Page images
PDF
EPUB

La cause de l'acte du 12 prairial porte donc avec elle un caractère de réprobation; elle est immorale en ce qu'elle tend à dégrader des fonctions qui sont dans le cœur et dans l'obligation naturelle des enfans.

Or, s'il n'existe pas de cause légitime, les prétendus services ne sont qu'un prétexte à la faveur duquel les parens ont fait une donation; mais toute donation entre vifs doit être passée devant notaire à peine de nullité. (Art. 931.)

[ocr errors]

Fût-elle rémunératoire, elle ne serait pas affranchie des formes ordonnées par l'article 931, où il est dit «< tous actes portant donation entre-vifs. »

La loi n'admet aucune distinction, non qu'elle méconnaisse les donations rémunératoires, puisqu'elle les rappele dans l'article 960, mais parce qu'elle les soumet, par la disposition générale de l'article 931, à une règle commune à toute espèce de donation entre

vifs.

Donc, à envisager l'écrit du 12 prairial an 12 comme portant donation rémunératoire, il serait nul aux termes de l'article 931.

D'après la nature des services, non d'ailleurs justifiés, et qui ne peuvent être considérés que comme des offices de piété filiale, l'acte du 12 prairial ne présente pas même le caractère d'une donation rémunératoire c'est une pure libéralité exercée, nullo jure cogente; et, en supposant que la loi puisse tolérer, au mépris de la dette dont les enfans sont chargés envers leurs père et mère, un traité, une

convention pour des services, il faudrait encore dire que, pour les dix années antérieures au 12 prairial an 12, il y a pure libéralité, puisqu'il n'existait jusqu'alors aucun lien de droit, et que les choses restaient dans les termes des devoirs d'affection réciproque entre les parens et la fille.

Quant aux années subséquentes, les principes qui repoussent un semblable traité ̧ ont été suffisamment établis ci-dessus.

Voilà donc un avantage indirect, coloré d'une cause reprouvée ; cet avantage est sujet à rapport (art. 843), puisqu'il n'en est pas dispensé; c'est le fruit de l'importunité et du vil intérêt de la fille; car si ses parens avaient eu l'intention sérieuse de lui donner, ils auraient pris la forme tracée par le code, et n'auraient pas manqué de l'exempter de l'obligation du rapport.

Ils savaient trop combien elle avait profité de sa demeure dans la maison paternelle où elle s'était créé un riche pécule.

C'est en vain que l'on veut opposer un arrêt de la cour de cassation du 31 octobre 1809, qui décide que l'on n'est pas recevable à attaquer une donation déguisée sous les formes d'un contrat onéreux, lorsque le donateur n'est assujéti à aucune réserve.

Cette décision n'a aucune analogie avec l'espèce qui se présente; et d'ailleurs il a été reconnu par un arrêt (*) de la cour impériale de Bruxelles, du

(*) Cet arrêt est annoté au présent recueil, 2. volume de 1812, pag. 14 et suiv.

30 mai 1812, que le principe adopté par la cour suprême était sans application, quant au rapport; qu'il suffisait qu'il y eût donation déguisée pour assujétir le donataire successible à rapporter, par la raison que l'article 843 du code soumet à cette obligation tout avantage, soit direct, soit indirect.

C'est actuellement le lieu de répondre à une objection tirée de l'article 853 du Code Napoléon.

Suivaut cet article, les profits que l'héritier a pu retirer de conventions passées avec le défunt ne sont pas sujets à rapport, si ces conventions ne présentaient aucun avantage indirect lorsqu'elles ont été faites.

Ainsi un père afferme ses biens à son fils; si ce dernier est marchand de vins ou de grains, il lui vend le produit de ses récoltes, il lui vend un héritage; tous ces actes sont affranchis du rapport, s'il ne paraît pas qu'ils aient été faits pour l'avantager, et que dans le fait le fils n'a retiré de ces conventions que les profits autorisés dans les transactions commerciales; car la loi ne défend pas aux père et mère de contracter légitimement avec leurs enfans.

1

Dans ces cas, et plusieurs autres semblables, rien ne sort du patrimoine des parens; ils ne donnent rien, et tel est le sens de l'article 853; mais lorsque les parens assurent, à un de leurs enfans, une somme, sous prétexte de rétribuer ses services, ils ́exercent une libéralité, parce que l'enfant n'avait

F

aucune action contr'eux, et que si l'on écoutait de pareils prétextes, la loi de l'égalité serait impuné ment violée; et le patrimoine des parens appartiendrait à celui qui, sous les apparences d'une tendresse filiale, se menagerait, en prolongeant sa demeure chez ses père et mère, et par des vues intéressées, les moyens d'établir sa fortune aux dépens de ses frères et sœurs.

Ces réflexions suffisent pour faire connaître que l'article 843 est étranger à un acte de la nature de celui du 12 prairial an 12; les parens riches ne louent pas le service personnel de leur fille, et si elle leur est de quelqu'utilité, ses soins sont largement compensés par les douceurs et les avantages qu'elle reçoit dans la maison paternelle; en un mot, faire d'une demoiselle qui vit chez ses père et mère un domestique à gage, est offrir une idée révoltante, et dénaturer les devoirs et les sentimens des enfans envers les auteurs de leurs jours.

Les père et mère Butte voulaient-ils faire un préciput à leur fille: le code leur en donnait le moyen ; mais ce qu'ils pouvaient faire, ils ne l'ont pas fait; donc, et on doit d'ailleurs le présumer d'après la loi, ils n'ont pas voulu le faire; en tout cas, ce qu'ils ont fait est nul.

Catherine Butte puisait sa défense dans des considérations prises de faits, et par des moyens tirés

du fond.

Ses parens, fort avancés en âge, avaient besoin d'un appui, ou plutôt de secours que l'on ne trouve

réellement que dans les personnes qui les procurent par affection.

Elle fit, à leur demande, le sacrifice du plus beau temps de sa vie, en se résignant au célibat pour soulager leur vieillesse, tandis que tous ses frères et sœurs étaient établis, et avaient reçu en dot (*) des sommes dont l'intérêt balance ce qui lui a été accordé par l'acte du 12 prairial an 12.

Il était bien naturel qu'elle fût indemnisée, nonseulement de ses soins et de ses travaux, mais encore de la résolution que ses parens lui avaient fait prendre, et cette indemnité lui était promise; elle était d'autant plus équitable que, suivant l'expression de l'acte du 12 prairial an 12, elle tenait lieu d'une personne étrangère qu'il eût fallu salarier.

C'est dans cet état de choses que ses parens réalisèrent la promesse qu'ils lui avaient faite d'une juste rétribution, établie dans des proportions très-modérées pour le passé et pour l'avenir.

Il est inexact d'avancer qu'il n'existait pas d'obligation pour le passé; l'obligation était dans l'engagement pris par le père et la mère envers leur fille, si elle se résignait à habiter sous le toit paternel, et à les séconder dans l'administration de leurs afque

faires, ainsi dans le ménage.

Ainsi la distinction entre les deux époques est sans fondement.

(*) Ces dots sont sujètes à rapport.

« PreviousContinue »