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Bordeaux dit expressément : «< Attendu qu'une association qui » n'a pas le lucre pour but ne constitue pas une véritable » société... Attendu qu'il est de principe que le caractère » d'une société se détermine, non par sa forme ou sa déno>>mination, mais par la nature même de ses opérations ou de >> l'objet qui la constitue... Attendu que, malgré des change»ments fréquents de dénomination, les statuts de la société » n'ont pas été sensiblement modifiés et qu'il résulte que la » société do spiritisme qui n'a pas en vue des bénéfices à » partager, constitue, non une société, mais une simple asso>>> ciation... »

Et la cour de cassation rejeta le pourvoi de la société spirite : « Attendu qu'une association qui n'a pas pour but la recher» che de bénéfices à partager entre les associés n'est pas une » société... » Dans sa note au Sirey, M. Lyon-Caen approuve la jurisprudence et fait observer que l'argument tiré de la loi de 1867 ne porte pas, parce que les travaux préparatoires démontrent qu'il ne s'agissait alors que des sociétés de coopération.

CHAPITRE II

JURISPRUDENCE

Nous venons de voir quelle est, dans la doctrine, la condition des associations simplement autorisées, nous devons maintenant examiner la façon dont elles fonctionnent dans la pratique. Si l'on en croyait les théoriciens, l'association ne pourrait pas vivre du tout, ou bien on se rejette dans l'excès contraire et on leur fait une situation plus favorable qu'à celles reconnues d'utilité publique. Fort heureusement, la jurisprudence s'occupe des faits et des nécessités de la pratique beaucoup plus que des raisonnements a priori et elle a construit un système fort intéressant qui date d'une soixantaine d'années environ. Certes, tout n'est point parfait dans cette jurisprudence, nous serons des premiers à en montrer les défauts et à la proclamer incomplète, mais nous savons que le progrès ne s'accomplit que par lentes gradations, et cela surtout en matière juridique.

Toujours est-il qu'il existe aujourd'hui une jurisprudence très bien établie et qui fait, dans nos associations, deux grandes divisions; pour les premières, elle applique la théorie classique, en principe du moins; pour les autres, elle a créé une situation intermédiaire entre la personnalité complète et l'inexistence, situation qu'elle nomme généralement « individualité ». Cet état confère aux associations qui en sont pourvues certains des avantages résultant ordinairement de la per

sonnalité civile. Ce sont les associations formées dans un but d'intérêt général et avec l'adhésion de l'autorité publique.

Nous allons examiner cette jurisprudence en distinguant entre les deux classes d'association; puis, dans chaque classe, nous étudierons la capacité au triple point de vue :

De l'action en justice,

Des contrats à titre onéreux,

Des contrats à titre gratuit.

Il est bien entendu que, restant dans les limites que nous nous sommes tracées dans notre introduction, nous laisserons de côté les arrêts intéressant des congrégations.

SECTION I

ASSOCIATIONS DÉPOURVUES D'INDIVIDUALITÉ

Voyons donc quel est le sort que la jurisprudence fait aux associations dépourvues d'individualité. En principe, nous l'avons dit, elle suit la théorie classique, mais, comme son application rigoureuse rendrait complètement impossible la vie de ces sociétés, les magistrats emploient différents détours que nous allons maintenant étudier.

L'inconvénient le plus grave du défaut de personnalité et, naturellement, celui qui se présente le plus souvent devant les tribunaux, c'est l'impossibilité d'ester en justice tirée de la règle « nul ne plaide par procureur ». L'affaire se présente généralement sous cette forme: un associé refuse, par exemple, de payer ses cotisations, afin de ne pas faire des frais énormes en mettant tous les membres de la société en cause, le président agit seul, l'associé lui répond en opposant la fin de non-recevoir tirée de la maxime « Nul, en France, ne plaide par procureur, hormis le roi ».

Quels moyens la jurisprudence a-t-elle trouvés pour éviter

l'iniquité flagrante qui résulterait du défaut de poursuites, ou la nécessité des frais entraînés par la mise en cause de tous les associés, frais qui absorberaient, et au delà, l'intérêt du litige? Les décisions, nous l'avons dit, sont nombreuses : deux cas peuvent se présenter ou bien le président, administrateur, gérant, etc... de l'association a reçu un mandat exprès d'agir en justice, ou bien les statuts sont muets sur la question.

La solution dépend de celle que l'on doit donner à la question préjudicielle qui se pose de savoir si la maxime << Nul ne plaide par procureur » est d'ordre public ou non, et si, par suite, il est loisible d'y renoncer valablement. Sur ce point, la jurisprudence est très ferme et de nombreuses décisions ont proclamé que c'est là une règle d'ordre privé : on pourra donc renoncer à faire valoir cette exception devant la justice. Il en résulte encore que l'exception doit être opposée dès le début du procès, in limine litis (Cass., 24 nov. 1875, D., 76. 1. 115, S., 76. 1. 166. Cass.,

Cass., 27 janv.

29 nov. 1879, D., 80. 1. 85, S., 80. 1. 56. — 1890, D., 90. 1. 148. Paris, 10 nov. 1894, D., 95. 2. 118). Cela étant, si dans les statuts de l'association il a été inséré une clause formelle, conférant à quelques-uns des associés le droit d'agir en justice dans l'intérêt de tous, l'adhésion auxdits statuts vaudra renonciation à la fin de non-recevoir tirée de la règle « Nul ne plaide par procureur »>.

Par suite, l'associé actionné par le représentant ne pourrait valablement soutenir que ce dernier n'a point qualité. Ainsi jugé par la cour de cassation, le 29 novembre 1879, sur pourvoi interjeté contre un arrêt de la cour de Nancy un sieur Barbier avait été actionné par le président du Cercle littéraire de Saint-Dié en paiement de cotisations. Sur la fin de non-recevoir opposée par Barbier, la cour de Nancy,

confirmant le jugement de première instance, lui donna raison. La cour de cassation cassa cet arrêt en disant que, par son adhésion aux statuts, Barbier avait valablement renoncé à opposer la maxime « Nul ne plaide par procureur » (Cass., 29 nov. 1879, D., 80. 1. 85, S., 80. 1. 56). La même solution a été donnée par la cour de Paris à propos d'une association de propriétaires (Paris, 10 nov. 1894, D., 95. 2. 118).

Mais que doit-on décider lorsque les statuts ont gardé le silence? La jurisprudence parait en venir aujourd'hui à présumer la renonciation à l'exception : « Nul ne plaide par procureur » par le seul fait de l'adhésion aux statuts lorsque ceux-ci confèrent au président le pouvoir d'assurer le recouvrement des cotisations des associés, sans même qu'il soit question de l'action en justice. C'est ce que décida la cour de cassation, au rapport du conseiller Lardenois, le 27 janvier 1890 à propos d'une association en révision du cadastre (Cass., 27 janv. 1890, D., 90. 1. 148). Cependant, un récent jugement du Tribunal de la Seine, en date du 22 janvier 1901, semble revenir sur cette jurisprudence en refusant qualité au caissier du Grand Cercle républicain pour réclamer le paiement des cotisations. En dehors de ce cas, la jurisprudence admet encore la possibilité de l'action en justice lorsqu'il y a mandat spécial donné par les associés ou lorsque l'obligation dont on demande l'exécution est indivisible.

Le premier cas s'est présenté à l'occasion du paiement de cotisations dues au cercle de Montbard par les sieurs Giffard et autres. Poursuivis par le président comme mandataire de tous les membres, ils furent condamnés et leur pourvoi rejeté par la cour de cassation: « Attendu que si le cercle » n'a constitué qu'une réunion d'individus se cotisant pour » des dépenses communes, il n'est résulté de là pour les

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