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approuvés par l'autorité publique. La jurisprudence voit un intérêt général dans « l'arrosage et la fertilisation du terri>>toire voisin » (Sociétés d'arrosage), dans « le but patrioti» que de préparer à l'armée des soldats plus souples » (Sociétés de gymnastique); dans le but de contribuer à l'amélioration de la race chevaline (Sociétés hippiques); enfin, pour les comices agricoles, l'arrêt de Besançon se base sur la loi du 21 mai 1851, art. 5, qui, en échange de l'autorisation administrative, a imposé aux comices des obligations déterminées, qui leur a donné la mission spéciale et permanente de défendre les intérêts agricoles et en a donc ainsi reconnu expressément le but d'intérêt général.

Quant aux circonstances d'où résulte l'adhésion de l'autorité publique, nous avons vu que l'arrêt de 1859 les estime suffisamment caractérisées par les décisions autorisant la formation de la société ; pour les sociétés de courses, on se base sur ce qu'elles sont autorisées par le ministre après avis du conseil supérieur des Haras et que leur budget est soumis au contrôle des ministres de l'agriculture et des finances. Enfin, la loi du 2 juin 1891 sur le pari mutuel est venue leur donner une consécration quasi-officielle. Dans l'affaire de la société de gymnastique <«<La Bourbonnaise », on a estimé qu'elle avait reçu l'adhésion et le concours de l'autorité » publique qui se sont manifestés soit... par l'arrêté préfectoral, soit par la remise de fusils et munitions de guerre >> par l'autorité militaire... » (Dijon, 30 oct. 1889, S., 90. 2. 16). On a donc été très large. La même cour a cru devoir aller jusqu'à reconnaître cet intérêt général et cette adhésion de l'autorité publique dans le cas d'une association de pêcheurs à la ligne. Cette intéressante société prétendait avoir droit au tarif réduit sur la ligne du P.-L.-M. La compagnie n'ayant pas voulu se laisser convaincre, le sieur Lambelin, président

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de l'Association, actionna son adversaire en remboursement du supplément de prix indûment payé. Condamnée par le tribunal de commerce de Dijon, la Compagnie interjeta appel de ce jugement en opposant notamment l'exception « Nul ne plaide par procureur ». La cour confirma: «Attendu que la >> Société de pêcheurs à la ligne... a été autorisée par un » arrêté préfectoral... Qu'aux termes des statuts approuvés » par cet arrêté, elle est fondée dans le double but: 1° de » procurer à ses membres diverses facilités en vue de l'exer»cice de leur sport favori; 2° de prêter une aide efficace à » la répression du braconnage et au repeuplement des cours » d'eau de la région... ». Elle ajoute aussi que l'Etat a subventionné la Société et même a commissionné ses gardepêche. Nous avouons cependant que l'intérêt général distinct de celui des membres ne nous apparaît pas bien nettement ici (Dijon, 15 mars 1899, D., 99. 2. 199. Pour les comices agricoles, il y a eu hésitation: l'arrêt du 30 janvier 1878 (D., 81. 1. 300) y voit des associations civiles indépendantes de l'administration, mais l'arrêt de Besançon, le plus récent (29 mars 1899, D., 1900. 2. 401), a estimé a estimé que l'autorisation et la loi du 21 mai 1851 étaient suffisantes pour constituer l'adhésion de l'autorité publique. Dans un cas, la cour de cassation a même admis que la prescription pouvait créer une autorisation de ce genre: « Attendu qu'il est constaté... >> que l'association des arrosants de Camp-Mayor existe de >> temps immémorial; qu'elle a fait des travaux d'intérêt » général et qu'elle a toujours été représentée par ses syn» dics... Attendu que dans cet état des faits, cette association, qui représente un intérêt collectif, doit être considérée » comme ayant une existence légale et suffisamment autori» sée ; que, dès lors, elle a pu agir judiciairement en la per» sonne de ses syndics... » (Cass., 6 juillet 1864, D, 64. 1. 424, S., 64. 1. 327).

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Cependant, à deux reprises, la jurisprudence a refusé le caractère d'association d'intérêt général à des sociétés qui, nous semble-t-il, auraient dû entrer dans cette catégorie. La première fois, il s'agissait de la construction d'un canal du Rhin à la Sarre: la cour de Colmar (5 juillet 1864, S., 65. 2. 16) refuse l'individualité quoique reconnaissant le but « fort honorable et très patriotique » de l'association. La seconde fois, il s'agissait d'une compagnie de sapeurs-pompiers (Cass., 24 nov. 1875, D., 76. 1. 115, S., 76. 1. 166) et, quoi qu'en dise M. Planiol ('), nous croyons bien que c'est là ou jamais le cas d'une association non égoïste, d'autant plus qu'il appert des faits de la cause que la compagnie dont s'agit avait d'abord été constituée comme corps de garde nationale. Il nous semble donc qu'il y avait là, à la fois, l'intérêt public et le concours de l'Administration.

Quelle est la situation de ces sociétés pourvues d'individualité au point de vue des contrats à titre onéreux ? La jurisprudence est à peu près muette sur la question, du moins dans le domaine des faits. Les deux premières décisions rendues à ce propos sont même complètement opposées' au principe de l'individualité. Elles ont été rendues à propos d'un comice agricole. Le tribunal civil de Coutances applique strictement la théorie classique il déclare que le comice n'a aucune existence morale ou civile; qu'il n'est, par suite, capable ni de posséder un actif quelconque, ni d'agir « pour >> contraindre qui que ce soit à verser une somme quelconque, » dans une caisse sans maîtres et sans comptable légal »; que les cotisations sont des contributions volontaires qui n'ont pu être faites en faveur d'une association inexistante, par suite, personne n'a d'intérêt à les réclamer puisqu'elles ne

(1) Planiol, Droit civil, I, n. 287.

doivent pas entrer comme propriété entre les mains des gérants ni dans la caisse d'une association qui n'existe pas (Coutances, 16 juin 1875, D., 80. 1. 300). La cour de cassation cassa ce jugement en s'appuyant sur le principe de l'indivisibilité : c'était donc la théorie que nous avons exposée à propos des associations de la première catégorie (Cass., 30 janv. 1878, S., 78. 1. 265, D., 80. 1. 300).

Cependant, le jugement du tribunal de Langres (5 décembre 1888, S., 89. 2. 175), en séparant les intérêts de « la Bourbonnaise » de ceux des associés et en décidant que le créancier de la société devait agir contre le président ès qualités, semble bien reconnaître que la dette est celle de l'association et, et en aucune façon, celle des sociétaires. Depuis, la théorie s'est précisée : le rapport du conseiller Greffier, à l'occasion d'une société hippique, reconnait l'individualité à cette société et la déclare capable d'être représentée aussi bien pour les contrats que pour l'action en justice (Cass., 25 mai 1887, D., 87. 1. 289, S., 88. 1. 161). Qu'est-ce à dire, sinon que le contrat sera passé avec l'association par l'intermédiaire de son gérant, abstraction faite des associés? Le rapport du conseiller Cotelle, à propos d'une société hippique également, le dit formellement « les associations sont ainsi » pourvues d'un degré de vitalité qui leur permet de fonc» tionner dans l'ordre des opérations en vue desquelles elles » ont été formées; de passer des contrats, de soutenir des » procès, d'assumer des responsabilités » (D., 94. 1. 81, S., 94. 1. 129).

Au point de vue des contrats à titre gratuit, nous avons un arrêt célèbre celui rendu contre la Société hippique de Cavailhon. Un sieur Roulet avait légué à ladite société un domaine dont les revenus devaient servir à fonder un prix. La délivrance du legs fut faite par le légataire universel,

mais, plus tard, il assigna la société en nullité du legs devant le tribunal civil d'Avignon en s'appuyant sur ce que la société était dépourvue d'existence légale. La cour de cassation, au rapport du conseiller Cotelle, disant que la «< vitalité relative » accordée à l'association n'était pas une personnalité complète entraînant la capacité de recevoir à titre gratuit, rejeta le pourvoi formé contre l'arrêt confirmatif de Nîmes. (Avignon, 17 nov. 1891, D., 93. 2. 490. — Cass., 2 janv. 1894, D., 94. 1. 81, S., 94. 1. 129).

Telle est la théorie de l'individualité son origine repose sur une erreur, dit M. Planiol (1); l'arrêt de 1844 aurait confondu l'autorisation préfectorale avec la déclaration d'utilité publique et assimilé l'association autorisée à un établissement public.

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Quoi qu'il en soit, les avantages que confère l'individualité sont réels ils comprennent le droit d'agir en justice par procureur et celui de passer des contrats, d'administrer au nom de l'association. Il ne reste, avec la personnalité civile telle qu'on la comprend actuellement, qu'une seule différence. Il est vrai qu'elle est grande: l'association pourvue d'individualité n'a pas la capacité d'acquérir à titre gratuit. C'est donc là une situation intermédiaire entre l'inexistence et la personnalité parfaite.

Que faut-il penser de cette création de la jurisprudence? Presque tous les auteurs y sont défavorables (*). Il reconnaissent bien qu'elle peut présenter des avantages; son utilité pratique n'est pas contestée, mais la faveur qui s'attache au but des associations gratifiées de l'individualité ne peut

(1) Planiol, Droit civil, I, p. 290; note sous Besançon, D., 1900. 2. 401. (*) Rousse, p. 101; Delassus, Guillouard, op. cit., p. 51; Lyon-Caen et Renault, Droit commercial, II, p. 99; Lyon Caen, note sous Cass, S., 88. 1. 161 et S., 94. 1. 129; Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, I, p. 207; Baudry-Lacantinerie et Wahl, op. cit., p. 311. V. aussi Dain et Tournon.

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