle est contraire à la tradition, car les Romains, et après eux notre ancien droit, nous croyons l'avoir prouvé, ont toujours distingué avec soin la propriété de l'universitas ou de la communauté de celle des associés ut singuli.

SECTION III

DU PROCÉDÉ DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

Il faut maintenant dire quelques mots d'un procédé très employé dans la pratique et préconisé par certains auteurs.

L'association ne peut vivre comme telle, c'est entendu; mais ne peut-elle vivre comme société civile ? Autrement dit, si, au lieu de fonder une association, les associés se constituent en société, soit civile, soit commerciale, ne pourront-ils y trouver le moyen de vivre sous l'empire du droit commun? De la sorte, inutile de demander, pour se former, l'autorisation de l'Etat, car les sociétés se forment librement, sauf les conditions de publicité exigées; inutile également de demander la reconnaissance d'utilité publique qui serait peut-être refusée et qui, en tout cas, soumettrait l'association à une

certaine surveillance en même temps qu'elle limiterait sa capacité.

L'adoption de la forme société suffira à permettre de posséder des biens en commun sans les garder dans l'état d'indivision qui peut offrir des inconvénients. D'autre part, la jurisprudence reconnaît maintenant la personnalité des sociétés civiles; quant à celle des sociétés à forme commerciale, elle n'est pas contestée; par conséquent, il y a là un moyen d'obtenir la personnalité refusée. La loi du 24 juillet 1867 a semblé favoriser ces combinaisons en permettant la constitution de sociétés à personnel et capital variables, qui ressemblent sur plus d'un point à nos associations. D'autre part, à l'objection que manque la recherche des bénéfices, on répond que, si elle n'existe pas au sens habituel du mot, il y a en tout cas économie réalisée sur les dépenses que chacun aurait dù faire individuellement pour parvenir au but poursuivi cette économie représente un véritable bénéfice qui se répartit entre les associés. Ensuite, on peut se demander si l'usage d'une chose en commun ne suffit pas pour constituer ce bénéfice. Enfin, rien n'empêche, pour se mettre absolument en règle avec la loi, de répartir périodiquement entre les associés une très légère somme d'argent représentant ces bénéfices, qui sont, parait-il, si essentiels à la validité de la société (').

Nous estimons pour notre part qu'il n'y a là, tout au plus, qu'un moyen détourné de faire vivre l'association. La recherche et le partage des bénéfices sont pour nous les conditions. nécessaires à l'existence d'une société : or l'économic réalisée n'est pas effectivement partagée; d'autre part, dans l'usage en commun, il ne peut non plus y avoir partage de bénéfices.

(1) Planiol, Droit civil, II, p. 621; Dain, Delassus, p. 293; Vareilles-Sommières, op. cit., p. 160.

Quant au moyen proposé qui consiste à distribuer des apparences de bénéfices, il est certain qu'il n'y a là qu'une fiction et que ce n'est pas le but des associés : or, cette recherche et ce partage du gain doivent être, d'après les articles 1832 et 1833 le but principal, la raison d'être de la société. Du reste, le résultat que l'on cherche à obtenir et qui est, en fait, d'éluder l'incapacité édictée par la loi, ne suffit-il pas à faire condamner l'emploi de tous ces moyens? Fraus omnia corrumpit. Et si le contrat d'association est, comme on le dit, prohibé par le code pénal, comment le contrat, qui lui servira de voile, et de voile transparent, pourra-t-il être licite? Si le législateur a vraiment prohibé aussi énergiquement la création de personnes morales par les particuliers, c'eût été grande folie et singulier oubli de sa part que d'avoir permis de tourner aussi facilement ses défenses. Mais cela est inadmissible et s'il y a là vraiment une règle d'ordre public, les conventions des particuliers n'y sauraient déroger.

Au surplus, si, comme on le dit, l'Etat concède aux citoyens qui forment une société civile ou commerciale le droit de créer une personne civile, c'est à la condition qu'il s'agisse bien, dans la réalité, de ces contrats; qu'on y rencontre leur condition essentielle, c'est-à-dire, l'intention de s'enrichir. Dès que ce caractère vient à manquer, nous ne sommes plus en présence des conditions prévues par la loi. Dès lors, les conséquences ne peuvent plus être appliquées : Cessante causa, cessat effectus.

La question s'est posée dans la pratique à diverses reprises et notamment, dans ces derniers temps, pour la Société spirite. La jurisprudence a jugé à deux reprises qu'il n'y avait là qu'une association déguisée (Bordeaux, 20 juillet 1893 et Cass., 29 oct. 1894, D., 96. 1. 145, S., 95. 1. 65, et Paris, 14 fév. 1901). Les motifs des arrêts sont très explicites, la Cour de

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