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No 24.

LE PRINCE DE TALLEYRAND AU ROI LOUIS XVIII.

SIRE,

Vienne, le 25 janvier 1815.

J'assistais hier à une conférence de M. de Metternich et du prince de Schwarzenberg, dont l'objet était de déterminer, d'après l'opinion des militaires autrichiens, quels points de la Saxe on pouvait et quels points on ne pouvait pas laisser à la Prusse, sans compromettre la sûreté de l'Autriche.

L'empereur d'Autriche avait voulu que cette conférence eût lieu et il avait désiré que j'y fusse.

Deux plans furent proposés :

L'un conserverait Torgau à la Saxe, sauf à raser les fortifications de Dresde;

L'autre donnait Torgau à la Prusse, mais rasé. Dresde le serait pareillement.

Dans les deux hypothèses, la Prusse conserverait Erfurt. Il fut convenu que les deux plans seraient soumis à l'empereur d'Autriche, et que, de celui qu'il aurait adopté, on ferait le sujet d'un mémoire qu'il remettrait lui-même à lord Castlereagh; car c'est Castlereagh qu'il s'agit de persuader.

La Russie a offert à l'Autriche de lui rendre le district de Tarnopol, contenant quatre cent mille âmes. L'Autriche y renonce, à condition que pareille population sera donnée à la Prusse dans la partie de la Pologne qui l'avoisine, afin de diminuer d'autant les sacrifices à faire par la Saxe. Cela sera expliqué dans le mémoire.

1. Variante: le projet.

J'ignore lequel des deux plans a été adopté; mais je sais que lord Castlereagh a dû aller ce soir chez l'empereur d'Autriche. Je rendrai compte à Votre Majesté, par le prochain1 courrier, de ce qui se sera passé dans cette audience.

Votre Majesté jugera du degré de confiance que l'empereur d'Autriche met dans son ministre, en apprenant qu'il m'a envoyé ce matin le comte de Sickingen, pour me demander si ce qui lui avait été rapporté de la conférence d'hier par M. de Metternich était la vérité.

L'empereur Alexandre, avec ses idées libérales, a fait si peu fortune ici, que l'on est obligé de tripler les moyens de police pour empêcher qu'il ne soit insulté par le peuple aux promenades qu'il fait tous les jours.

J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté un article du Beobachter, que j'ai fait rédiger par M. de Gentz. Je joins ici la traduction qu'il a faite lui-même et qui est très bien. Cet article me paraît pouvoir être mis dans le Moniteur, sous la rubrique de Vienne. Il est de nature qu'il soit utile que les autres journaux le répètent.

Je suis...

LE PRINCE DE TALLEYRAND AU ROI LOUIS XVIII.

(Particulière)

Vienne, le 25 janvier 1815.

SIRE,

Le général Pozzo paraît devoir partir cette semaine pour retourner à Paris. Il aura probablement reçu de l'empereur

1. Variante le premier.

Alexandre des ordres relatifs au mariage. Je crois devoir soumettre aujourd'hui à Votre Majesté quelques réflexions sur une matière si délicate et si1 grave sous tant de rapports.

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Votre Majesté veut et a toute raison de vouloir, que la princesse, quelle qu'elle soit, à qui M. le duc de Berry donnera sa main, n'arrive en France que princesse catholique. Votre Majesté fait de cette condition et ne saurait même se dispenser d'en faire une condition absolue. Roi très chrétien et fils aîné de l'Église, elle ne peut point porter à cet égard la condescendance plus loin que Bonaparte lui-même ne s'était montré disposé à le faire, lorsqu'il demanda la grande-duchesse Anne. Si cette condition était acceptée par l'empereur Alexandre, Votre Majesté, en supposant qu'elle ait engagé sa parole, ne se croirait sûrement pas libre de la retirer. Mais il paraît que l'empereur, sans vouloir s'opposer à ce que sa sœur change de religion, ne veut pas qu'on puisse lui imputer, à lui, d'avoir donné les mains à ce changement, comme on aurait lieu de le faire, s'il avait été stipulé. Il veut qu'il puisse être regardé comme l'effet d'une détermination de la princesse, elle seule, lorsqu'elle aura passé sous d'autres lois, et qu'en conséquence, ce changement suive le mariage et ne le précède pas. Il tient donc à ce que sa sœur aille en France avec sa chapelle, consentant toutefois à ce que le pope qui la suivra porte un habit laïque. Les raisons qui l'y font tenir sont ses propres scrupules, vu l'attachement qu'il a pour sa croyance et la crainte de blesser l'opinion de ses peuples dans un point aussi

1. Variante: aussi délicate et aussi grave.

2. Variante: Buonaparte.

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délicat. En persistant lui-même dans ces dispositions, il déliera lui-même Votre Majesté de tout engagement qu'elle ait pu prendre et lui four nira les moyens de se délier, s'il diffère de consentir à la condition mise au mariage. Or, je ne craindrai pas d'avouer à Votre Majesté que tout ce qui peut tendre à la délier à cet égard me semble très désirable.

Il y a huit mois, lorsqu'au milieu de la joie qu'excitait le présent et des heureuses espérances qu'on aimait à concevoir pour l'avenir, il était néanmoins impossible de l'envisager avec cette sécurité qui n'est troublée par aucune crainte, une alliance de famille avec la Russie pouvait paraître et me parut à moi-même offrir des avantages dont l'utilité devait l'emporter sur des considérations, que, dans une autre situation. des affaires, j'aurais mises au premier rang et regardées comme décisives.

Mais aujourd'hui que la Providence a pris soin d'affermir elle-même le trône qu'elle a miraculeusement relevé ; aujourd'hui qu'il est environné et gardé par la vénération et l'amour des peuples; maintenant que la coalition est dissoute, que la France n'a plus besoin de compter sur des secours étrangers et que c'est d'elle, au contraire, que les autres puissances en attendent, Votre Majesté, dans le choix qu'elle fera, n'a plus à sacrifier à la nécessité des conjonctures aucune des convenances essentielles à ce genre d'alliance, et peut ne consulter qu'elles.

La grande-duchesse Anne passe pour être, des cinq filles de l'empereur Paul, celle à qui la nature a donné le plus de

1. Supprimé dans le texte des archives.

beauté, qualité très précieuse et très désirable dans une princesse que le cours des événements peut appeler à monter un jour sur le trône de France. Car aucun peuple n'éprouve autant que les Français le besoin de pouvoir dire des princes auxquels ils sont soumis :

Le monde, en les voyant, reconnaîtrait ses maîtres!

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La grande-duchesse paraît avoir été élevée avec beaucoup de soin. Aux avantages de la figure, elle joint, à ce que l'on dit, la bonté. Enfin 2, elle a vingt et un ans, ce qui fait qu'on n'aurait point à craindre pour elle les suites souvent funestes d'un mariage trop précoce. Elle avait été destinée au duc actuellement régnant de Saxe-Cobourg, avant que Bonaparte l'eût demandée. Il n'a tenu qu'à celui-ci de l'épouser, car il est certain qu'on ne demandait pas mieux de la lui donner, s'il eût pu et voulu attendre. Je ne sais si de ces deux circonstances on pourrait tirer une sorte d'objection contre l'union de cette princesse avec M. le duc de Berry; mais je dois dire que j'aimerais beaucoup mieux qu'elles n'eussent point existé, si le mariage doit se faire.

Mais en considérant quel fut l'état des facultés intellectuelles chez Pierre III, aïeul de la grande-duchesse, et chez Paul Ier, son père; conduit par les exemples du feu roi de Danemark, du duc actuellement régnant d'Oldenbourg et du malheureux Gustave IV, à regarder leur déplorable infirmité comme un

1. Supprimé dans le texte des archives. 2. Supprimé dans le texte des archives.

3. Variante: Buonaparte.

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